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Formalisme et réalisme

Les maths sont une science formelle, c'est bien connu, mais où est donc le réel ?

Cela ne devrait pas vous étonner si je dis que les mathématiques sont une science formelle. D'ailleurs, en parlant mathématiques, vous penserez certainement à des formules longues et compliquées, comme celle-ci (il s'agit de l'équation des géodésiques) :

$$ \ddot{x}^k + \Gamma^k_{ij}\dot{x}^i\dot{x}^j = 0.$$

Mais où est donc la réalité des objets mathématiques ? Comment existent-ils ?

Rassurez-vous, cet article ne contiendra que peu de formules, où toutes les significations seront introduites pour que la lecture soit facile, même pour un non-initié.

Cet article est un peu particulier. Bien que fondé sur des article de recherche récents et sur du contenu mathématique, je laisse paraître de nombreuses réactions personnelles qui n'engagent que moi. Ces apports (que certains qualifient de subjectifs) peuvent, et j'encourage à, être soumis au débat dans le but de travailler sur les questions posées par le sujet présenté. Lorsque le format de tribunes libres sera disponible, cet article y sera migré.

Le formalisme des nombres complexes

On introduit très souvent l'existence des nombres complexes comme étant solutions d'un problème insoluble autrement. On lit par exemple dans le tuto sur la saga des nombres de Looping

Cependant, avec les réels, une autre opération s'est avérée impossible : la racine carrée de $-1$ n'existe pas.

Alors, que fait-on quand une opération est impossible ? On invente un autre type de nombre, pardi !

Une question très légitime se pose : a-t-on le droit de procéder ainsi ?

Pour répondre à cette interrogation, je vous propose de lire un précédent article sur les définitions dont je suis également l'auteur. On peut notamment y lire que l'on devrait accompagner chaque définition, d'une preuve de cohérence. En d'autres termes, oui, on a le droit de définir $i$ par la relation $i^2=-1$, à condition que l'on puisse aussi montrer que les résultats que l'on obtient n'entrent pas en contradiction.

Or, cela semble bien compliqué de montrer la non-contradiction. C'est pour cela que les nombres complexes ont d'autres approches mathématiques.

L'une d'entre elles est la suivante, que je vais vous expliquer brièvement. Cela permettra, au passage, à certains de pouvoir prendre connaissance des nombres complexes s'ils ne leur sont pas familiers.

Une organisation mathématique des nombres complexes

Par la suite, on utilisera exclusivement cette approche. On dira qu'un nombre complexe, c'est la donnée de deux nombres réels ordonnés (il y en a un premier et un second).

Par exemple, un nombre complexe $z$ est la donnée de deux nombres réels, disons $a$ et $b$. On notera cela $z = a + ib$.

Ici, il est important de noter que $i$ n'a d'autre utilité que de signifier que $a$ est le premier nombre réel et $b$ le second. On dira aussi que $a$ est la partie réelle de $z$ et $b$ la partie imaginaire.

Rien de bien compliqué jusqu'ici, on définit les nombres complexes comme des mots $a+ib$ : la première lettre désigne le premier nombre réel (la partie réelle), et la dernière lettre désigne le second nombre réel (la partie imaginaire).

Maintenant on va donner une structure algébrique aux nombres complexes. On va :

  • définir les opérations de conjugaison, d'addition, soustraction, multiplication et division sur les nombres complexes ;
  • montrer qu'un nombre réel s'identifie naturellement à un nombre complexe très particulier.

Opérations algébriques

Soit $z=a+ib$ un nombre complexe. On commence par définir son conjugué, il s'agit du nombre $z' = a'+ib'$$a'=a$ et $b'=-b$. En d'autres termes, on pourrait écrire $z' = a-ib$. On notera par convention $\bar{z}$ pour désigner le conjugué de $z$.

Cette façon d'écrire les nombres complexes est un peu différente (puisque par exemple, ici, on a un $-$ au lieu d'un $+$). Mais je vais continuer de l'utiliser. Comprenez seulement qu'on a toujours le mot $A+ i B$ mais que $A$ est l'expression indépendante de $i$ et $B$ l'expression « collée » à la lettre $i$.

L'addition de deux nombres complexes $a+ib$ et $c+id$ donne le nombre complexe $(a+c) + i(b+d)$. La soustraction donne $(a-c) + i(b-d)$.

La multiplication de deux nombres complexes peut sembler plus mystérieuse. En fait elle renferme toute la richesse de ces nombres. Elle est définie comme suit : le produit de $a+ib$ et $c+id$, c'est le nombre $(a\times c-b\times d) + i(a\times d + b \times c)$.

Enfin, le quotient de $z=a+ib$ et $w = c+id$ est le nombre $\frac{ac +bd}{c^2+d^2} + i \frac{bc-ad}{c^2+d^2}$. En d'autres termes, c'est le produit par le conjugué du second nombre, divisé par son module au carré (c'est le produit de $w$ et $\bar{w}$).

Et les nombres réels dans tout ça

Un nombre réel $a$ peut s'identifier au nombre complexe $a+ib$ avec $b=0$. En effet, les opérations précédentes sont un prolongement de leurs analogues réels. Par exemple, si $x$ et $y$ sont deux nombres réels alors :

$$x\times y = (x\times y - 0\times 0) + i(x\times 0 + 0 \times y) .$$

Conclusion

On retiendra principalement que :

  • on peut définir les nombres complexes directement à partir des nombres réels ;
  • l'identité $i^2=-1$ provient de la définition du produit.

Quelle réalité pour les nombres complexes ?

S'il est aisé d'accepter la réalité des nombres réels, c'est parce qu'une simple règle graduée permet de les représenter. En effet, les nombres réels sont les points de la droite réelle, c'est-à-dire n'importe quelle droite avec une origine et une direction.

Mais les nombres complexes n'ont pas cette réalité physique immédiate. Il n'existe pas de règle permettant de mesurer un nombre complexe. Quel sens alors leur donner ?

À cela, on donne souvent deux axes de compréhension :

  • leur existence est donnée par leur utilité dans la résolution d'équations algébriques, comme celles du troisième degré (voir le tutoriel précédemment cité sur la saga des nombres complexes) ;
  • leur existence se justifie par une représentation géométrique : le nombre $a+ib$ s'apparente au point de coordonnées $(a,b)$.

Mais à mes yeux ces deux axes présentent de sérieuses lacunes :

  • si la résolution d'équations algébrique peut se faire avec des nombres complexes, les résultats que j'obtiens sont : ou bien réels et alors je n'en sais pas plus sur les nombres complexes, ou bien des nombres complexes et je retombe sur mon problème initial qui est que je ne sais pas ce qu'est un nombre complexe ;
  • si faire le produit de deux nombres réels me donne une aire, mais que me donne alors le produit de deux points du plan ?

Un problème de forme

En 1821, le célèbre mathématicien français Cauchy écrit dans son Cours d'Analyse à l'Ecole Polytechnique, un chapitre dédié aux nombres complexes. Pour introduire ce chapitre, il écrit :

En analyse, on appelle expression symbolique ou symbole toute combinaison de signes algébriques qui ne signifie rien par elle-même, ou à laquelle on attribue une valeur différente de celle qu’elle doit naturellement avoir. On nomme de même equations symboliques toutes celles qui, prises à la lettre et interprétées d’après les conventions généralement établies, sont inexactes ou n’ont pas de sens, mais desquelles on peut déduire des résultats exacts, en modifiant et altérant selon des règles fixes ou ces équations elles-mêmes, ou les symboles qu’elles renferment. L’emploi des expressions ou équations symboliques est souvent un moyen de simplifier les calculs, et d’écrire sous une forme abrégée des résultats assez compliqués en apparence.

C'est bien là tout le problème identifié. Nous faisons face à des nombre formels, c'est-à-dire dont la seule description est donnée par ce que Cauchy appelle des « expressions symboliques ».

À mes yeux, tout le malaise entre mathématiciens et grand public se trouve ici. Le contrat tacite fixé entre les deux lors d'un échange diffère selon les rôles : le mathématicien peut se contenter d'une expression symbolique alors que le grand public désire un rapport au réel plus classique (la longueur mesurée par une règle, par exemple).

Du formalisme aux formes

Étudions rapidement l'étymologie du mot « formel » pour voir ce qu'il s'en dégage, et essayer de comprendre le point de vue des mathématiciens.

On y lit ici que ce mot :

  • exprime le sens de. « précis, exact » ;
  • est emprunté au latin formalis « qui a la forme de ».

C'est ce deuxième sens dont j'aimerais vous soumettre l'analyse. Il me semble que si le mathématicien n'a aucun mal à accepter des écritures formelles, c'est parce qu'il y voit la forme même des objets décrits.

Et les nombres complexes ?

Appliquons cela aux nombres complexes. Pour rappel, ce sont les expressions symboliques (terme emprunté à Cauchy) $a+ib$$a$ et $b$ désignent deux nombres réels. Ces expressions fournissent la description formelle des nombres complexes (en y comprenant la définition des opérations selon les usages).

Le malaise précédemment établi peut se décrire dans les termes suivants.

Malaise, première formulation : le mathématicien comprend les nombres complexes par leurs expressions formelles, le grand public non.

On a vu par une étude rapide du mot « formel » que le malaise pouvait se reformuler de la façon suivante.

Malaise, deuxième formulation : pour les mathématiciens, le formalisme donne la formes aux objets mathématiques, contrairement au grand public.


Quelle conclusion ?

Maintenant que nous avons bien cerné le problème, qu'en dire ? Je me permets ici de conclure mon article, alors qu'en fait il ne devrait en être qu'à l'introduction.

Il me semble que si l'on cherche profondément à comprendre la réalité des nombres complexes, elle réside dans leur écriture. J'ai introduit ici les nombres complexes comme étant des mots sur lesquels on pouvait faire des opérations, il me semble que l'on a là la nature même des nombres complexes : ce sont des mots.

Le formalisme donne de la forme aux objets plus qu'on ne le croit. Écrire les mathématiques ne consiste pas qu'à communiquer des opérations et des résultats, c'est aussi le moyen même avec lequel on décrit la réalité des objets mathématiques.

Est-ce que cela est décevant ? Peut-être un peu, mais c'est aussi une formidable façon de voir les mathématiques. On est jamais plus proches des objets que l'on écrit que s'ils sont leur écriture. D'une certaine manière, chercher la réalité des nombres complexes alors qu'on a une expression formelle, revient à chercher autre chose que leur réalité, puisque cette dernière est déjà sous nos yeux.

J'espère aussi que l'espace commentaire nous permettra d'échanger et d'approfondir certains points intentionnellement survolés. Bien à vous !

Références

Quelques références sur mon propos, et de manière plus générale sur les nombres complexes.

  • Sur l'histoire des nombres complexes :Quatre étapes dans l’histoire des nombres complexes : « Quelques commentaires épistémologiques et didactiques », M. Artigue et A. Deledicq, Cahier de Didirem ;
  • Sur les difficultés des étudiants face au formalisme à l'université : Contributions and limits of a specific course on manipulation of formal statements for fresh university students., S. Bridoux et V. Durand-Guerrier, CERME 9, Prague ;
  • Sur l'enseignement des nombres complexes au secondaire : Ces nombres que l’on dit « imaginaires » et Des nombres qui modélisent des transformations, de H. Rosseel et M. Schneider, Petit $x$ 63 et 64 ;
  • Sur le formalisme chez Aristote (lien entre forme et formalisme) : Initier les étudiants à la distinction entre vérité dans une interprétation et validité logique en s'appuyant sur la théorie du syllogisme formel d'Aristote, de V. Durand-Guerrier, HPM Proceedings 2016, Montpellier.

36 commentaires

J'avais commencé à discuter avec Holosmos en MP, je reposte mon avis ici :

Je pense que dans ce chapitre tu peux évoquer le fait que les mathématiques sont un langage (allons-y franchement !). D'ailleurs le Bourbaki sur la théorie des ensembles commence par parler de ça : il définit un langage.

On peut d'ailleurs s'interroger sur les raisons d'existence de ce langage. Voici ma proposition : en créant un langage codifié on peut instaurer des règles, et ces règles "encapsulent" la logique, ce qui permet de structurer le raisonnement. Cela permet de créer des assertions, càd des énoncés non ambigus dont la véracité est garanti par construction (un enchaînement de règles valides produit un énoncé vrai).

Mine de rien, c'est un formidable progrès dans le raisonnement humain. Il permet de trancher sans ambiguïté ce qui vrai et ce qui ne l'est pas. Cela évite les raisonnements "avec les mains", les généralisations et raccourcis malhonnêtes voir abusif, les illusions, les paradoxes (du type de celui de Simpson), les arguments d'autorité, etc… qui peuvent enliser un débat dans tout autre discipline ou affaire humaine. De là à dire que les mathématiques sont la science de la vérité, il n'y a qu'un pas (que je ne franchirais pas).

Cela a aussi des conséquence très intéressantes : on se fiche de la "nature" d'un objet (la "nature" des choses semble être un problème de philosophe). Tout ce qui compte c'est les propriétés, c'est à dire les assertions qu'il vérifie (les différents lemmes et théorèmes qui en découlent ne sont rien de plus que des règles supplémentaires dans le langage, règles qui se déduisent des axiomes, que l'on pourrait qualifier de "règles premières").

Ainsi un objet n'est pas défini par ce qu'il est mais comment il se comporte (et donc son interaction avec d'autres objets). Ce qu'illustre cette citation de Henri Poincarré : "Les mathématiciens n'étudient pas des objets mais les relations entre ces objets".

Quelques citations (que tu connais surement) mais qui illustrent mon propos (j'ai pas vérifié l'authenticité des sources) :

  • “En mathématiques, on ne comprend pas les choses, on s’y habitue.”, John Von Neumann
  • “Les mathématiques ne sont écrites que pour les mathématiciens.”, Nicolas Copernic. Ça c'est ce que tu avais l'air de conclure, et je suis plutôt d'accord
  • “Les mathématiques peuvent être définies comme une science dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai.”, Bertrand Russel. Idem pour la première partie de la phrase, la seconde est à prendre avec des pincettes. Je ne sais pas de quand date la citation, ça ne doit pas s'interpréter pareil selon si Russel a dit ça avant ou après que Gödel ait pondu son théorème d'incomplétude.

J'avais déjà formulé un début de réponse, alors je le remets :P.

Je pense que dans ce chapitre tu peux évoquer le fait que les mathématiques sont un langage (allons-y franchement !). D'ailleurs le Bourbaki sur la théorie des ensembles commence par parler de ça : il définit un langage.

Je n'irai pas jusque-là, ce n'est pas mon point de vue. Même si je considère que les objets mathématiques que je connais sont des éléments de langage, je considère que les mathématiques vont plus loin que de l'écriture.

On peut d'ailleurs s'interroger sur les raisons d'existence de ce langage. Voici ma proposition : en créant un langage codifié on peut instaurer des règles, et ces règles "encapsulent" la logique, ce qui permet de structurer le raisonnement. Cela permet de créer des assertions, càd des énoncés non ambigus dont la véracité est garanti par construction (un enchaînement de règles valides produit un énoncé vrai).

Cela est comparable à ce qu'Aristote considère comme des raisonnements de forme (voir la référence de Durand-Guerrier).

Ainsi un objet n'est pas défini par ce qu'il est mais comment il se comporte (et donc son interaction avec d'autres objets). Ce qu'illustre cette citation de Henri Poincarré : "Les mathématiciens n'étudient pas des objets mais les relations entre ces objets".

C'est pourtant le contraire de ce que je dis. La nature même des nombres complexes, c'est leur écriture. Je pense que cette citation de Poincaré doit être comprise autrement. À mon avis il s'agit de voir qu'en mathématiques on s'intéresse à des « gestes » (terminologie ayant un sens épistémologique) plutôt qu'à des exemples particulier.

L'exemple qui me semble flagrant, c'est qu'en topologie algébrique, on confond allègrement les groupes d'homologies avec leurs isomorphes de la forme $\mathbf{Z}^n$. Mais ce n'est pas qu'une confusion, la manipulation des chaînes se fait vraiment comme si on avait affaire qu'à des nombres entiers, on oublie presque totalement les simplexes quand on manipule les sommes algébriquement.

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L'article est trop court, on reste sur sa faim. Pourquoi ne traiter que le cas des nombres complexes? Les complexes sont sûrement le premier exemple qu'on rencontre de maths sans lien apparent avec le réel… Comme il est dit dans l'article, l'introduction "formelle" des complexes permet de mieux comprendre leur nature. Du coup, j'en viens à penser que pour lever le "malaise" entre grand public et mathématiciens, il faudrait enseigner les mathématiques directement accompagnées du formalisme adéquat

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Sujet intéressant à discuter mais si comme tu dis, cet article passera en tribune libre, il sera certainement dépublié puis republié, ce qui fait que tous les commentaires risquent d'être perdus. Du coup ne serait-il pas préférable de faire un sujet sur le forum (et de mettre dans l'article un lien vers ce sujet) ?

L'article est trop court, on reste sur sa faim. Pourquoi ne traiter que le cas des nombres complexes?

Les connaissances et capacités d'écriture de votre humble serviteur sont limités !

Plus sérieusement, c'est parce que je baigne dedans puisque je vais faire une publication sur le sujet (plus ou moins là-dessus). J'ai donc plus en tête les références et éléments importants.

Comme il est dit dans l'article, l'introduction "formelle" des complexes permet de mieux comprendre leur nature. Du coup, j'en viens à penser que pour lever le "malaise" entre grand public et mathématiciens, il faudrait enseigner les mathématiques directement accompagnées du formalisme adéquat

Mais c'est aussi parfois indigeste. On a pas des capacités de mémoire de travail qui nous permettent d'apprendre directement tout le formalisme. Le formalisme c'est bien pour saisir les objets mathématiques, mais la compréhension ne se fait pas que là.

Sujet intéressant à discuter mais si comme tu dis, cet article passera en tribune libre, il sera certainement dépublié puis republié, ce qui fait que tous les commentaires risquent d'être perdus. Du coup ne serait-il pas préférable de faire un sujet sur le forum (et de mettre dans l'article un lien vers ce sujet) ?

Peut-être qu'à cette occasion je ferais le travail de ramener les commentaires les plus notables dans la tribune elle-même, afin d'en garder la trace. On verra bien, de toute façon les tribunes ne sont pas encore là.

J'ai insisté pour le format d'article, parce qu'il y a du contenu (« objectif »). Les références sont là, le travail mathématique et philosophique aussi. ZdS est encore un peu frileux sur les travaux philosophiques et moins conventionnels, ce que je comprends. C'est aussi l'occasion de tester un peu le terrain, on verra bien ce que ça donne.

En fait, si j'interprète bien ta conclusion, cela voudrait dire que les objets mathématiques "n'existent pas". Ils n'ont de réalité que celle qu'on veut bien leur donner en les écrivant.

Prenons le scénario suivant :
Tu définis les nombres complexes comme étant un mot (a,b), avec les opérations qui vont bien.
De mon côté, je définis un objet (a, -b; b, a) avec d'autres opérations (celles des matrices).
On a donc donné réalité à deux objets différents, puisque formalisme différent.

Chacun de notre côté, on va se mettre à étudier nos objets, leurs propriétés… Et puis un jour on discute. Et bien sûr, on s'aperçoit que nos objets ont les mêmes propriétés.

Que doit-on en conclure ? Que nos formalismes sont juste des formes différentes d'un même objet, dont il faut donc aller chercher la réalité profonde ? (vision platonicienne). Ou alors si comme toi, on identifie la forme et l'identité, on considère qu'on a toujours deux objets (car deux formalismes), mais qui par hasard on les mêmes propriétés (sont isomorphes) ?

Je pense que le problème que tu soulèves est exactement le même que le suivant. Pourquoi en voyant la photo d'une voiture, on reconnaît une voiture ?

Sans y faire attention, on a des mécanismes qui nous permettent d'identifier différentes sensations relevant d'un même objet. Ainsi, même si on a de manière apparente différents formalismes, on les identifie et ils relèvent du même objet. C'est donc une vision assez platonicienne, mais aussi très proche de la réalité sensationnelle.

Il me semble aussi que c'est ce qu'il se passe dans la pratique mathématique. On effectue des gestes sur des objets, dont le formalisme donné dépend de la situation (matrice quand on veut revenir à la différentiabilité réelle par rapport à l'holomorphie par exemple).

La nuance qu'il faut donc comprendre dans mon écriture, c'est que j'associe au formalisme les différentes « sensations » qu'on peut avoir. Après tout, qu'on parle du mot $a+ib$ ou $a+a-a+ib$, on sait tous qu'on parle de la même chose, il s'agit vraiment de la même sensation. Pour les matrices, ça peut sembler moins naturel, mais il me semble qu'il en est de même.

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J'ai beaucoup aimé lire cet article, même si comme beaucoup d'autres je reste sur ma faim. Mais il y a une chose qui me semble manquer, c'est le sens que l'on donne à l'écriture mathématique, même si c'est beaucoup plus difficile à définir.

Certes, un nombre complexe c'est une écriture de la forme $a+ib$. Mais j'ai l'impression que c'est quand même un peu plus que cela : en manipulant l'écriture d'un objet mathématique, on lui donne du sens. Je n'arrive pas à trouver les bons mots pour exprimer ma pensée, mais quand même : le nombre complexe $a+ib$ est un être mathématique et se contenter de le voir comme un mot occulte une partie importante de sa signification, non ?

C'est encore plus vrai pour les matrices : à seulement dire qu'une matrice de $\mathbb R^n$ est formellement un tableau de nombre, on perd beaucoup de choses. Notamment le fait que c'est un objet algébrique qui peut avoir de multiples propriétés.

Par contre, là où je te rejoins complètement, c'est qu'il est tout à fait difficile (voire impossible) de donner du sens à un être mathématique sans l'écrire. Mais à mon avis, l'écriture mathématique est simplement le vecteur de ce qu'est l'objet mathématique manipulé, de même que la parole est le vecteur de la pensée sans pour autant être la pensée elle-même.

Je pense que ce que tu essayes de dire, c'est qu'on doit considérer les deux aspects d'un élément mathématique : l'objet et l'outil. La partie objet c'est ce que j'ai essayé de traiter en parlant de formalisme. La partie outil, c'est ce que tu désignes, et c'est aussi ce que j'essaye de rapprocher de la notion de « geste ».

Certains chercheurs vont dans une direction radicalement opposée (je pense notamment à J.J. Salone, mais je ne sais pas s'il a publié sur ce sujet, on en a juste longuement discuté), et pensent qu'il n'existe pas de savoir, mais uniquement des discours. Par exemple, ici, cela reviendrait à dire que les nombres complexes n'existent pas, mais ce sont les gestes et les discours qu'on a qui nous donnent l'impression d'un objet. Personnellement, je ne sais pas quoi en penser, mais je me suis dit que je pourrais glisser ça là.

et pensent qu'il n'existe pas de savoir, mais uniquement des discours

Cela signifie que l'objet et se représentation se confondent. Chose que je peux accepter à condition d'accepter que comprendre un objet et manipuler sa représentation sont également deux choses qui se confondent.

Donc s'il n'y a pas de différence entre "savoir" et "discourir", de quelqu'un qui tiendrait un discours de mathématicien en manipulant tous les symboles et formalismes correctement, et qui prouverait donc théorèmes, on pourrait dire de lui qu'il comprend ce qu'il fait. En fait, manipuler les représentations comme si on comprenait l'objet représenté revient à comprendre l'objet.

Pour moi cela ne signifie pas qu'un objet et sa représentation sont identiques : l'objet existe en tant qu'entité abstraite, caractérisée par ses propriétés (qui elles-mêmes existent en tant qu'entités abstraites, pas en tant que symboles, même si on peut les représenter par des symboles). En revanche la représentation revête toujours un caractère symbolique.

Donc pour moi le débat ne porte pas sur les objets mathématiques pour ce qu'ils sont. Ce sont des abstractions et ça me va très bien, il n'est pas question de parler de représentation.

En revanche le débat porte sur la relation du mathématicien aux mathématiques. Et là, moi je soutiens que le mathématicien manipule uniquement les représentations (ce qui rejoint ce que disait J.J. Salone).

Cela rejoint le problème de la chambre chinoise. Mon avis sur la question est très tranché (et aux antipodes des conclusions de cette expérience de pensée), je pourrais vous en parler des heures mais voici ma conclusion (je vous passe le raisonnement) : il n'y a aucune différence entre "un processus intelligent" (une pensée) et la simulation d'un processus intelligent. Quand on fait une analyse en boîte noire les deux systèmes se comportent de façon identique.

Donc si on manipule correctement les symboles de la chambre chinoise (comprendre : aussi bien qu'un être doué de raison) c'est comme si on les comprenait soi même. J'ai simplement traduit le problème précédent.

En fait, allons plus loin. Pour moi c'est un problème philosophique plus large que celui du formalisme mathématique.

Pour l'être pensant, y-a-t-il une différence entre une banane en tant qu'objet et un objet qu'il perçoit (cette hypothèse est importante, je ne fais aucune hypothèse sur l'existence effective de cet objet) comme ayant le gout, la couleur, la forme, l'odeur et le comportement d'une banane ?

Non. Non pas que l'objet perçut soit une banane (on en sait rien) mais il se comporte pareil pour l'être pensant. Donc en manipulant ce truc (représentant une banane) c'est comme s'il manipulait la banane elle même. Plus paradoxal encore : il n'aura jamais accès à la banane en tant que concept (le malheureux !) il ne pourra toujours que manipuler les représentations symboliques qu'il s'en fait (comme objet jaune, etc…).

Cela est vrai pour toute chose.

Je me rend compte que ce que j'essaie de dire était présent depuis le début dans ton texte, sous une forme plus light :

le mathématicien peut se contenter d'une expression symbolique alors que le grand public désire un rapport au réel plus classique

Voilà tout le problème. Le mathématicien n'espère pas avoir accès à l'essence d'un nombre complexe (pour peu que cela ait du sens d'en parler, ce dont je ne suis pas sûr) puisqu'il manipule la représentation symbolique.

Le grand public, quand il essaie de "comprendre les mathématiques" il n'essaie pas non plus d'accéder au sens profond de ce nombre complexe ! Il veut juste le rattacher à une représentation symbolique familière, et s'il parvient à faire ça il pense avoir "compris", simplement parce qu'il met en relation avec des représentations connues ! (ce qui lui permet de travailler dessus). En effet voir $y=ax+b$ comme une droite (alors que ça n'est qu'une représentation parmi tant d'autre possible de cet objet, au même titre que la formule $y=ax+b$) lui permet de "visualiser" les points d'intersection, etc…

Voici un exemple concret. Moi quand on me dit qu'un tenseur d'ordre 3 $T_{i,j,k}e^{i,j,k}$ est une application multilinéaire $\mathbb{R}^a\times \mathbb{R}^b\times \mathbb{R}^c \longrightarrow\mathbb{R}$ j'ai du mal. Maintenant si j'arrive à imaginer une parallélépipède rectangle composé de plein de petits cubes, qui "mange" trois vecteurs et "recrache" un réel, ça va mieux. On va pas me faire croire que la seconde représentation est intrinsèquement plus claire ! Mais je la comprends mieux, car elle est plus familière.

Le mathématicien, par définition, a plus l'expérience des maths, il a donc déjà un univers symbolique construit autour des concepts mathématiques. Donc les nouveaux concepts y trouvent naturellement leur place sans qu'il y ait nécessité d'un "rapport au réel". Il n'a pas besoin d'aller chercher des symboles parmi le réel !

Cela permet aussi de comprendre l'apprentissage des maths. Au début on relie au concret ("3 bonbons + 2 bonbons égal 5 bonbons") puis une fois que l'univers mathématique est assez large on finit par accepter des représentations de certains objet abstraits sans avoir à les relier au réel; et alors seulement on ose parler d'octonion sans ressentir le besoin de les dessiner, le formalisme suffit.

Voici donc : Malaise troisième formulation

Le formalisme mathématique n'est rien d'autre que l'univers des représentations symboliques du mathématicien. Le grand public n'a pas accès à cet univers par manque d'expérience.

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Pour l'être pensant, y-a-t-il une différence entre une banane en tant qu'objet et un objet qu'il perçoit (cette hypothèse est importante, je ne fais aucune hypothèse sur l'existence effective de cet objet) comme ayant le gout, la couleur, la forme, l'odeur et le comportement d'une banane ?

Non, bien sûr, l'être pensant ne voit pas la différence. Mais pourtant il y en a une. De même que l'on ne peut pas distinguer l'écriture symbolique d'un nombre complexe de ce qu'il est vraiment, il n'empêche que l'écriture n'est pas l'objet. Et c'est l'écriture qui nous donne accès à l'objet.

Au final, tous les scientifiques font ainsi : ils n'ont pas accès à l'objet même de leur travail, ils ne le perçoivent qu'à travers la manière dont ils l'écrivent. Mais dans le fond, ça ne change rien : au fond, ce n'est pas l'écriture qui importe, mais les propriétés intrinsèque de l'être mathématique (ou de n'importe quel être, d'ailleurs). Et il s'avère que la meilleurs façon de mettre à jour ces propriétés est l'écriture. Mais à mon sens, l'écriture reste un outil pour cela. Peut-être que c'est le meilleur qui a jamais existé et que c'est même le meilleur qui puisse être. Mais écrire $a+ib$ n'est qu'un moyen pour accéder à l'essence de l'objet — ce que manifestement tu contextes.

Cela s'applique à toutes les choses : observer une banane, y goûter et la toucher n'est que le moyen pour savoir ce qu'est intrinsèquement une banane. En un mot, il est vrai que la représentation ne peut être que symbolique, mais ce n'est pas pour autant qu'elle ne donne pas accès à ce qu'est vraiment l'objet.

Voilà tout le problème. Le mathématicien n'espère pas avoir accès à l'essence d'un nombre complexe (pour peu que cela ait du sens d'en parler, ce dont je ne suis pas sûr) puisqu'il manipule la représentation symbolique.

Bien que la manipulation se fasse au niveau de la formalisation, je pense toute de même que l'activité mathématique va plus loin. Pour faire une preuve, il ne suffit pas de savoir faire des enchaînements logiques : il faut savoir faire des liens (nouveaux de préférences) entre des connaissances déjà acquises. C'est là, à mon avis, qu'intervient la nécessité de comprendre l'essence des objets.

Bien que la manipulation se fasse au niveau de la formalisation, je pense toute de même que l'activité mathématique va plus loin. Pour faire une preuve, il ne suffit pas de savoir faire des enchaînements logiques : il faut savoir faire des liens (nouveaux de préférences) entre des connaissances déjà acquises. C'est là, à mon avis, qu'intervient la nécessité de comprendre l'essence des objets.

En fait j'ai l'impression qu'on est tous d'accord, et pourtant ça va à l'encontre de ce que tu dis dans ton article. Maintiens-tu toujours ce que tu as écrit quand tu identifies la forme et l'objet : "D'une certaine manière, chercher la réalité des nombres complexes alors qu'on a une expression formelle, revient à chercher autre chose que leur réalité, puisque cette dernière est déjà sous nos yeux." ?

Sinon je suis tombé sur cette vidéo où au début, il présente la vision des maths de Poincaré, qui est assez platonicienne. Il fait la différence entre l'objet et ses représentations.

Sur ce début de vidéo, j'ai deux/trois commentaires.

  • Ce qu'il appuie sur la vision platonicienne de Poincaré m'étonne un peu, j'aurai aimé des références. J'ai l'impression qu'il extrapole un peu. D'autant plus qu'on connait surtout Poincaré pour l'homologie et pas l'homotopie quand il a fondé l'analysis situs. Je viens de vérifier rapidement, et j'ai pas trouvé d'occurrence du mot « homotopie » dans son traité.
  • En théorie de l'homotopie, on a très naturellement une vision platonicienne. C'est en partie du au vocabulaire employé, mais surtout aux gestes qui donnent tout le temps l'impression de « s'extraire » de l'exemple étudié pour se ramener à l'étude d'un objet « supérieur » (qui est d'ailleurs au-dessus dans le vocabulaire utilisé : on parle de revêtement).
  • Cette citation de Poincaré (sur l'art de donner le même nom à des choses différentes) me donne la nausée. Elle est utilisée hors contexte et un peu n'importe comment. Ça mériterait au passage un vrai article avec le retour au texte initial.

Maintiens-tu toujours ce que tu as écrit quand tu identifies la forme et l'objet : "D'une certaine manière, chercher la réalité des nombres complexes alors qu'on a une expression formelle, revient à chercher autre chose que leur réalité, puisque cette dernière est déjà sous nos yeux." ?

Oui. En fait cette phrase il faut pas la comprendre comme l'identification brute entre l'objet et son formalisme. Mais plutôt comme la réponse à « comment sentir l'objet ? ».

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Holosmos, tu oublies un élément important dans toutes tes interventions. Les objets mathématiques modélisent avant tout un problème. Par exemple en reprenant les nombres complexes, on peut construire des fractales de Julia qui sont par définition des suites de nombres qui tendent vers l'infini. La représentation en elle même est intéressante puis-ce qu'elle fait apparaître une répétition de motifs quelque soit le zoom qu'on choisit pour l'observer. Mais l'objet en lui même permet de créer une dimension entre la 1ère et la 2ème dimension, il s'agit d'une propriété répondant par exemple au problème suivant : peut-on créer des dimensions intermédiaires ?

Les objets ont été créer dans le but de résoudre un questionnement. Peu importe le formalisme adopté pour représenter des nombres ou des opérations mathématiques.

Par exemple, je choisi de créer un univers mathématique KoD1k-27b (c'est un nom lambda). Il est très particulier, j'ai l'opération '+' qui multiplie par 2 le premier nombre à gauche avant de l'élever à la puissance par le nombre à droite. L'opération suivante "3+4" reviendrait dans nos mathématiques à calculer l'opération suivante "(3*2)^4". Si nous parlons la même langue, on trouvera le bon résultat. Mais est-ce utile de créer l'univers KoD1k-27b ? La réponse est non, pour le moment un tel formalisme ne répond à aucun problème donné. Peu importe sa représentation, c'est un modèle - a partir du moment où je l'ai défini, il existe et on peut l'utiliser.

A mon avis pour compléter le sujet, se tourner vers les courbes elliptiques ne serait pas une mauvaise chose. Ces objets sont encore plus spéciaux que les nombres complexes, puis-ce que les opérations mathématiques se basent sur la géométrie des courbes. :)

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Holosmos, tu oublies un élément important dans toutes tes interventions. Les objets mathématiques modélisent avant tout un problème.

Non je ne l'ai pas oublié. C'est une vision très utilitariste des maths qui, je pense, ne correspond pas à la réalité de l'activité mathématique.

Par exemple en reprenant les nombres complexes, on peut construire des fractales de Julia qui sont par définition des suites de nombres qui tendent vers l'infini.

Cet exemple est pas mal. Parce que, non, les ensembles de Julia c'est pas ça. D'ailleurs on étudie ces ensembles pour eux-même, indépendamment du questionnement original.

Le problème dans ce que tu dis est là : tu considères que la question originale perdure dans l'objet, alors que ça n'est pas le cas. Même si quelque chose peut motiver la création d'un objet, l'étude même de l'objet n'en dépend pas et n'est pas pris en compte dans la pratique mathématique.

Aujourd'hui on n'enseigne pas l'holomorphie en parlant de résolution de polynômes, on considère que l'algèbre et l'analyse sont deux faces d'une même pièce, mais quelles ne communiquent pas directement.

Mais est-ce utile de créer l'univers KoD1k-27b ? La réponse est non, pour le moment un tel formalisme ne répond à aucun problème donné.

Non, c'est autre chose qui fait que c'est pas intéressant : les résultats de ta théorie sont pauvres ! Et c'est uniquement sur ce critère de fécondité (nouveaux résultats, nouveaux liens) qu'on juge de l'importance d'une théorie, pas sur la question fondatrice.

A mon avis pour compléter le sujet, se tourner vers les courbes elliptiques ne serait pas une mauvaise chose. Ces objets sont encore plus spéciaux que les nombres complexes, puis-ce que les opérations mathématiques se basent sur la géométrie des courbes.

L'intérêt de parler de nombres complexes, c'est que c'est un sujet assez riche du côté épistémologique, et suffisamment simple mathématiquement. Je vois pas trop ce qu'apporteraient les courbes elliptiques.

Mais écrire a+ib n'est qu'un moyen pour accéder à l'essence de l'objet — ce que manifestement tu contextes.

Je ne conteste pas ! Je trouve que nos deux explications se complètent bien.

Cela s'applique à toutes les choses : observer une banane, y goûter et la toucher n'est que le moyen pour savoir ce qu'est intrinsèquement une banane. En un mot, il est vrai que la représentation ne peut être que symbolique, mais ce n'est pas pour autant qu'elle ne donne pas accès à ce qu'est vraiment l'objet.

Pour continuer à pousser la métaphore, ce que je veux dire c'est qu'il y a plein de choses que tu ignores sur cette banane (son histoire, son génome, ce que ça fait d'être "elle" au quotidien, la position de chacun de ses atomes).

Quand tu parles de "cette banane" tu n'as bien sûr pas accès à toutes ces informations.

En revanche tu as accès à certaines propriétés :

  • jaune, comme le soleil ou un poussin par exemple
  • fruit, comme une pomme par exemple
  • pousse dans les pays chauds et humides, comme la Martinique par exemple
  • comestible, comme un yaourt par exemple

Etc… tes propriétés sont partagées (partiellement) par d'autres objets.

Tu as donc un graphe de propriétés, ou chaque propriété est adjacente aux objets qui la possède, et chaque objet adjacent à ses propriétés.
Tu construis mentalement ce graphe dont les nœuds sont des représentations symboliques des objets et de leur propriétés.
Et ce graphe est isomorphe - dans l'idéal - au monde qui nous entoure.
Ainsi, en dépit du fait que la représentation symbolique de l'objet (dans le nœud du graphe) n'est pas l'objet, l'être pensant manipule ces représentations comme s'il manipulait l'objet lui même, grâce à cet isomorphisme.

J'aime bien cette idée de graphe. Elle correspond naturellement à la manière dont le cerveau semble fonctionner (par associations d'idées et de concepts), c'est plus satisfaisant que l'image selon laquelle les abstractions seraient "rangées" dans des "tiroirs" virtuels étiquetés par le symbole (qui elle me paraît fausse).

Un exemple pour enfoncer les portes ouvertes. Si un Homme perçoit tout ce qui est rouge en jaune, et tout ce qui jaune en rouge, eh bien il percevra en fait la même chose que tout le monde. Personne ne pourra jamais diagnostiquer ce "défaut" (pas même lui). Il appellera "rouge" ce qu'il perçoit jaune, et vice-versa.
D'ailleurs rien ne prouve que ma perception des couleurs soit la même que la vôtre (pour peu que comparer les perceptions ait un sens, parce qu'elles sont conditionnées par la forme de l'esprit qui les interprète, et nous n'avons pas le même esprit).

Tout ce qui compte c'est l'isomorphisme entre l'univers des abstractions et l'univers des représentations symboliques de ces abstractions, pour l'être pensant.

Et donc par conséquent je suis pleinement d'accord avec vous quand vous dîtes :

Bien que la manipulation se fasse au niveau de la formalisation, je pense toute de même que l'activité mathématique va plus loin. Pour faire une preuve, il ne suffit pas de savoir faire des enchaînements logiques : il faut savoir faire des liens (nouveaux de préférences) entre des connaissances déjà acquises. C'est là, à mon avis, qu'intervient la nécessité de comprendre l'essence des objets.

Et:

Non, bien sûr, l'être pensant ne voit pas la différence. Mais pourtant il y en a une. De même que l'on ne peut pas distinguer l'écriture symbolique d'un nombre complexe de ce qu'il est vraiment, il n'empêche que l'écriture n'est pas l'objet. Et c'est l'écriture qui nous donne accès à l'objet.

EDIT:

Comble du raffinement, la définition la plus "naturelle" de l'isomorphisme c'est :

La même chose représentée de deux façons différentes.

Ce qui achève de donner un sens étonnamment profond à ma phrase dans l'encadré !

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Non je ne l'ai pas oublié. C'est une vision très utilitariste des maths qui, je pense, ne correspond pas à la réalité de l'activité mathématique.

Cette réponse m'intrigue. Il est vrai que je défini plutôt les objets mathématiques comme "des outils pour résoudre des questionnements". Par exemple, les modèles mathématiques utilisés par les savants pour étudier la mécanique quantique montrent un niveau d'abstraction au-delà même du réel. Pour autant (et c'est bien là ma position), une fois les conclusions abouties, les scientifiques peuvent revenir vers des modèles plus physique (= terre à terre avec la réalité) pour expliquer des phénomènes. C'est en ça que je trouve l'intérêt des mathématiques.

J'aimerai en savoir plus sur ta position. Qu'est-ce que tu entends par "l'activité mathématique" ? Qu'est-ce pour toi l'aboutissement des mathématiques ? Ma question est à la limite de sortir du contexte, mais la question de savoir "pourquoi créer des objets mathématiques ?" me semble fondamental pour apprécier au mieux ton sujet.

Je vois pas trop ce qu'apporteraient les courbes elliptiques.

Expliquer la liaison entre l'arithmétique et la géométrie. L'additivité des points s'applique à la représentation d'un objet mathématique. D'un point de vue philosophique, elle n'est tout de même pas anodine - cette découverte a bouleversé m'a représentation des maths.

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J'aimerai en savoir plus ta position. Qu'est-ce que tu entends par "l'activité mathématique" ? Qu'est-ce pour toi l'aboutissement des mathématiques ? Ma question est à la limite de sortir du contexte, mais la question de savoir "pourquoi créer des objets mathématiques ?" me semble fondamental pour apprécier au mieux ton sujet.

Ma position, mais qui est assez largement partagée, est celle que faire des maths, c'est faire des preuves. À ne pas confondre avec l'activité scolaire d'écrire des preuves.

Par exemple, les modèles mathématiques utilisés par les savants pour étudier la mécanique quantique montrent un niveau d'abstraction au-delà même du réel. Pour autant (et c'est bien là ma position), une fois les conclusions abouties, les scientifiques peuvent revenir vers des modèles plus physique (= terre à terre avec la réalité) pour expliquer des phénomènes. C'est en ça que je trouve l'intérêt des mathématiques.

Mais les mathématiques n'ont pas besoin des sciences pour avoir le droit d'exister, elles existent pour elle-même et ont, parfois, des applications. Je sais que c'est un point délicat, mais on peut pas nier que les mathématiciens n'attendent pas le feu vert d'un scientifique pour travailler sur ce qu'ils veulent.

[…] faire des maths, c'est faire des preuves.

Faire des preuves pourquoi ? Ce n'est pas la raison, c'est le moyen. Prouver que 1+1 vaut 2, c'est bien - mais qu'est-ce que ça m'apporte ?

Même si les mathématiciens n'attendent pas les scientifiques pour calculer, ils partent des abstractions mathématiques qui ont déjà résolu un ou plusieurs problèmes (= qui on fait leurs preuves). C'est bien la raison de l'origine des objets mathématiques. Une fois qu'on a un modèle mathématique, on peut le : manipuler, tourner, retourner, démonter, remonter, analyser, déformer, transformer, interpréter, perturber etc etc - pour le comprendre dans son ensemble. Mais je dirai que c'est une étape à postériori, pas la raison de la formation d'un objet mathématique.

[…] faire des maths, c'est faire des preuves.

Faire des preuves pourquoi ? Ce n'est pas la raison, c'est le moyen. Prouver que 1+1 vaut 2, c'est bien - mais qu'est-ce que ça m'apporte ?

Je suis abasourdi par cette question. Qu'apporte une preuve ? De la connaissance, rien de moins. C'est quand même pas rien. Et les preuve en maths ont la remarquable propriété d'être constable uniquement si elles contiennent des erreurs.

P.-S. — Le fait que 1+1=2 ne résulte pas d'une démonstration, c'est une définition.

Même si les mathématiciens n'attendent pas les scientifiques pour calculer, ils partent des abstractions mathématiques qui ont déjà résolu un ou plusieurs problèmes (= qui on fait leurs preuves). C'est bien la raison de l'origine des objets mathématiques. Une fois qu'on a un modèle mathématique, on peut le : manipuler, tourner, retourner, démonter, remonter, analyser, déformer, transformer, interpréter, perturber etc etc - pour le comprendre dans son ensemble. Mais je dirai que c'est une étape à postériori, pas la raison de la formation d'un objet mathématique.

Yarflam

Non, pas toujours. Il y a pléthore d'exemples de constructions mathématiques qui, au moment de leur développement, n'étaient que le fruit de la fertile imagination des mathématiciens, et qui pourtant se sont révélées d'une utilité surprenante bien longtemps après. Prenons l'exemple de l'algèbre de Boole, qui a été développée dans les années 1800. Qui aurait pu dire, à cette époque, que c'était l'outil indispensable pour décrire le fonctionnement des circuits logiques en électronique ? Et ça, c'est un exemple évident qui saute aux yeux. Mais lorsque les mathématiciens et physiciens de XXe siècle ont développé la théorie de la relativité générale, ils n'avaient pas prévu que ça serait indispensable pour utiliser les GPS. Qui aurait pu prévoir que la théorie des graphes, dont les premiers éléments datent du XVIIe siècle, auraient pu servir à l'invention d'Internet, à l'optimisation des réseaux de chemins de fer et à prévoir les consommations d'électricité ? Et que dire de la théorie des ondelettes, née en 1900, et qui aujourd'hui permet de faire des photos numériques ?

Vois-tu, il est inexact que les maths sont motivées uniquement par les besoins des autres sciences. Certes, il y a une forte interaction (et c'est une excellente chose !), mais les progrès en maths peuvent aussi exister de manière autonome, de même qu'ils existent en médecine ou en sciences du comportement.

Faire des preuves pourquoi ? Ce n'est pas la raison, c'est le moyen. Prouver que 1+1 vaut 2, c'est bien - mais qu'est-ce que ça m'apporte ?

Sauf que c'est ça. Tout comme un programmeur a son activité qui consiste à faire des programmes, le mathématicien fait des preuves.

Mais faire une preuve ça ne s'arrête pas à la rédiger. Tout comme faire un programme ne consiste pas qu'à le coder. Il y a tout un travail en amont qui est beaucoup plus lourd et important que la rédaction elle-même.

Pour le reste, je plussoie c_pages.

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Non, pas toujours. Il y a pléthore d'exemples de constructions mathématiques qui, au moment de leur développement, n'étaient que le fruit de la fertile imagination des mathématiciens, et qui pourtant se sont révélées d'une utilité surprenante bien longtemps après. Prenons l'exemple de l'algèbre de Boole,…

L'algèbre de Boole était une tentative de modéliser la logique (le livre de Boole s'appelait An Investigation Into the Laws of Thought).
Comme le dit ton lien, "Les ondelettes ont vu le jour lorsque certains sujets d'étude ont nécessité une analyse en fréquence et en temps"
Les outils qui seront utilisés par la RG ont été inventés pour répondre à un besoin (je sais pas lequel mais je crois que ça a un lien avec l'analyse complexe, surface de Riemann tout ça…)
La théorie des graphes venait d'un problème, peut-être pas utile mais concret (les ponts de Konigsberg)

En fait je pense que vous êtes d'accord quand vous dites :

Vois-tu, il est inexact que les maths sont motivées uniquement par les besoins des autres sciences. Certes, il y a une forte interaction (et c'est une excellente chose !), mais les progrès en maths peuvent aussi exister de manière autonome, de même qu'ils existent en médecine ou en sciences du comportement.

c_pages

Même si les mathématiciens n'attendent pas les scientifiques pour calculer, ils partent des abstractions mathématiques qui ont déjà résolu un ou plusieurs problèmes (= qui on fait leurs preuves). C'est bien la raison de l'origine des objets mathématiques. Une fois qu'on a un modèle mathématique, on peut le : manipuler, tourner, retourner, démonter, remonter, analyser, déformer, transformer, interpréter, perturber etc etc - pour le comprendre dans son ensemble.
Source: Yarflam

Une science qui n'a eu pratiquement aucune utilité pendant des siècles, c'est la théorie des nombres. Mais ils étudiaient les nombres, des entités utilisées tous les jours ("ils partent des abstractions mathématiques qui ont déjà résolu un ou plusieurs problèmes", comme dit Yarflam) et ca a fait faire "des progrès en maths de manière autonome", comme dit c_pages)

Si Euler s'était rendu compte que les graphes ne menaient à rien de bien intéressant, la théorie se serait arrêtée rapidement.

Idem pour les fractales. Il me semble que les fractales ont été inventées par hasard parce que Mandelbrot les trouvait jolies. Sauf qu'il partait d'un objet existant et bien éprouvé (les nombres complexes), et qu'en plus de les trouver jolies, il y a vu une structure, qui lui semblait intéressante à explorer.


Et pour moi, c'est ça, faire des maths : étudier des structures. "Faire des preuves", ça me semble très réducteur, c'est plus un moyen qu'une fin. Un comptable manipule des nombres, mais ne fait pas de maths (il les utilise comme outil). Par contre la théorie des nombres va étudier la structure de ces nombres.
On peut étudier une langue naturelle de manière historique, grammaticale, sociologique… mais si on commence à s'intéresser à sa structure, à tracer des graphes, à chercher des relations,… on fait des maths.
Un physicien, quand il résoud une équa diff, il utilise les maths. Mais quand il s'intéresse à la structure des lois physiques (groupes de symétries, ....), là il fait des maths.

Jusqu'aux mathématiciens qui vont étudier la structure du langage mathématique lui-même…

Et c'est peut-être là l'essence des objets mathématiques : ils sont définis par leur structure (leurs propriétés, leurs invariants…)

Une science qui n'a eu pratiquement aucune utilité pendant des siècles, c'est la théorie des nombres. Mais ils étudiaient les nombres, des entités utilisées tous les jours ("ils partent des abstractions mathématiques qui ont déjà résolu un ou plusieurs problèmes", comme dit Yarflam) et ca a fait faire "des progrès en maths de manière autonome", comme dit c_pages)

Tu veux dire qu'elle n'a eu aucune application. Ce n'est pas pour autant que la théorie des nombre n'a pas été utile. En tout premier lieu, l'arithmétique a été une source de motivation pour de nombreux matheux, qui ont travaillé ensuite à des choses qui ont eu des applications bien plus immédiates.

Si Euler s'était rendu compte que les graphes ne menaient à rien de bien intéressant, la théorie se serait arrêtée rapidement.

Oui, probablement, mais la question de l'intérêt n'a pas de lien avec celle de l'utilité. À mon sens, la seul fait que ça soit intéressant est une raison suffisante pour l'étudier. Ajoutons à cela l'argument un peu plus philosophique selon lequel il faut vouloir la connaissance pour elle-même, parce qu'elle a de la valeur, et nous arrivons à la conclusion qu'il ne faut jamais restreindre la production du savoir sous prétexte qu'on ne saurait pas où l'appliquer.> > Faire des preuves pourquoi ? Ce n'est pas la raison, c'est le moyen. Prouver que 1+1 vaut 2, c'est bien - mais qu'est-ce que ça m'apporte ?

Sauf que c'est ça. Tout comme un programmeur a son activité qui consiste à faire des programmes, le mathématicien fait des preuves.

Mais faire une preuve ça ne s'arrête pas à la rédiger. Tout comme faire un programme ne consiste pas qu'à le coder. Il y a tout un travail en amont qui est beaucoup plus lourd et important que la rédaction elle-même.

Holosmos

Je suis un peu plus partagé là-dessus. Une partie du travail du mathématicien est de faire des preuves — et dans « faire », j'inclus tout le travail en amont. Mais à mon sens, il y a aussi d'autres choses, qui sont beaucoup plus volatiles. Ça m'est arrivé très souvent de passer plusieurs heures sans écrire la moindre démonstration, mais à seulement réfléchir à un concept : j'ai le souvenir mémorable d'un après midi que j'ai passé sur un triangle à examiner les effets de différents produits scalaires sur ses angles. Je n'ai écrit aucune démonstration, et quasiment aucune formule. Pourtant, j'ai fait des maths en examinant les notions d'angle, de distance et d'invariants.

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