Additionnons, multiplions...

Que peut-on faire avec nos nouveaux nombres ? Le minimum serait de pouvoir faire tout ce qu’on peut faire avec les nombres réels… Voyons voir :

Additionnons

On peut les additionner, en additionnant leur partie réelle et leur partie imaginaire :
(a+ib)+(c+id)=(a+c)+i(b+d)(a + ib) + (c + id) = (a + c) + i(b + d)
On obtient bien un nombre complexe (de la forme a+iba + ib).

Voyons ce que cela donne visuellement :

complexes_add
(3+2i)+(4+3i)=1+5i(3 + 2i) + (-4 + 3i) = -1 + 5i
(4i)+(14i)=35i(-4 - i) + ( 1 - 4i) = -3 -5i

add_cmplx

Si vous avez déjà vu les vecteurs, vous pouvez remarquer que les nombres complexes s’additionnent comme des vecteurs.

Soustrayons

Peut-on alors, comme dans les nombres réels, trouver l’opposé d’un nombre complexe ? Cela nous permettrait d’utiliser aussi la soustraction. Si on a un nombre zz, quel nombre faut-il lui additionner pour obtenir 00 ? Graphiquement, on le voit très bien, et vous pouvez vérifier en faisant le calcul, que l’opposé de a+iba + ib, c’est le nombre aib-a -ib.

oppose
L’opposé d’un nombre

Multiplions

Comment multiplier deux nombres complexes ? Par exemple (a+ib)×(c+id)(a + ib) \times (c + id).
Sans plus de difficulté qu’avec les nombres réels. Vu que a,b,ca, b, c et dd sont des réels, nous allons utiliser la double distributivité, en n’oubliant pas que i2=1i^2 = -1. Ce qui nous donne :

(a+ib)×(c+id)=ac+iad+ibc+i2bd=ac+iad+ibcbd=(acbd)+i(ad+bc)\begin{aligned} (a + ib) \times (c + id) &= ac + iad + ibc + i^2bd \\ &= ac + iad + ibc - bd \\ &= (ac - bd) + i(ad + bc) \end{aligned}

On obtient toujours un nombre complexe (de la forme a+iba + ib). Voyons ce que cela nous donne graphiquement :

add_prod_cmplx
multiplication

Multiplications de nombres complexes

Qu’observe-t-on ? En multipliant deux nombres, on multiplie leur module et on ajoute leur argument. On le voyait déjà avec la multiplication par ii : cette multiplication consistait à faire une rotation de 90°90°, qui est l’argument de ii. De même, multiplier par un nombre zz consiste à effectuer une rotation d’angle arg(z)arg(z), et a multiplier le module du nombre par z|z|.

mult_i
La multiplication par ii

Divisons

Peut-on alors diviser deux nombres complexes ? Essayons de trouver le résultat de l’opération a+ibc+id\displaystyle{\frac{a + ib}{c + id}}.
On devrait trouver un nombre de la forme a+iba' + ib'. Mais ce qui nous gêne pour l’instant, c’est le ii au dénominateur. Essayons de l’éliminer.
Pour cela, nous allons nous servir d’une identité remarquable (cela vous rappelle de vieux souvenirs, n’est-ce pas ?). Remarquez que si on effectue l’opération suivante :
(a+ib)(aib)(a + ib)(a - ib), on obtient a2+b2a^2 + b^2, une expression dans laquelle on a éliminé ii.
Multiplions donc le numérateur et le dénominateur par cidc - id, pour éliminer l’unité imaginaire du dénominateur :
a+ibc+id=(a+ib)(cid)(c+id)(cid)=(ac+bd)c2+d2+icbadc2+d2\frac{a + ib}{c + id} = \frac{(a + ib)(c - id)}{(c + id)(c - id)} = \frac{(ac + bd)}{c^2 + d^2} + i\frac{cb - ad}{c^2 + d^2}

On obtient bien un nombre complexe.
PS : inutile de vous souvenir de cette formule par coeur, l’important c’est de savoir la retrouver.

La technique que je viens de vous présenter est d’ailleurs souvent utilisée lorsqu’on manipule des nombres complexes, au point que le nombre cidc - id a eu droit à une dénomination spéciale :

cidc - id est appelé le conjugué de c+idc + id. Le conjugué d’un nombre a donc la même partie réelle que ce nombre, mais une partie imaginaire opposée.

conjugue
Schéma du conjugué d’un nombre

Regardez ces deux nombres : leurs arguments sont opposés. Si on les multiplie, comme on l’a vu précédemment, on additionne leurs arguments, ce qui nous donne 0°. Le résultat de la multiplication se trouve donc sur l’axe des réels, c’est un nombre réel ! Cela explique pourquoi cette technique nous permet d’éliminer la partie imaginaire dans le résultat.

Toutes les divisions sont-elles possibles ?

Non, regardez le résultat : il ne peut exister que si c2+d2{c^2 + d^2} est différent de 00. Donc si c0c \neq 0 et d0d \neq 0, donc si le diviseur c+id{c + id} est différent de 0+0i0 + 0i, qui vaut 00.

On retrouve donc la règle qui existait pour les nombres réels :
Dans C\mathbb C, la division par zéro est impossible.

Les réels, des complexes comme les autres ?

Avant de passer à la suite, remarquons que tout ce que nous faisons subir aux complexes s’appliquent aussi aux nombres réels. Les nombres réels ne sont finalement que des nombres complexes dont la partie imaginaire est nulle !

  • un réel aa peut s’écrire sous la forme a+0ia +0i
  • un réel possède un module, qui est égal à sa valeur absolue (c’est-à-dire sa distance par rapport à 00, exactement comme les nombres complexes.
  • un réel possède aussi un argument : s’il est positif, son argument vaut 00, s’il est négatif, son argument vaut π\pi.
  • la multiplication des réels obéit aux mêmes règles "géométriques" que la multiplication des complexes. Lorsqu’on multiplie deux réels, on multiplie leur module, et on ajoute leurs arguments, ce qui justifie la règle des signes : multiplier par un nombre négatif revient à ajouter π\pi à l’argument du premier, donc donne un nombre négatif. La multiplication de deux nombres négatifs donne un argument égal à π+π\pi + \pi, ce qui donne un angle de 00, donc un nombre positif.

Il y a cependant une grosse différence entre R\mathbb R et C\mathbb C : il n’y a pas de relations d’ordre dans C\mathbb C. En clair, on ne peut pas dire si un nombre est plus grand ou plus petit qu’un autre. Géométriquement, on le voit bien : sur la droite des réels, on peut aller de gauche à droite, du plus petit nombre vers le plus grand. Mais dans le plan complexe, comment ferait-on ?

Alors certes, on peut essayer d’en bricoler une, de relation d’ordre.
Il faut tout d’abord qu’elle soit compatible avec R\mathbb R. On pourrait donc par exemple dire qu’un nombre est plus grand qu’un autre si sa partie réelle est plus grande. Mais cette règle seule ne permettrait pas de différencier 00 et ii par exemple. Rajoutons donc une autre règle : si les parties réelles sont égales, le nombre ayant la plus grande partie imaginaire sera considéré comme le plus grand.

Nous avons donc créé une relation d’ordre parfaitement définie. Oui mais voilà, cette relation n’est pas compatible avec la multiplication. Rappelez-vous, la multiplication entraîne une rotation, donc par exemple la multiplication de deux nombres à parties réelles ou imaginaires positives peut donner un nombre à parties réelles ou imaginaires négatives… donc plus petit…

C’est pour cela qu’on n’utilise pas cette relation d’ordre sur C\mathbb C. Qu’est-ce que cela change, me direz-vous ? Eh bien, beaucoup de choses :

  • Sur R\mathbb R, on a l’habitude de parler d’intervalles (]a,b[]a,b[ par exemple). Or sur C\mathbb C, cela n’a plus aucun sens de parler d’un nombre compris entre aa et bb !
  • Lorsqu’on étudie des fonctions complexes, peut-on encore parler de fonction croissante ? décroissante ? de suites bornées ou majorées ?
  • La notion de limite a-t-elle encore un sens ? (Que signifie «zz tend vers 00 » dans C\mathbb C ?)

Bref, beaucoup de questions. Mais rassurez-vous, tout ne s’écroule pas. Au contraire, tout cela ouvre un autre monde, entièrement nouveau, celui de l’analyse complexe. Et un monde complet à découvrir, rien ne peut faire plus plaisir à un mathématicien.


Les notions que nous venons de voir sont géométriquement très simples, mais pourtant assez difficiles à assimiler : nos notions intuitives de nombres, d’additions, de multiplications… se voient soudainement projetées dans un plan assez abstrait, ce qui fait des nombres complexes une notion peu intuitive. Il suffit de voir comment elle a mis des siècles à être acceptée pleinement par nos plus grands mathématiciens !
Pour bien les assimiler, une bonne vision géométrique du concept me semble nécessaire. C’est pourquoi je vous encourage à regarder cette vidéo, qui présente de manière très visuelle ce que nous avons vu jusqu’ici :