Outre tout ce qui a été dit, et toujours dans le but de maintenir une certaine objectivité dans le propos, je pense qu'il faudrait écrire une partie sur le « côté obscur » du libre. Je pense à plusieurs choses.
RMS, déjà. À titre personnel, je trouve que ce mec est un gros con arrogant et que son histoire d'église du GNU est franchement malsaine. De manière plus large, il y a une forme de culte de la personnalité au sein du monde du libre à l'égard de ses fondateurs, et en particulier, pour pas mal de libristes, la parole de RMS a valeur d'évangile. Et je ne puis m'empêcher de faire le parallèle avec Steve Jobs. Mais passons, c'est plus anecdotique qu'autre chose.
Sur la question du droit d'auteur en particulier dans le logiciel, il y a une variété de points de vue : ceux qui estiment que les sources doivent être accessible sans pour autant renoncer à ses droits d'auteur dessus (open source), ceux qui suivent la position de la FSF (le libre « canonique »), ceux qui estiment qu'une œuvre n'est pas libre si un intermédiaire peut faire son beurre dessus (moi, SciLex à une époque), ceux qui jugent que la seule liberté vraie est le domaine public (Pouhiou, SciLex maintenant), ou encore ceux qui rejettent toute justification du droit d'auteur (licence <3). Mais du fait de la position dominante des libristes FSF dans les projets grand public (à commencer par GNU/Linux), les autres avis sont déconsidérés voire carrément attaqués par beaucoup de tenants de la position dominante. Il suffit de voir la violence des débats concernant la clause « non-commercial » : obliger quelqu'un qui reprend ton boulot et en fait quelque chose de trois fois mieux à diffuser le résultat sous les mêmes conditions que ce que tu as voulu (le copyleft) serait bien normal, mais interdire au premier type venu de se faire des couilles en or en vendant ton boulot obtenu gratuitement dans un joli emballage (la méthode dite « de l'éditeur scientifique ») serait une forme de dictature parfaitement inacceptable. En bref, la FSF pose une chape de plomb sur le domaine du libre en donnant le sésame à telle ou telle licence pour être considérée comme libre, alors qu'elle ne fait que vérifier la conformité avec une certaine vision (très anglo-saxonne) de la liberté.
Ensuite, il y a la plus grosse fumisterie à mon sens du logiciel libre : le mythe selon lequel n'importe qui pourrait contribuer à un logiciel libre s'il en a les capacités techniques. C'est faux, et pour deux raisons. La première, c'est que même dans un projet libre, il y a toujours un ou des chefs qui décident de ce qu'il adviendra du logiciel. Je ne compte même plus le nombre de fois où la communauté gueule parce que celui qui tient les rennes d'un logiciel ne veut pas apporter certaines modifications demandées par ces utilisateurs. Alors l'argument, c'est qu'on peut fourcher. C'est vrai. Légalement et techniquement, il est toujours possible de fourcher. Sauf que dans la pratique, c'est loin d'être systématiquement possible.
- En fourchant, tu perds la légitimité du projet d'origine, et à moins d'une longue guerre entre la communauté et les gestionnaires du projet d'origine, personne ne viendra utiliser ta version.
- La modification que l'on veut apporter ne concerne pas nécessairement l'ensemble du projet et, bien qu'importante à tes yeux, peut être relativement mineure à l'échelle du projet complet. Alors on laisse tomber et on ne fourche pas, parce qu'en cas de fourche, et quand bien même un public suffisant suivrait, il faut encore maintenir le projet entier, et on n'a pas nécessairement le temps ni la motivation pour ça.
Voilà pourquoi vous ne verrez ma jamais ma contribution au noyau Linux consistant simplement à réécrire les parties en assembleur en syntaxe Intel, pour se débarrasser de cette putain de syntaxe AT&T scorie du passé : ce n'est pas comme si Torvalds et compagnie allaient accepter, et je ne vais pas fourcher le noyau Linux pour cent lignes de code.
La deuxième raison, c'est que si certains programmeurs du monde du libre sont d'excellents informaticiens, en revanche, la plupart d'entre eux font de la documentation de merde. Avez-vous déjà ouvert le code source d'un vrai logiciel libre, genre le noyau Linux, lodel, ou Apache ? C'est imbitable. On se retrouve devant des centaines de fichiers, contenant des milliers de fonctions, et pas le moindre plan d'ensemble ou explication de la logique du projet, des commentaires affligeants de pauvreté, etc. Si vous voulez changer un point mineur dans un gros projet libre, il y a de fortes chances que vous abandonniez avant d'avoir même trouvé où la fonctionnalité peut bien être gérée. C'est une loi quasi générale du monde du libre (la glibc est une exception) : plus un projet grossit, plus il devient difficile à quelqu'un d'extérieur d'y contribuer.
Alors voilà, j'aime le libre (du moins une certaine vision d'icelui) et je pense qu'il faut faire son possible pour le promouvoir. Mais je crois aussi sincèrement qu'il faut savoir être cru et honnête sur ses (gros) défauts, sous peine de faire de la propagande.