Bonjour à tous !
Voici mon nouvel article sur le marketing olfactif, qui est plus détaillé que l'article précédent. J'espère qu'il vous plaira.
J'imagine que vous êtes tous, un jour ou l'autre, passés devant une odorante rôtisserie. Rien que le parfum des poulets rôtis fait baver, hein ? Eh bien figurez-vous que ce n'est pas anodin : on cherche à vous allécher. C'est le principe du marketing olfactif, qui consiste à attirer le client par les odeurs ; cela s'avère très efficace. Toutefois, malgré de très nombreux arguments en sa faveur, cette pratique n'a été que très tardivement développée et répandue.
On a commencé à s'y intéresser de façon notable à partir de l'année 1973, avec la fameuse étude de Philip Kotler, Atmospherics as a marketing tool 1 . Il s'agit de l'un des traités fondateurs du marketing sensoriel : on peut pousser le client à acheter, en l'intégrant à une atmosphère soigneusement mise en scène, c'est-à-dire à un cadre qui stimule les sens au maximum. Nous l'avons vu précédemment avec la musique, on peut utiliser toutes sortes d'outils pour pousser le client à consommer, à acheter impulsivement.
Ici aussi, il s'agit d'un article permettant de découvrir une certaine facette du marketing : il n'y a donc aucun prérequis .
Pourquoi s'intéresser à l'odorat ?
C'est une question primordiale : quelle importance peut bien avoir l'odorat ? Aristote considérait qu'il était « médiocre » chez l'homme 2 . Il est vrai qu'en comparaison de certains animaux, l'homme a un odorat assez peu développé. Pourtant, on admet communément que l'homme peut distinguer 10 000 fragrances différentes (une étude va jusqu'à 1 000 milliards !). Par ailleurs, l'importance de l'odorat au niveau comportemental n'est pas des moindres : examinons-en les raisons
Odorat & cerveau
On peut relever tout d'abord un certain nombre de raisons anatomiques à l'importance de l'odorat. On ne va pas détailler le processus d'olfaction, mais il est nécessaire d'en connaître les grandes lignes (cf schéma ci-dessous).
Quand vous respirez de l'air parfumé, des molécules odorantes rentrent dans votre cavité nasale et stimulent certains récepteurs olfactifs à des intensités différentes. Cette information est ensuite transmise au bulbe olfactif, qui reçoit les informations et les communique au système limbique, structure jouant un rôle primordial au niveau comportemental, mémoriel et émotionnel.
Contrairement aux autres stimuli sensitifs (vue, toucher, etc.), les stimuli olfactifs ne passent pas par le thalamus, chargé de trier les informations (il écarte celles qui sont parasitaires), pour parvenir au système limbique 3 . Nous avons donc moins de contrôle sur ce sens, puisque les informations olfactives arrivent sans filtrage préalable au système limbique, siège de l'émotion et de la mémoire.
M'enfin, ce n'est pas parce qu'on a deux zones reliées dans le cerveau que l'on peut facilement nous mener par le bout du nez, si ?
Eh bien si ! Bien que l'analyse précédente puisse paraître abstraite, les éléments montrant l'influence que l'odorat peut avoir sur notre comportement sont éloquents, comme nous allons le voir.
Odorat, comportement & jugement
Il est une expérience très simple à reproduire et que Laird a effectuée en 1932. Elle a été reprise par l'université Colgate de Hamilton en 1940, puis par de nombreuses autres personnes.
Cette expérience consiste à prendre deux produits identiques – il s'agissait de pièces de lingerie en 1932 puis de bas de nylon en 1940 –, à parfumer un des deux seulement, puis à demander au premier venu lequel des deux produits est de qualité supérieure. Comme on peut s'y attendre, les produits parfumés furent mieux évalués, bien que le parfum ne soit pas toujours remarqué.
Guéguen et Jacob ont mené une autre étude 4 pour montrer que l'odorat pouvait orienter le client vers un produit donné. Dans un supermarché constitué de deux rayons (un pour le sucré, l'autre pour le salé), on ne diffuse tout d'abord aucune odeur, puis celle de poulet, et enfin de celle chocolat. Les résultats parlent d'eux-mêmes :
Odeur diffusée | Part de clients au rayon salé | Part de clients au rayon sucré |
---|---|---|
Aucune | 55 % | 45 % |
Poulet | 85 % | 15 % |
Chocolat | 25 % | 75 % |
Bien sûr, l'odorat et le goût étant deux sens très liés, les résultats sont d'autant plus amplifiés puisque l'étude concerne des produits alimentaires.
En fin de compte, quelle leçon peut-on tirer de ces deux études ? L'expérience de Laird prouve que les odeurs peuvent fausser le jugement et, in fine, influencer notre comportement. En effet, pour deux produits de même qualité, les caractéristiques olfactives peuvent pousser à préférer l'un à l'autre. De son côté, l'étude conduite par Guéguen et Jacob prouve que le cadre olfactif permet d'orienter inconsciemment les clients vers des produits choisis. Ces deux résultats illustrent les fondements du marketing olfactif et, plus largement, du marketing sensoriel. Voyons maintenant jusqu'où le marketing olfactif s'étend de nos jours.
Utilisations possibles du marketing olfactif
L'odeur comme attribut du produit
Tout d'abord, l'odeur peut être un attribut de l'objet, une de ses caractéristiques. Il y a assez peu de cas où l'objet a pour fonction première de sentir bon : parfum, aérosol, désodorisant, savon et dentifrice à la limite. Mais en quoi a-t-on besoin de liquides vaisselles et d'éponges parfumés ? Tous les produits ménagers sont maintenant systématiquement parfumés, sans toujours une véritable nécessité.
Tu dis ça, mais ce n'est répandu que pour les produits d'hygiène, ça ne va pas plus loin…
Perdu ! L'entreprise 3M a lancé il y a quelques années des Post-it parfumés à la fraise, ou encore des gants parfumés. De même, les stylos odorants sont sortis il y a quelques temps. Enfin, comment explique-t-on les jouets, les brochures, les clés USB parfumés ? Sans oublier bien sûr le réveil parfumant.
Ces objets ont beau être des gadgets, ils prouvent que l'on cherche désormais à stimuler plus que la vue et l'ouïe : tous les sens sont maintenant en jeu, même si l'odorat reste moins sollicité et sollicitable que d'autres sens. Ainsi donc, on peut difficilement vous faire sentir quelque chose depuis votre télé ou depuis votre ordi. Il reste donc à développer cet aspect en magasin, pour pousser les clients à consommer.
L'odeur comme créateur d'ambiance
Il s'agit d'une forme de marketing olfactif vraiment très répandue : on diffuse certains parfums dans le magasin pour créer une atmosphère qui oriente les activités du consommateur. C'est devenu ces dernières années un véritable business pour des sociétés telles que ScentAir ou Exhalia, qui élaborent et vendent plusieurs centaines de parfums.
Quoi ? Vous n'êtes pas convaincu de l'efficacité de ce procédé ? Les études qui suivent risquent de vous convaincre .
Une expérience a été menée en 2009 par Guéguen et Petr 5. Dans une petite ville (3 000 habitants) de Bretagne, 88 petites pizzerias (22 places chacune) ont été ou non parfumées de 20 à 23 heures, pendant trois samedis de mai ; la météo était constante. Dans un premier temps, aucun arôme n'a été diffusé ; dans un deuxième temps, on a vaporisé un parfum de citron, connu pour ses propriétés dynamisantes ; finalement, on a dispersé un parfum de lavande, relaxant notoire. On a obtenu les résultats suivants :
Comportement étudié | Pas de parfum | Citron | Lavande |
---|---|---|---|
Temps passé en moyenne (en mn) | 91,3 | 89,8 | 105,7 |
Montant moyen déboursé (€) | 17,5 | 18,1 | 21,1 |
Le docteur Alan Hirsch a effectué une expérience similaire en 1995 6 et les résultats allaient dans le même sens. La diffusion de parfum modifie donc le comportement des clients et peut s'avérer plutôt rentable. Mais une question subsiste : comment diffuser ces fragrances ?
Il existe plusieurs techniques :
- On peut utiliser des odorants naturels, mais c'est peu efficace ;
- On peut également faire chauffer un liquide odorant, mais la portée dépend de la ventilation. Bref, pas de quoi parfumer de grandes surfaces ;
- La pulvérisation est aussi envisageable : on projette des gouttelettes d'eau mélangée à des huiles. Néanmoins, cette pratique provoque l'humidité ;
- Enfin, il reste la diffusion d'un brouillard sec et parfumé, fait de très fines particules. Cette méthode est de loin la plus efficace et la plus répandue.
Les machines permettant la diffusion sont appelées SmellBoxes (SmellBox au singulier) et sont de plusieurs types : il existe des diffuseurs individuels et des diffuseurs d'ambiance 7 . Ces derniers peuvent être placés en magasin ou reliés au système d'air conditionné.
Si l'on fait le bilan, le marketing olfactif présente de nombreux avantages :
- il améliore la perception que le client a du produit, et permet de faire la différence avec un concurrent ;
- il augmente de facto le chiffre d'affaire ;
- il oriente le client vers telle ou telle gamme de produits ;
- il permet de fidéliser le client ou au moins de se faire retenir par ce dernier.
Pourtant, le marketing olfactif n'est pas sans limites, comme nous allons le voir.
Limites & contraintes
Difficultés techniques
On risque tout d'abord, lors de la diffusion de fragrances, d'obtenir une cacophonie olfactive, c'est-à-dire un écœurant mélange de parfums qui n'ont rien à voir : si par exemple les zones "Cafetières" et "Viandes" sont voisines, il y a fort à parier que le passage d'une zone à l'autre sera… peu agréable. Bref, il ne faut absolument pas que les parfums se mélangent, interfèrent et agressent le client. Il faut donc bien prendre en compte ce phénomène lors de la mise en place de diffuseurs, en n'oubliant pas la volatilité du parfum et ses autres caractéristiques.
Une autre contrainte : cette pratique est assez coûteuse. Après, bien sûr, cela dépend du budget, mais par hypothèse, plus vous avez de budget, plus la surface de vente est grande, donc plus vous devez dépenser. Pour vous donner un ordre de grandeur, un diffuseur d'ambiance vaut 249 € HT 8, sans parfum intégré.
En parlant de parfum, vous pouvez commander un parfum déjà mis au point ou en commander un sur mesure. La seconde option étant plus chère, bien sûr.
Il faudra aussi prêter attention à la congruence entre le parfum diffusé et les produits à vendre. Si vous diffusez un arôme de banane dans un rayon boulangerie, l'efficacité ne sera pas tout à fait maximale.
Cela m'amène à la dernière limite technique : un même parfum peut être jugé repoussant par une personne et attirant par une autre. Alors comment trouver le bon parfum ?
Pour ce faire, il faut déjà déterminer quel type de personne sera visé par le produit à vendre (édification d'un persona), et en déduire l'odeur qui, tout en étant en accord avec le produit, plaira le plus au client. Eh oui, le marketing n'est pas de tout repos, surtout lorsqu'il doit prendre en compte les caractéristiques individuelles des clients. Néanmoins, certains parfums sont très largement appréciés et/ou présentent des influences psychologiques universelles : l'odeur de citron est par exemple réputée comme stimulant.
Mais il y a une chose qui n'a pas été mentionnée, et qui rajoute des contraintes : la loi.
Législation
Il existe en France un code (c'est-à-dire un recueil de lois) qui régit les échanges économiques : il s'agit du Code de la consommation. Il fixe les limites, donne les procédures à suivre, etc. L'article 121 traite de la publicité mensongère, ou plutôt des « pratiques commerciales trompeuses ».
En gros, cela signifie que la diffusion (qui est une pratique commerciale) ne doit en aucun cas tromper le client, lui faire croire que le produit a telle caractéristique, qu'il ne présente pas en réalité. Par exemple, si l'on diffuse une odeur de melon bien mûr et que les melons proposés ne le sont pas, le marchand est dans l'illégalité.
Autre problème : la législation européenne. Le 13 décembre 2006, la directive REACH, votée par le Parlement Européen, a été mise en place dans un souci de protection de la santé des consommateurs et de l’environnement ; elle réglemente 100 000 substances chimiques commercialisées en Europe. Certains parfums pourraient être rajoutés à la liste.
Dernière complication européenne : il existe des marques olfactives. Si si, l'OHMI a accepté la première marque olfactive le 11 février 1999 9 , bien que certaines difficultés subsistent par rapport à la description précise des parfums. Il ne faut donc pas non plus reprendre une marque déjà existante…
En guise de conclusion
Cet article est bientôt terminé. Malgré son apparence inoffensive, le marketing olfactif est assez redoutable : il permet de créer un état d'esprit, une atmosphère, surtout lorsqu'il est combiné à d'autres techniques de marketing. Malheureusement, ou heureusement, ce procédé n'en est qu'à ses balbutiements, puisque pèse sur lui le poids de nombreuses législations et limitations techniques.
Peut-être aurons-nous, dans 20 ans, des orgues à parfums et des cinémas parfumés, comme l'imaginait Aldous Huxley dans son Meilleur des Mondes ?
Pour aller plus loin
- La même émission que l'autre fois, qui traite du marketing sous toutes ses facettes ;
- Le marketing olfactif : Une approche créative, commerciale et juridique du parfum et des odeurs, Caroline Lecoquierre, Virginie Barbet, Pierre Breese, Les Presses du Management, 1999 ; Il s'agit de la référence sur le marketing olfactif.
Internet, comme toujours, demeure une source d'informations inépuisable, à travers ses articles :
- Une fiche assez détaillée, qui évoque rapidement la place de l'odorat dans la littérature et qui illustre ses propos par d'autres expériences ;
- Comme d'habitude, l'excellent Wikipédia, qui est assez synthétique pour le coup ;
- Il existe aussi un livre très documenté, quoiqu'assez sombre, qui évoque énormément de méthodes de manipulation mentale ;
- Enfin, un blog, fait par un maître conférencier, à propos du marketing en général.
Remerciements
- Un grand merci à Vayel et au futur validateur cet article ;
- Merci à Vecteezy et Webalys pour l'icône de cet article ;
- Bravo et merci plus généralement à toute la communauté de Zeste de Savoir, en particulier aux créateurs du site, sans qui la publication de cette série d'articles n'aurait été possible.
Merci d'avance,
Dwayn
-
Consulter l'article en anglais. ↩
-
« En effet, l’homme sent les odeurs médiocrement », Aristote, De anima, Livre II, Chapitre IX. ↩
-
« Les fibres ré-émises [des cellules qui reçoivent l'information des récepteurs olfactifs] vont au cortex olfactif, vers le cortex limbique, vers l'hippocampe ou les corps mamillaires. On comprend ainsi le rôle inconscient de l'olfaction dans beaucoup de comportements fondamentaux dépendants de l'hypothalamus et du système limbique (sexualité, faim, sociabilité…). Les voies olfactives sont les seules voies à ne pas faire relai d'abord dans le thalamus. » Merci Wikipédia. ↩
-
Guéguen N., Jacob C., Congruence d’une odeur culinaire et orientation du choix du consommateur : une évaluation en situation naturelle, cité par Guéguen N., Psychologie du consommateur, Dunod, Paris, 2011. ↩
-
Compte-rendu de l'étude. ↩
-
Trois zones d'un même casino ont été étudiées durant un week-end. Une zone non-parfumée, deux zones avec chacune un parfum différent. Dans une des deux zones parfumées, les sommes mises en jeu ont augmenté de 45,11% par rapport à la moyenne. Consulter l'étude intégrale (anglais). ↩
-
Brochures Exhalia de diffuseur individuel et de diffuseur d'ambiance. ↩
-
Décision de la Deuxième Cour d'appel, le 11/02/1999, Cas R 156/1998 - 2 (L'odeur d'herbe fraîchement tondue). ↩