À mon tour de faire un retour sur cette expérience de maxi-correction, de mon point de vue de correcteur. À commencer par le temps de correction : il s’agit d’un temps « réaliste ». En effet, nous n’avons pas passé deux semaines à bosser sur la correction 8 heures par jour : de mon côté, j’ai consacré l’équivalent de trois jours à plein, en deux fois, plus quelques heures par ci par là les jours ou j’étais trop occupé par ailleurs, voire rien du tout certains jours.
Je noterai que la perte de motivation de mon collègue qui nous a mis deux semaines dans la vue est intervenue peu après que j’ai moi-même terminé mon quota, et qu’il y a certainement un lien de cause à effet. Mais j’y reviendrai un peu plus tard.
Je pense en toute sincérité, et Mewtow ne me donnera pas tort, qu’il est difficilement envisageable d’avoir affaire à une entreprise de correction plus abominable. En effet, ce cours cumule un nombre important de difficultés.
- La taille. C’est à ma connaissance le tuto le plus monstrueusement énorme que compte le site. Donc nécessairement, c’est long, et fatigant.
- Le manque de cohérence. Une partie est due au passé chaotique de ce cours, issu de la fusion de plusieurs autres cours, eux-mêmes écrits à des époques et avec des habitudes différentes, etc. Mais une partie est également inhérente à l’auteur : au sein même d’une partie, il ne se tient généralement pas à une convention donnée, mais passe de l’une à l’autre de manière anarchique (par exemple, les mots anglais ont parfois des majuscules initiales, parfois non, sont parfois en italique, parfois non, etc.). Habituellement, quand une faute revient souvent, on peut accélérer la correction au moyen d’un rechercher-remplacer bien choisi : ici, impossible, ce qui naturellement allonge le temps de traitement.
- L’anglais. Pas tant pour le fait d’avoir soit à corriger la typographie, soit à traduire de manière adaptée (ce qui, comme l’a dit Mewtow, n’est pas toujours une tâche aisée, et l’on y a parfois renoncé) que parce que l’usage d’une grande quantité de mots anglais augmente drastiquement la probabilité d’y faire des fautes. Cela nous a obligé à consciencieusement vérifier l’orthographe de tous les termes anglais, ce qui demande beaucoup de temps, car cela n’entre pas dans nos compétences de correcteurs.
- L’orthographe 1990, et ce d’autant plus que Mewtow ne l’utilise en réalité qu’à moitié : en particulier, les mots sont découpés « à la traditionnelle », comme « contre-exemple » au lieu de « contrexemple ». Je ne suis pas habitué à cette orthographe et, si l’on prend assez vite de coup de ne pas corriger les orthographes 1990, il est beaucoup plus difficile de ne pas sauter une orthographe traditionnelle, fautive dans ce contexte.
- Les schémas. Extrêmement nombreux dans ce tuto. Nous correcteurs ne pouvons pas les modifier, nous devons nécessairement demander à l’auteur de le faire, et l’on comprend aisément que celui-ci ne soit pas motivé quand on lui explique que dans l’idéal, il y aurait des modifications à apporter sur 90 % des schémas… C’est donc une correction très en deçà de nos standards habituels que nous avons apporté sur ceux-ci.
Maintenant, en ce qui concerne l’organisation de cette séance de correction. En amont, nous nous sommes partagés les chapitres, de manière à répartir la charge de travail. Nous avons également convenu de faire des retours très réguliers (généralement après chaque fin de chapitre) sur l’avancement de la correction, et cela a plusieurs avantages.
- On est régulièrement amenés à faire des choix pour la mise en cohérence du texte, ou pour la traduction d’un terme anglais, par exemple : en signalant très vite à l’autre correcteur le choix que l’on a fait, on évite à celui-ci de devoir repasser sur ses chapitres antérieurs pour adopter la même convention.
- Comme signalé ici et par Mewtow, nous rencontrions à l’occasion des passages incompréhensibles, ou des erreurs impossibles à corriger sans une intervention de l’auteur : schémas, ou encore parce qu’un choix d’ordre « stylistique » devait être fait. En faisant des retours très réguliers, on s’assure que l’auteur réagisse assez vite, et que l’on n’ait pas à repasser sur 15 chapitres pour vérifier si ses modifications n’ont pas introduit de nouvelles erreurs.
- Cela crée une interaction permanente avec l’auteur et son collègue correcteur qui, j’en suis persuadé, aide à maintenir la motivation au long cours : on n’a pas l’impression d’être seul face au Mont Blanc. Comme dit plus haut, la perte de motivation de mon collègue a été concomitante avec le moment où je n’ai plus été en lice, et où le MP qui nous servait à donner des nouvelles s’est tu.
Je terminerai en réagissant plus précisément aux remarques de Mewtow.
Il faudra prendre en compte ce genre de cas, où un auteur souhaite utiliser l'orthographe réformée ou au contraire l'ancienne orthographe : est-ce que c'est à l'auteur ou au correcteur de choisir ?
De mon point de vue, sur le principe, c’est l’auteur qui choisit. Dans la plupart des cas, l’auteur n’en sait tout simplement rien, et le correcteur peut alors choisir à sa place. Généralement l’orthographe traditionnelle, puisque c’est la plus commune en France. Je me contenterai d’une demande aux auteurs : si vous choisissez l’orthographe 1990, adoptez-la jusqu’au bout. Sinon, c’est vraiment le merdier pour les correcteurs.
Les correcteurs ont aussi dû gérer plus de choses que la correction en elle-même. Un premier problème s'est posé pour les traductions de termes techniques en anglais : comment traduire certains termes ? Les correcteurs ont aussi dû ajouter les balises abréviation, vérifier que le vocabulaire utilisé était correct, harmoniser l'usage de certains termes dans le cours (ce qui a été abandonné dans certains cas, compte tenu du nombre de modifications à faire) et me signaler des phrases qui ne voulaient rien dire. D'où un autre point à prendre en compte : est-ce que c'est vraiment aux correcteurs de faire ce genre de travail ?
Après cette expérience, je dirais que pour l’essentiel, non, ce n’est pas à nous de le faire. Dans le meilleur des mondes, il faudrait qu’après le passage du validateur, au moment où les correcteurs entrent en jeu, le texte soit entièrement compréhensible, et ne nécessite plus qu’une amélioration formelle.
Les phrases peu claires, voire ne voulant rien dire, devraient avoir été éliminées avant, car elles participent de la compréhension du fond plus que de la « beauté » du texte. Idem pour les termes techniques en langue étrangère (on peut toujours rêver à un cours de psychologie clafi de termes allemands ), ou en français : il faut choisir les uns ou les autres, mais pas utiliser les deux en parallèle.
Notez bien que je ne suis pas opposé à ce qu’un texte n’utilise que le vocabulaire anglais : même si cela hérisse mes instincts toubonistes, ce n’est pas moins recevable que ma préférence pour a fortiori, a minima, a contrario, de facto et al. sur leurs alter ego français. Mais un vocabulaire technique est déjà assez compliqué à retenir, sans devoir en apprendre deux d’un coup.
Pareil encore pour les abréviations non explicitées, qui rendent la compréhension plus difficile. Pour ce qui est de la cohérence du vocabulaire, la vérifier est souvent un travail de fourmi plus proche du travail de correcteur que de celui de validateur. On peut donc envisager que cela soit une tâche partagée : l’auteur essaye de rester cohérent, le validateur relève les incohérences les plus criantes et les correcteurs ratissent ce qui est passé entre les mailles du filet.
Autant vous dire qu'avoir une équipe de correcteurs dédiés serait clairement une très bonne chose pour ce cas de figure, à savoir un cours relativement long (moyen ou big-tutoriel), pour lesquels l'auteur et le validateur ne se sentent pas capables de faire le travail de correction.
Cela étant, je pense qu’elle peut aussi être utile pour les formats plus petits. D’un point de vue de correcteur, ça permet de « changer d’air » entre deux corrections au long cours : un mini-tuto ordinaire (équivalent à une quinzaine de pages A4 quand je le copie-colle dans LibreOffice), ça me prend trois quarts d’heure à terminer, tout compris. Autant dire une friandise, qui permet d’aider quelqu’un au milieu d’une correction d’un contenu long.
Côté auteur, comme l’a dit Bat' (Ou Karnaj ? J’ai un doute…), cela permet de moins se mettre la rate au court-bouillon concernant l’orthographe, et de profiter d’une relecture formelle de qualité.
que faire si le correcteur laisse son travail de côté au point que cela ralentisse la correction de plusieurs semaines ? A noter que si solution il y a, il faudrait voir si celle-ci ne peut pas s'appliquer à la validation.
Je vois plusieurs pistes. En première approximation, sur des contenus de grande taille, travailler en binôme, voire trinôme. Comme on l’a vu, ça réduit la charge individuelle, et avec une communication suffisante, ça permet de maintenir la motivation éveillée. En deuxième approximation, éviter les big-tutos : il est souvent possible d’écrire plusieurs moyen-tutos qui s’appuient les uns sur les autres, et c’est généralement plus agréable pour tout le monde.
Mais de manière plus efficace, je pense que la clé tient dans la partie « rapports très réguliers » de mon retour d’expérience. Plutôt que de laisser les besoins en correction tant sur le fond que sur la forme s’accumuler jusqu’à constituer une montagne effrayante, il faudrait que auteurs, validateurs et correcteurs travaillent de concert pour que les corrections interviennent plus tôt dans le processus.
Cela ne peut certainement pas s’appliquer à tous les cas, mais quand une partie d’un big-tuto est terminée (voire un chapitre, s’ils sont assez indépendants les uns des autres), on peut tout à fait imaginer que la validation puis la correction interviennent dès ce moment-là.
Cela permettrait que chaque « tâche » de validation ou de correction soit de petite taille, évitant ainsi le découragement. En outre, cela permettrait de signaler assez tôt à l’auteur un problème récurrent qu’il lui serait alors possible de corriger dans la suite de sa rédaction, réduisant ainsi les besoins de correction futurs.
Par exemple, j’ai remarqué que Mewtow mettait systématiquement un trait d’union aux tournures du type « non voyant », alors qu’il n’y en a généralement pas. Si j’avais pu lui signaler plus tôt dans la rédaction, j’en aurais certainement eu beaucoup moins à corriger.
Un système de ce genre est à l’œuvre sur le tuto de Ruby : j’ai été invité à faire la correction de la seule première partie, censée être à peu près définitive. Dans la pratique, c’est un peu plus brouillon, car il y a eu plus de modification que prévu sur cette section. Mais dans l’ensemble, c’est plutôt efficace, et je suis content de voir que certaines des erreurs récurrentes que j’ai corrigées n’apparaissent plus dans les sections nouvellement écrites.
Sur ce, je vais m’arrêter là, parce que cette réponse commence à devenir un peu indigeste…