Formalisme et réalisme

Les maths sont une science formelle, c'est bien connu, mais où est donc le réel ?

Cela ne devrait pas vous étonner si je dis que les mathématiques sont une science formelle. D'ailleurs, en parlant mathématiques, vous penserez certainement à des formules longues et compliquées, comme celle-ci (il s'agit de l'équation des géodésiques) :

$$ \ddot{x}^k + \Gamma^k_{ij}\dot{x}^i\dot{x}^j = 0.$$

Mais où est donc la réalité des objets mathématiques ? Comment existent-ils ?

Rassurez-vous, cet article ne contiendra que peu de formules, où toutes les significations seront introduites pour que la lecture soit facile, même pour un non-initié.

Cet article est un peu particulier. Bien que fondé sur des article de recherche récents et sur du contenu mathématique, je laisse paraître de nombreuses réactions personnelles qui n'engagent que moi. Ces apports (que certains qualifient de subjectifs) peuvent, et j'encourage à, être soumis au débat dans le but de travailler sur les questions posées par le sujet présenté. Lorsque le format de tribunes libres sera disponible, cet article y sera migré.

Le formalisme des nombres complexes

On introduit très souvent l'existence des nombres complexes comme étant solutions d'un problème insoluble autrement. On lit par exemple dans le tuto sur la saga des nombres de Looping

Cependant, avec les réels, une autre opération s'est avérée impossible : la racine carrée de $-1$ n'existe pas.

Alors, que fait-on quand une opération est impossible ? On invente un autre type de nombre, pardi !

Une question très légitime se pose : a-t-on le droit de procéder ainsi ?

Pour répondre à cette interrogation, je vous propose de lire un précédent article sur les définitions dont je suis également l'auteur. On peut notamment y lire que l'on devrait accompagner chaque définition, d'une preuve de cohérence. En d'autres termes, oui, on a le droit de définir $i$ par la relation $i^2=-1$, à condition que l'on puisse aussi montrer que les résultats que l'on obtient n'entrent pas en contradiction.

Or, cela semble bien compliqué de montrer la non-contradiction. C'est pour cela que les nombres complexes ont d'autres approches mathématiques.

L'une d'entre elles est la suivante, que je vais vous expliquer brièvement. Cela permettra, au passage, à certains de pouvoir prendre connaissance des nombres complexes s'ils ne leur sont pas familiers.

Une organisation mathématique des nombres complexes

Par la suite, on utilisera exclusivement cette approche. On dira qu'un nombre complexe, c'est la donnée de deux nombres réels ordonnés (il y en a un premier et un second).

Par exemple, un nombre complexe $z$ est la donnée de deux nombres réels, disons $a$ et $b$. On notera cela $z = a + ib$.

Ici, il est important de noter que $i$ n'a d'autre utilité que de signifier que $a$ est le premier nombre réel et $b$ le second. On dira aussi que $a$ est la partie réelle de $z$ et $b$ la partie imaginaire.

Rien de bien compliqué jusqu'ici, on définit les nombres complexes comme des mots $a+ib$ : la première lettre désigne le premier nombre réel (la partie réelle), et la dernière lettre désigne le second nombre réel (la partie imaginaire).

Maintenant on va donner une structure algébrique aux nombres complexes. On va :

  • définir les opérations de conjugaison, d'addition, soustraction, multiplication et division sur les nombres complexes ;
  • montrer qu'un nombre réel s'identifie naturellement à un nombre complexe très particulier.

Opérations algébriques

Soit $z=a+ib$ un nombre complexe. On commence par définir son conjugué, il s'agit du nombre $z' = a'+ib'$$a'=a$ et $b'=-b$. En d'autres termes, on pourrait écrire $z' = a-ib$. On notera par convention $\bar{z}$ pour désigner le conjugué de $z$.

Cette façon d'écrire les nombres complexes est un peu différente (puisque par exemple, ici, on a un $-$ au lieu d'un $+$). Mais je vais continuer de l'utiliser. Comprenez seulement qu'on a toujours le mot $A+ i B$ mais que $A$ est l'expression indépendante de $i$ et $B$ l'expression « collée » à la lettre $i$.

L'addition de deux nombres complexes $a+ib$ et $c+id$ donne le nombre complexe $(a+c) + i(b+d)$. La soustraction donne $(a-c) + i(b-d)$.

La multiplication de deux nombres complexes peut sembler plus mystérieuse. En fait elle renferme toute la richesse de ces nombres. Elle est définie comme suit : le produit de $a+ib$ et $c+id$, c'est le nombre $(a\times c-b\times d) + i(a\times d + b \times c)$.

Enfin, le quotient de $z=a+ib$ et $w = c+id$ est le nombre $\frac{ac +bd}{c^2+d^2} + i \frac{bc-ad}{c^2+d^2}$. En d'autres termes, c'est le produit par le conjugué du second nombre, divisé par son module au carré (c'est le produit de $w$ et $\bar{w}$).

Et les nombres réels dans tout ça

Un nombre réel $a$ peut s'identifier au nombre complexe $a+ib$ avec $b=0$. En effet, les opérations précédentes sont un prolongement de leurs analogues réels. Par exemple, si $x$ et $y$ sont deux nombres réels alors :

$$x\times y = (x\times y - 0\times 0) + i(x\times 0 + 0 \times y) .$$

Conclusion

On retiendra principalement que :

  • on peut définir les nombres complexes directement à partir des nombres réels ;
  • l'identité $i^2=-1$ provient de la définition du produit.

Quelle réalité pour les nombres complexes ?

S'il est aisé d'accepter la réalité des nombres réels, c'est parce qu'une simple règle graduée permet de les représenter. En effet, les nombres réels sont les points de la droite réelle, c'est-à-dire n'importe quelle droite avec une origine et une direction.

Mais les nombres complexes n'ont pas cette réalité physique immédiate. Il n'existe pas de règle permettant de mesurer un nombre complexe. Quel sens alors leur donner ?

À cela, on donne souvent deux axes de compréhension :

  • leur existence est donnée par leur utilité dans la résolution d'équations algébriques, comme celles du troisième degré (voir le tutoriel précédemment cité sur la saga des nombres complexes) ;
  • leur existence se justifie par une représentation géométrique : le nombre $a+ib$ s'apparente au point de coordonnées $(a,b)$.

Mais à mes yeux ces deux axes présentent de sérieuses lacunes :

  • si la résolution d'équations algébrique peut se faire avec des nombres complexes, les résultats que j'obtiens sont : ou bien réels et alors je n'en sais pas plus sur les nombres complexes, ou bien des nombres complexes et je retombe sur mon problème initial qui est que je ne sais pas ce qu'est un nombre complexe ;
  • si faire le produit de deux nombres réels me donne une aire, mais que me donne alors le produit de deux points du plan ?

Un problème de forme

En 1821, le célèbre mathématicien français Cauchy écrit dans son Cours d'Analyse à l'Ecole Polytechnique, un chapitre dédié aux nombres complexes. Pour introduire ce chapitre, il écrit :

En analyse, on appelle expression symbolique ou symbole toute combinaison de signes algébriques qui ne signifie rien par elle-même, ou à laquelle on attribue une valeur différente de celle qu’elle doit naturellement avoir. On nomme de même equations symboliques toutes celles qui, prises à la lettre et interprétées d’après les conventions généralement établies, sont inexactes ou n’ont pas de sens, mais desquelles on peut déduire des résultats exacts, en modifiant et altérant selon des règles fixes ou ces équations elles-mêmes, ou les symboles qu’elles renferment. L’emploi des expressions ou équations symboliques est souvent un moyen de simplifier les calculs, et d’écrire sous une forme abrégée des résultats assez compliqués en apparence.

C'est bien là tout le problème identifié. Nous faisons face à des nombre formels, c'est-à-dire dont la seule description est donnée par ce que Cauchy appelle des « expressions symboliques ».

À mes yeux, tout le malaise entre mathématiciens et grand public se trouve ici. Le contrat tacite fixé entre les deux lors d'un échange diffère selon les rôles : le mathématicien peut se contenter d'une expression symbolique alors que le grand public désire un rapport au réel plus classique (la longueur mesurée par une règle, par exemple).

Du formalisme aux formes

Étudions rapidement l'étymologie du mot « formel » pour voir ce qu'il s'en dégage, et essayer de comprendre le point de vue des mathématiciens.

On y lit ici que ce mot :

  • exprime le sens de. « précis, exact » ;
  • est emprunté au latin formalis « qui a la forme de ».

C'est ce deuxième sens dont j'aimerais vous soumettre l'analyse. Il me semble que si le mathématicien n'a aucun mal à accepter des écritures formelles, c'est parce qu'il y voit la forme même des objets décrits.

Et les nombres complexes ?

Appliquons cela aux nombres complexes. Pour rappel, ce sont les expressions symboliques (terme emprunté à Cauchy) $a+ib$$a$ et $b$ désignent deux nombres réels. Ces expressions fournissent la description formelle des nombres complexes (en y comprenant la définition des opérations selon les usages).

Le malaise précédemment établi peut se décrire dans les termes suivants.

Malaise, première formulation : le mathématicien comprend les nombres complexes par leurs expressions formelles, le grand public non.

On a vu par une étude rapide du mot « formel » que le malaise pouvait se reformuler de la façon suivante.

Malaise, deuxième formulation : pour les mathématiciens, le formalisme donne la formes aux objets mathématiques, contrairement au grand public.


Quelle conclusion ?

Maintenant que nous avons bien cerné le problème, qu'en dire ? Je me permets ici de conclure mon article, alors qu'en fait il ne devrait en être qu'à l'introduction.

Il me semble que si l'on cherche profondément à comprendre la réalité des nombres complexes, elle réside dans leur écriture. J'ai introduit ici les nombres complexes comme étant des mots sur lesquels on pouvait faire des opérations, il me semble que l'on a là la nature même des nombres complexes : ce sont des mots.

Le formalisme donne de la forme aux objets plus qu'on ne le croit. Écrire les mathématiques ne consiste pas qu'à communiquer des opérations et des résultats, c'est aussi le moyen même avec lequel on décrit la réalité des objets mathématiques.

Est-ce que cela est décevant ? Peut-être un peu, mais c'est aussi une formidable façon de voir les mathématiques. On est jamais plus proches des objets que l'on écrit que s'ils sont leur écriture. D'une certaine manière, chercher la réalité des nombres complexes alors qu'on a une expression formelle, revient à chercher autre chose que leur réalité, puisque cette dernière est déjà sous nos yeux.

J'espère aussi que l'espace commentaire nous permettra d'échanger et d'approfondir certains points intentionnellement survolés. Bien à vous !

Références

Quelques références sur mon propos, et de manière plus générale sur les nombres complexes.

  • Sur l'histoire des nombres complexes :Quatre étapes dans l’histoire des nombres complexes : « Quelques commentaires épistémologiques et didactiques », M. Artigue et A. Deledicq, Cahier de Didirem ;
  • Sur les difficultés des étudiants face au formalisme à l'université : Contributions and limits of a specific course on manipulation of formal statements for fresh university students., S. Bridoux et V. Durand-Guerrier, CERME 9, Prague ;
  • Sur l'enseignement des nombres complexes au secondaire : Ces nombres que l’on dit « imaginaires » et Des nombres qui modélisent des transformations, de H. Rosseel et M. Schneider, Petit $x$ 63 et 64 ;
  • Sur le formalisme chez Aristote (lien entre forme et formalisme) : Initier les étudiants à la distinction entre vérité dans une interprétation et validité logique en s'appuyant sur la théorie du syllogisme formel d'Aristote, de V. Durand-Guerrier, HPM Proceedings 2016, Montpellier.

36 commentaires

Une science qui n'a eu pratiquement aucune utilité pendant des siècles, c'est la théorie des nombres. Mais ils étudiaient les nombres, des entités utilisées tous les jours ("ils partent des abstractions mathématiques qui ont déjà résolu un ou plusieurs problèmes", comme dit Yarflam) et ca a fait faire "des progrès en maths de manière autonome", comme dit c_pages)

Tu veux dire qu'elle n'a eu aucune application. Ce n'est pas pour autant que la théorie des nombre n'a pas été utile. En tout premier lieu, l'arithmétique a été une source de motivation pour de nombreux matheux, qui ont travaillé ensuite à des choses qui ont eu des applications bien plus immédiates.

Si Euler s'était rendu compte que les graphes ne menaient à rien de bien intéressant, la théorie se serait arrêtée rapidement.

Oui, probablement, mais la question de l'intérêt n'a pas de lien avec celle de l'utilité. À mon sens, la seul fait que ça soit intéressant est une raison suffisante pour l'étudier. Ajoutons à cela l'argument un peu plus philosophique selon lequel il faut vouloir la connaissance pour elle-même, parce qu'elle a de la valeur, et nous arrivons à la conclusion qu'il ne faut jamais restreindre la production du savoir sous prétexte qu'on ne saurait pas où l'appliquer.> > Faire des preuves pourquoi ? Ce n'est pas la raison, c'est le moyen. Prouver que 1+1 vaut 2, c'est bien - mais qu'est-ce que ça m'apporte ?

Sauf que c'est ça. Tout comme un programmeur a son activité qui consiste à faire des programmes, le mathématicien fait des preuves.

Mais faire une preuve ça ne s'arrête pas à la rédiger. Tout comme faire un programme ne consiste pas qu'à le coder. Il y a tout un travail en amont qui est beaucoup plus lourd et important que la rédaction elle-même.

Holosmos

Je suis un peu plus partagé là-dessus. Une partie du travail du mathématicien est de faire des preuves — et dans « faire », j'inclus tout le travail en amont. Mais à mon sens, il y a aussi d'autres choses, qui sont beaucoup plus volatiles. Ça m'est arrivé très souvent de passer plusieurs heures sans écrire la moindre démonstration, mais à seulement réfléchir à un concept : j'ai le souvenir mémorable d'un après midi que j'ai passé sur un triangle à examiner les effets de différents produits scalaires sur ses angles. Je n'ai écrit aucune démonstration, et quasiment aucune formule. Pourtant, j'ai fait des maths en examinant les notions d'angle, de distance et d'invariants.

Idem pour les fractales. Il me semble que les fractales ont été inventées par hasard parce que Mandelbrot les trouvait jolies. Sauf qu'il partait d'un objet existant et bien éprouvé (les nombres complexes), et qu'en plus de les trouver jolies, il y a vu une structure, qui lui semblait intéressante à explorer.

Les travaux de Fatou et Julia était déjà existant. En revanche, l'apparition des ordinateurs et des simulations numériques à redonner un coup de jeune au sujet.

Et pour moi, c'est ça, faire des maths : étudier des structures. "Faire des preuves", ça me semble très réducteur, c'est plus un moyen qu'une fin. Un comptable manipule des nombres, mais ne fait pas de maths (il les utilise comme outil). Par contre la théorie des nombres va étudier la structure de ces nombres.

Mais quand tu fais des preuves … tu étudies les structures.

Je suis un peu plus partagé là-dessus. Une partie du travail du mathématicien est de faire des preuves — et dans « faire », j'inclus tout le travail en amont. Mais à mon sens, il y a aussi d'autres choses, qui sont beaucoup plus volatiles. Ça m'est arrivé très souvent de passer plusieurs heures sans écrire la moindre démonstration, mais à seulement réfléchir à un concept

Ça fait partie du travail de preuve d'arriver à faire des liens conceptuels. Ce n'est pas du tout valorisé scolairement, mais c'est absolument essentiel.

P.-S. — Le fait que 1+1=2 ne résulte pas d'une démonstration, c'est une définition.

Avant d'être une définition mathématique, il a fallu une preuve que "1+1=2". Il a fallu à la naissance des mathématiques comprendre ce que signifiait cette égalité, ce qu'elle impliquait.

Qu'apporte une preuve ? De la connaissance, rien de moins. C'est quand même pas rien.

[…] il ne faut jamais restreindre la production du savoir sous prétexte qu'on ne saurait pas où l'appliquer.

Le savoir / la connaissance répondent toujours à des questionnements. Pourquoi notre objet a t-il cette propriété ? C'est l'idée que j'évoquais plus tôt : on délimite notre objet mathématique et ensuite on le manipule (= on analyse sa structure).

Les preuves sont en outre que le moyen permettant de confirmer l'existence d'un objet mathématique. Pas de définir ou de créer l'objet. L'objet provient soit d'une abstraction que l'on a prouvé, soit d'une hypothèse mathématique (il est vrai que je n'avais pas cité ce cas de figure). L'hypothèse peut correspondre à l'imagination du mathématicien.

P.-S. — Le fait que 1+1=2 ne résulte pas d'une démonstration, c'est une définition.

Avant d'être une définition mathématique, il a fallu une preuve que "1+1=2". Il a fallu à la naissance des mathématiques comprendre ce que signifiait cette égalité, ce qu'elle impliquait.

Oui, il faut comprendre cette égalité. Mais comprendre et démontrer ne sont pas toujours synonymes, même en maths. Et le fait que 1+1 = 2 résulte directement de la manière dont on construit l'ensemble des entiers naturels. Nulle démonstration n'apparaît ici.

Le savoir / la connaissance répondent toujours à des questionnements. Pourquoi notre objet a t-il cette propriété ? C'est l'idée que j'évoquais plus tôt : on délimite notre objet mathématique et ensuite on le manipule (= on analyse sa structure).

Le problème c'est que tu pars d'un principe que tu refuses de discuter.

Il n'est pas si évident que tout savoir doivent répondre à une problématique. Pire, même si c'était le cas, cette problématique qui justifie le savoir peut a priori évoluer.

Les preuves sont en outre que le moyen permettant de confirmer l'existence d'un objet mathématique. Pas de définir ou de créer l'objet. L'objet provient soit d'une abstraction que l'on a prouvé, soit d'une hypothèse mathématique (il est vrai que je n'avais pas cité ce cas de figure). L'hypothèse peut correspondre à l'imagination du mathématicien.

Ça c'est parfaitement faux (le fait qu'on ne crée pas d'objet dans une preuve). Je te renvoie à mon article sur la définition à ce propos et au livre de Lakatos, Preuves et réfutations.

[…] faire des maths, c'est faire des preuves.

Faire des preuves pourquoi ? Ce n'est pas la raison, c'est le moyen. Prouver que 1+1 vaut 2, c'est bien - mais qu'est-ce que ça m'apporte ?

1+1=2 n'est pas un très bon exemple, parce que ça fait intervenir des objets beaucoup trop simples pour qu'on y voit quoi que ce soit (qu'est-ce qui est définition, qu'est-ce qui est théorème, et qu'est-ce qui est calcul, c'est-à-dire un peu les deux à la fois), en tout cas dans une discussion aussi informelle.

Je connais déjà le point de vue de Holosmos là-dessus et je sais que nous ne sommes pas d'accord, mais par la suite tu dis

Avant d'être une définition mathématique, il a fallu une preuve que "1+1=2". Il a fallu à la naissance des mathématiques comprendre ce que signifiait cette égalité, ce qu'elle impliquait.

ce qui me semble être mal posé, personnellement je ne vois pas où tu veux en venir. À mon avis, il faut déjà distinguer la preuve de la démonstration. La démonstration, c'est le fait de montrer quelque chose, comme on le pointerait du doigt. La preuve est censée être plus rigoureuse, plus inattaquable¹. En fait, les mathématiciens font beaucoup plus souvent des démonstrations que des preuves, mais c'est bien normal, parce qu'il est beaucoup plus difficile de faire les secondes que les premières. Moralement parlant, c'est la même chose pour eux, parce qu'une rigueur bureaucratique absolue empêcherait, concrètement, d'avancer en mathématiques.

¹: mais encore faudrait-il définir un cadre dans lequel on peut l'attaquer.

Si j'insiste là-dessus, c'est parce que je pense que c'est un peu ce dont tu parles : on a travaillé avec une intuition du nombre 2 qui était assez juste pour ce qu'on en faisait bien avant de se demander concrètement ce que voulaient dire + ou =, ou de « construire les entiers naturels ». Et je pense que je suis d'accord avec toi pour dire que les travaux en mathématiques n'existent pas sans question sous-jacente : le nombre 2 est une abstraction humaine (pour ce que j'en sais en tout cas, je ne crois pas qu'il existe dans la nature), et il a un but précis.

Cependant, là encore on risque d'arriver aux mauvaises conclusions parce que l'exemple est trop simple : il y a des mathématiciens qui travaillent sur des problèmes (c'est-à-dire, qui cherchent à répondre à des questions) qui n'ont « aucun intérêt » en-dehors des mathématiques, parce que les seules questions qui ont mené à l'étude de ces problèmes (et des objets qu'ils font intervenir) sont issues des mathématiques. Dit autrement, il y a des mathématiciens qui trouvent des réponses à des questions qu'ils étaient les seuls à se poser, mais c'est très bien comme ça.

+0 -0

À mon avis, il faut déjà distinguer la preuve de la démonstration. La démonstration, c'est le fait de montrer quelque chose, comme on le pointerait du doigt. La preuve est censée être plus rigoureuse, plus inattaquable.

Je vois pas ce qui est moins rigoureux dans ce que tu appelles « démonstration ».

Moralement parlant, c'est la même chose pour eux, parce qu'une rigueur bureaucratique absolue empêcherait, concrètement, d'avancer en mathématiques.

Et serait parfaitement inutile, puisque les démonstrations remplissent parfaitement leur rôle et les critères d'exigences.

Dis-moi, sur la question dont on est en train de débattre, "Qu'est-ce que faire des maths", tu aurais des docs qui en parlent ? (en ligne si possible pour y avoir accès facilement)

D'ailleurs la première doc que tu références, je l'ai trouvée en ligne ici (d'ailleurs il a l'air d'y avoir plein d'autres docs intéressantes) :
http://www.irem.univ-paris-diderot.fr/articles/les_cahiers_de_didactique/
Tu pourrais peut-être ajouter ce lien pour qu'il soit plus accessible.

Sur l'activité mathématique je n'ai pas de référence. Mais:

  • sur la définition j'ai mis des référence sur mon article sur le sujet.
  • sur l'apprentissage des mathématiques par des mathématiciens : How do mathematicians lean math?: resources and acts for constructing and understanding mathematics de M. H. Wilkereson-Jerde et U. J. Wilensky.

J'ai des pdf que je n'ose pas divulguer ici pour des raisons de droits d'auteur.

Sur l'activité même des mathématiques, je pense qu'il faut se tourner sur les écrits des matheux (Tao, Villani, Poincaré, etc.).

Il y a ce pdf qui est intéressant :
https://www.irif.univ-paris-diderot.fr/~krivine/articles/mathpro2.pdf

Sa thèse en gros, c'est que le cerveau, pour appréhender le monde, s'est construit un programme informatique : par exemple pour comprendre l'espace physique, il s'est construit une classe abstraite plus générique : l'espace euclidien à N dimensions. Tout le monde utilise ce programme pour voir le monde, mais le mathématicien est un hacker qui cherche à comprendre le code source. Et comme il ne travaille pas seul, il communique avec les autres mathématiciens avec un protocole de communication bien défini : le langage mathématique.
Ce qui explique que les objets mathématiques, bien qu'abstraits, soient étonnamment efficaces pour décrire la réalité.

Par contre, il dit au début :

Qu’est-ce que les mathematiques, et pourquoi en fait-on ? Voila bien une question philosophique fondamentale a laquelle tout mathematicien doit faire face un jour ou l’autre. Or il se trouve que, dans mon domaine de recherches, a la frontiere entre la logique mathematique et l’informatique, des outils puissants ont ete decouverts, grace auxquels il me semble possible d’apporter une reponse a ce probleme

Quelqu'un sait de quelle théorie il parle ? (Il évoque l'isomorphisme de Curry-Howard à la fin)

Je partirai de l’id ́ee ou plutôt de la constatation suivante : quand on fait de la recherche mathématique, on a toujours l’impression d’explorer une r ́ealit ́e pr ́eexistante, et non pas de créer quelque chose ex nihilo.

Raté, c'est pas partagé par toute la communauté : c'est la fameuse opposition entre création et découverte des maths.

Or, nous avons un outil évident pour nous repérer dans les trois dimensions de l’espace, ce sont nos deux yeux.

Et les mathématiciens aveugles ? Ou même sans aller aussi loin, on peut très bien sentir différemment les intuitions mathématiques. D'ailleurs j'ai l'impression que c'est une erreur de vouloir plaquer un sens aussi brutalement.


J'ai pas lu la suite, ça m'a fatigué. Mais j'ai l'impression qu'il n'y a rien de testable sur sa théorie. Donc bon, on peut dire un peu tout ce qu'on veut quand on se permet ça.

Looping> Je ne crois pas qu'il faille prendre ce texte trop au sérieux. Jean-Louis Krivine est un mathématicien et un logicien émérite, qui a beaucoup travaillé sur les fondations logiques des mathématiques, et sur leurs connexions avec l'informatique théorique. Tout ce qui est écrit dans ce texte me semble un peu naïf, et je pense qu'il le savait déjà en l'écrivant à l'époque. En tout cas aujourd'hui il n'y a pas à ma connaissance de théorie vraiment aboutie sur des liens entre Curry-Howard et le « cerveau », et pas grand chose d'intéressant à dire non plus sur les entiers naturels.

Ça ne veut pas dire que tout est à jeter dans son texte. C'est juste de la prose, comme l'a dit Holosmos.

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