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C'est toute une histoire : la seconde

Histoire de l'unité de temps du système international

Qu’est-ce qu’une seconde ? Le quidam dira que la seconde est le soixantième de la minute, qui est elle-même le soixantième de l’heure, elle-même le vingt-quatrième du jour. La personne de science, quant à elle, parlera en termes d’oscillations extrêmement rapides d’un certain type d’atomes. Mais ces définitions ne rendent pas honneur à l’histoire mouvementée de cette unité de temps.

Au cours de sa longue histoire, la seconde est passée du néant aux mouvements astronomiques, avant de s’orienter vers l’infiniment petit. Cet article retrace l’évolution de la seconde, qui témoigne du développement des sciences et techniques de mesure du temps et de leurs usages.

Émergence de la seconde telle qu'on la connaît

Le monde se met à l’heure

Initialement, la seconde n’existait pas. Son histoire commence il y a plusieurs milliers d’années, quand l’humanité a trouvé commode de partager la journée en différentes périodes.

Le premier fractionnement de la journée par les humains est la distinction entre le jour et la nuit, qui remonte sans doute à la nuit des temps. On découpe ainsi la journée en deux périodes inégales (sauf exceptions) et dont les durées varient au cours des saisons. C’est un découpage local : d’une région du globe à l’autre, les cycles du jour et de la nuit sont décalés et les durées du jour et de la nuit diffèrent.

Les Égyptiens anciens sont parmi les premiers à partager le jour et la nuit en sous-parties. Elles étaient au nombre de douze, car ils avaient adopté un système de numération duodécimal. Les heures du jour étaient liées à la course du soleil, et celles de la nuit à l’apparition et la disparition de certaines étoiles dans le ciel.

Le jour et la nuit sont ainsi partagés en parts égales, mais qui sont de durées distinctes pendant le jour et la nuit et variables au cours de l’année ! On retrouve notamment la trace de ces heures variables chez les Romains, dont on connaît bien la gestion du temps, et on peut en documenter l’usage jusqu’au Moyen-Âge. Malgré l’usage général d’heures variables, le découpage en 24 heures égales a été tout de même employé pour des usages spécifiques, comme les calculs astronomiques par les Grecs.

Heures variables des romains.
Heures variables des romains (source).

L’usage des divisions de l’heure n’est pas encore très répandu, et l’heure est de fait l’unité de temps usuelle. En raison de sa variabilité (entre le jour et la nuit, et au cours de l’année), les heures ne rythment pas le temps de manière uniforme. Cette propriété un peu étrange ne pose pas de soucis particulier pour les usages de l’époque (en dehors de l’astronomie). Par exemple, les Romains découpent la nuit en quatre gardes de trois heures chacune, qui sont ainsi plus courtes en été qu’en hiver.

En ce temps-là, l’instrument de référence pour la mesure du temps est le cadran solaire. Il constitue une référence locale, et il y a autant de temps de référence que de cadrans solaires, car chaque endroit sur Terre voit le soleil se lever et se coucher à différents moments. Cela ne pose pas de problèmes majeurs, car les usages ne nécessitent alors pas de synchronisation précise sur de longues distances. Par exemple, la durée des longs voyages, où le décalage horaire est sensible, se compte en jours, et on est bien loin des déplacements à grande vitesse que permettront les moyens de transport qu’on connaît aujourd’hui.

Cadran solaire dans les Jardins botaniques royaux de Kew.
Cadran solaire dans les Jardins botaniques royaux de Kew (source).

Émergence de la seconde

Au 14e siècle, l’avènement des horloges mécaniques permet de découper facilement la journée en 24 heures égales qui deviennent alors communes en Europe. À mesure que la précision des horloges mécaniques augmente, on commence à découper l’heure en sous-parties.

Les premières horloges mécaniques n’ont pas une précision permettant de représenter de manière significative les minutes. Le fractionnement se fait ainsi initialement en deux, trois, quatre et parfois douze parties, mais jamais soixante. Il faut attendre le 16e siècle pour voir apparaître des horloges découpant l’heure en soixante minutes. À la fin de ce siècle, on voit aussi l’émergence des premières horloges indiquant les secondes, mais il faut attendre le 17e siècle, et l’apparition des horloges à pendule, pour qu’elles soient assez précises pour être utilisées en pratique.

L'horloge astronomique de Prague, construite vers 1500.
L’horloge astronomique de Prague, construite vers 1500 (source).

Pourquoi diviser les heures en soixante minutes et les minutes en soixante secondes ? L’habitude du système sexagésimal (base soixante) vient des babyloniens, et a perduré pour la mesure du temps et des angles (minutes d’angle et secondes d’angle). Ce système est pratique, car le nombre soixante a de nombreux diviseurs, ce qui facilite les calculs. Le mot « seconde » vient d’ailleurs du latin médiéval « minutum secunda », qui signifie simplement « minute de second rang ».

Jusqu’au début du 19e siècle, la référence temporelle pour la vie quotidienne reste le passage au zénith, ou tout autre événement astronomique facilement mesurable. Pourtant, les horloges mécaniques, en particulier celles transportables, permettent quelque chose de quasi-impossible auparavant : l’unification du temps. Les observatoires astronomiques synchronisent leurs horloges avec les observations du ciel, et cette référence temporelle est diffusée aux autres usagers, tels que les horlogers. Les heures locales des villes distantes restent cependant désynchronisées, chacun utilisant les observations faites sur place.

Les horlogers de Paris prenant l’heure au régulateur de l’Observatoire, 1817.
Les horlogers de Paris prenant l’heure au régulateur de l’Observatoire, 1817 (source).

Définition astronomique et temps universel

Jour solaire vrai et jour solaire moyen

Dès l’antiquité, on se rend compte que l’heure de passage du soleil au zénith varie au cours de l’année. Elle est périodiquement en retard ou en avance par rapport à l’heure moyenne, selon un cycle qui se répète d’une année sur l’autre. Il est ainsi flagrant que la référence donnée par l’observation du soleil n’est pas utilisable au quotidien sans précaution, car elle oscille légèrement.

Ce phénomène permet la distinction entre deux unités de temps différentes. On dispose d’une part du jour solaire vrai, où la position du soleil donne l’heure : quand il est au zénith, il est midi. Et on dispose d’autre part du temps mécanique des horloges, indépendant du mouvement des astres, et qui s’identifie avec le jour solaire moyen. Quand il est midi à l’horloge, il n’est pas forcément tout à fait midi au soleil.

Le jour solaire moyen doit être ajusté pour obtenir le jour solaire vrai (et réciproquement). Cet ajustement, qui dépend du jour de l’année, s’appelle l’équation du temps, où le mot « équation » a le sens, maintenant vieilli, de « correction ». Elle prend en compte les variations annuelles dues à la variation de la distance Terre-Soleil (l’ellipticité de l’orbite terrestre) et les variations bisannuelles dues à l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre sur elle-même (l’obliquité). L’équation du temps peut-être déterminée par des observations astronomiques. Ainsi, il est de la responsabilité des astronomes de mesurer précisément le jour solaire vrai et de calculer le jour solaire moyen.

Équation du temps.
Équation du temps (source).

Les horloges de l’époque ne sont pas suffisamment performantes pour réaliser précisément le jour solaire moyen. Autrement dit, il est nécessaire de les recaler par rapport au soleil régulièrement, sous peine d’avoir une horloge donnant un temps complètement farfelu.

La seconde comme partie du jour solaire moyen

Les horloges à poids utilisées jusqu’alors sont remplacées par les horloges à balancier au 17e siècle, grâce à l’invention du mécanisme d’échappement. Elles sont suffisamment précises pour conserver l’heure moyenne pendant des jours voire des semaines, de sorte que la différence entre le jour solaire vrai et jour solaire moyen devient notable au quotidien. Cela pose quelques interrogations, notamment pour la vie religieuse, car la vie des monastères et églises est rythmée par des horaires précis.

La précision accrue des horloges permet aussi de mesurer précisément le jour moyen, comme l’a fait l’astronome Christian Huygens. Il est possible de le mesurer avec des précisions de l’ordre de la seconde, alors qu’auparavant, la dérive journalière d’une horloge ne permettait pas une précision aussi importante.

C’est aussi dans cette période que la seconde est définie comme la fraction 86 400e du jour solaire moyen1. On sait que cette définition a été utilisée pendant des décennies. Par exemple, elle est utilisée par le physicien Karl Friedrich Gauss dans un ouvrage de 1809 et l’heure de Paris adopte le jour moyen (et donc la seconde moyenne) en 1826. L’unité ainsi définie est adoptée ensuite dans les systèmes d’unités CGS (1874), MKS (1946) et enfin SI (1954).

Le jour solaire moyen (et la seconde qui en découle) constitue une première unité de temps universelle. Elle a des propriétés pratiques :

  • elle a la même durée pour tous, quelle que soit la position sur Terre ;
  • elle est facilement réalisable, grâce aux horloges mécaniques ;
  • elle est en apparence uniforme, contrairement au jour solaire vrai.

Curieusement, cette définition n’a jamais été adoptée formellement par un organisme international. L’usage de cette définition était tellement établi qu’elle n’est pas même pas mentionnée lors des premières travaux pour unifier la métrologie mondiale, qui datent de la fin du 19e siècle. On en trouve ainsi nulle trace dans les résolutions de la première Conférence générale des poids et mesures (CGPM) de 1889, qui constitue la première grande conférence au cours de laquelle des pays du monde entier se réunissent pour s’accorder sur les définitions métrologiques. Cette première conférence ne traite finalement que de la définition du mètre et du kilogramme, alors que la seconde fait partie des systèmes d’unités en usage à l’époque, tels que le système CGS.

Les premières échelles de temps universelles

La définition de la seconde grâce au jour solaire moyen établit une unité de mesure universelle. Cependant, pour horodater précisément des événements partout dans le monde, il manque encore une référence commune.

Le besoin d’une référence commune naît avec les chemins de fers en Angleterre. Il faut s’imaginer qu’à l’époque, chaque ville d’importance à son heure propre. S’il est 12h à Londres, le soleil moyen de Birmingham, plus à l’ouest indiquera de l’ordre de 15 min de moins. Cela pose rapidement des problèmes d’interopérabilité entre les différentes compagnies de chemin de fer, dont les horaires indiquent en général les horaires de la grande gare de leur région. Pour réaliser des fiches horaires, on doit choisir une référence, comme l’est devenu le temps standard du chemin de fer, établi en 1840 en Angleterre.

En 1884, on établit la première référence de temps internationale : le temps solaire moyen de Greenwich (GMT, Greenwich Mean Time). Elle est partagée par tous, et est établie selon le jour solaire moyen tel qu’observé au méridien de Greenwich. GMT donnera par la suite naissance au temps universel (UT) puis encore après au temps universel coordonné (UTC). En France, la référence nationale adoptée en 1891 est le méridien de Paris, qui correspond à l’heure de Greenwich avancée de 9 min et 21 s2.

L’établissement d’un temps universel se fait parallèlement au développement des technologies de diffusion de l’heure à plus large échelle. La télégraphie et la télégraphie sans fil permettent l’envoi de signaux horaires à des dizaines de kilomètres, et plus localement, des systèmes basés sur des horloges électriques permettent de synchroniser des cadrans avec une horloge mère à l’échelle d’une ville (un tel système a existé à Lyon au milieu du 19e siècle).


  1. Car 86 400 = 24 × 60 × 60.
  2. En 1911, la France se met officiellement au temps du méridien de Paris retardé de 9 min et 21 s (la même heure que Greenwich, mais formulée différemment…). C’est en 1978 que le temps légal abandonne la référence au méridien de Paris pour se référer à UTC. Pour en savoir plus : Heure en France.

Nouvelle définition astronomique

La définition de la seconde comme fraction du jour moyen est amplement suffisante pour tous les usages quotidiens. Cependant, les progrès de la physique mettent en lumière ses défauts et appellent à une meilleure définition.

Variation du jour moyen et année tropique

À mesure que les instruments progressent, on commence à suspecter fortement que la rotation de la Terre n’est pas tout à fait uniforme ; autrement dit, le jour moyen varie, et à tendance à diminuer. Les premiers doutes remontent à la fin du 19e et au début du 20e siècle. En 1927, Willem de Sitter publie un article compilant des preuves et incluant une formule pour corriger les variations. Les mesures les plus précises sont permises grâce à des horloges d’un type nouveau : les horloges à quartz. En utilisant les derniers progrès en matière d’électricité, elles battent la mesure avec une précision dépassant les meilleures horloges utilisant des technologies plus classiques.

D’un point de vue métrologique, le problème est relativement grave : la confirmation de la variation du jour moyen montre que l’échelle de temps universelle UT n’est pas uniforme : le temps qu’elle définit, grâce au jour moyen, s’écoule plus ou moins vite… Ceci est contraire à la conception classique du temps de l’époque, le temps newtonien, et même à la toute récente relativité restreinte ! De manière plus pratique, cela signifie simplement que si l’on mesure la durée d’un phénomène avec une horloge calibrée précisément, on peut obtenir une valeur différente si l’on effectue la même expérience quelques années plus tard avec une horloge calibrée tout aussi précisément.

Pour résoudre ce problème de variation du jour moyen, on choisit de se baser sur des phénomènes régit par la mécanique de Newton, tels que le mouvement des astres, car ils sont facilement observables. L’union astronomique internationale (UAI) travaille sur cette question et adopte une nouvelle échelle de temps à l’usage des astronomes en 1952. Cette échelle s’appelle le temps des éphémérides (ET). Elle permet de dater les observations astronomiques et de réaliser des tables astronomiques avec précision.

Le temps des éphémérides introduit une nouvelle définition de la seconde, logiquement appelée « seconde des éphémérides », qui se fonde sur une année tropique. Il s’agit de la durée mise par la Terre pour effectuer un tour complet sur son orbite. Grossièrement, il s’agit de la durée entre deux équinoxes d’automne (ou d’hiver). Chaque année tropique à une durée légèrement différente, aussi on en choisit une précise : l’année 1900. On peut la calculer à l’aide d’observations astronomiques.

Nouvelle définition officielle

En 1956, le Comité international des poids et mesure (CIPM), le bras exécutif de la CGPM donne une nouvelle définition de la seconde basée sur l’année tropique 1900. Cette même définition est ratifiée en 1960, lors de la 11e CGPM. Elle devient alors la nouvelle définition officielle de la seconde du système international. Elle est formulée ainsi :

La seconde est la fraction 1/31 556 925,9747 de l’année tropique pour 1900 janvier 0 à 12 heures de temps des éphémérides.

Résolution 1 du CIPM, 1956

Cette valeur fractionnaire très précise correspond au nombre de secondes dans l’année tropique 1900, qui dure approximativement 365,242 jours (un jour étant 24 × 60 × 60 = 86 400 secondes). Une année tropique, contrairement à une année standard, dure un peu plus de 365 jours. Cela a deux effets sensibles dans la vie quotidienne :

  • il faut ajouter un jour supplémentaire régulièrement pour éviter que le calendrier prenne du retard : c’est le mécanisme des années bissextiles ;
  • la date de l’équinoxe sur le calendrier peut changer de jour : le 22 ou le 23 septembre en fonction des années pour l’équinoxe d’automne.

Cette nouvelle définition résout ainsi le problème de la variation du jour solaire moyen, mais présente d’autres défauts.

Défauts de cette définition

Cette nouvelle définition règle le défaut majeur de la définition précédente, qui était sa non-uniformité au regard des progrès technologiques. Malheureusement, elle retire aussi un avantage, qui était sa facilité de réalisation (avec une bonne vieille horloge mécanique).

Avec la seconde tropique, connaître le temps exact au regard des observations ne peut se faire qu’a posteriori. En effet, pour pouvoir prendre la fraction d’une année tropique, il faut attendre une année, afin que toutes les mesures soient faites et que les calculs de correction puissent être appliqués. C’est embêtant pour la calibration des horloges les plus précises, puisqu’il n’est pas possible de calibrer en mesurant un phénomène en temps réel. En conséquence, l’échelle de temps associée à cette définition, le temps des éphémérides, n’a pas été très utilisée en dehors de l’astronomie.

Les défauts de la seconde de 1960 fait qu’elle n’a pas été largement utilisée. À cette date, les premières horloges atomiques existent déjà et servent de garde-temps. La nouvelle définition ne fera pas long feu.

Définition atomique

L’arrivée des horloges atomiques

Jusqu’à présent, la mesure du temps était étroitement reliée aux mouvements célestes. Les définitions de la seconde, y compris les deux définitions officielles étaient basées sur des phénomènes astronomiques, basées sur les lois de la mécanique. Les horloges utilisaient d’autres phénomènes, comme les balancements d’un pendule, qui sont éminemment mécaniques.

Pourtant au début du 20e siècle, on commence à rentrer dans une ère nouvelle. Les horloges à quartz d’abord, font sortir la mesure du temps des phénomènes purement mécaniques, pour utiliser des découvertes plus récentes des sciences (l’effet piézoélectrique découvert à la fin du 19e siècle et la première horloge à quartz en 1927). Ces horloges ne sont cependant pas assez précises pour offrir une précision sur le long terme et être en compétition avec la définition officielle de la seconde. Elles ont permis cependant de mettre en évidence les défauts de la première définition astronomique (celle fondée sur le jour moyen).

Le basculement arrive avec l’arrivée des horloges atomiques à partir de 1949. Elles montrent très rapidement leur supériorité, avec une précision meilleure que les horloges à quartz, suffisamment stables pour potentiellement redéfinir la seconde, et très pratiques à utiliser. Les progrès sont fulgurants : en 1958, il existe des horloges commerciales à césium pour 20 000 dollars de l’époque (environ 175 000 dollars d’aujourd’hui). On entre alors pleinement dans une nouvelle ère : celle de la physique quantique, qui supplante la mécanique et l’électromagnétisme.

Redéfinition urgente de la seconde

Devant les avancées rapides de la métrologie, la CGPM se presse de lancer l’adoption d’une nouvelle définition basée sur les horloges atomiques. L’urgence est déjà sensible dans la Résolution 10 de la 11e CGPM en 1960, la conférence-même qui ratifie la définition astronomique de la seconde basée sur l’année tropique.

En 1964, la 12e CGPM, dans sa Résolution 5, habilite le CIPM pour proposer une nouvelle définition, et le comité effectue immédiatement (le lendemain) une déclaration1 stipulant les étalons de fréquence, c’est-à-dire les horloges, à utiliser temporairement pour la métrologie, avant la redéfinition officielle. Le choix est fait d’utiliser une transition hyperfine du césium 133.

Finalement, après que les horloges au césium ont définitivement fait leurs preuves, la 13e CGPM en 1967 définit la seconde comme recommandé par le CIPM.

« La seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 »

Résolution 1 de la 13e CGPM

Cette redéfinition ouvre la voie à une nouvelle échelle de temps fondée sur des horloges atomiques.

Le temps atomique international

Dans les années qui suivent cette nouvelle définition, la CGPM s’occupe d’élaborer une nouvelle échelle universelle de temps : le temps atomique international.

En 1970, le Comité consultatif de la seconde, une sous-entité du CIPM réunissant des spécialistes de la métrologie du temps, recommande une définition pour le temps atomique international (TAI). Cette définition est assez vague, mais sanctionne le principe de réalisation : le TAI est réalisé en faisant une synthèse à partir des horloges atomiques de différents laboratoires dans le monde. En 1971, la 15e CGPM (organe de décision) donne le rôle de responsable du TAI à son bras exécutif, le CIPM, marquant ainsi la création officielle du TAI, qui est en réalité déjà réalisé par le BIH (Bureau International de l’Heure, qui réalise aussi UT), dont cette activité sera ultérieurement intégrée au BIPM.

À ce stade, on dispose de deux échelles de temps en usage : le temps des horloges atomiques, le TAI et le temps lié à la rotation de la terre, UT (anciennement GMT). Les deux ne sont pas synchronisées. En fait, c’est même pire, puisque qu’en fait UT est basée sur l’ancienne définition de la seconde, ce qui fait que ces deux échelles glissent légèrement l’une par rapport à l’autre de manière irrégulière. C’est assez embêtant, car cela signifie qu’il n’est pas facile d’utiliser une horloge atomique pour se référer au temps usuel de l’époque (par exemple pour la datation d’événements du type transaction bancaire et d’événements du type « le XX janvier à 00:00:00.00 »).

Le besoin d’une nouvelle échelle de temps réconciliant la seconde atomique et la rotation de la Terre se fait sentir. On élabore le temps universel coordonné à partir d’échelles de temps déjà en usage (notamment l’échelle de temps élaborée conjointement par l’observatoire de Greenwich et celui de la marine américaine) : ses secondes s’égrainent comme le temps atomique international, mais il est recalé si nécessaire sur la rotation de la Terre pour éviter de dériver. En 1975, la 15e CGPM sanctionne l’usage du Temps universel coordonné (UTC) en le recommandant internationalement comme temps légal. C’est encore aujourd’hui le temps légal en usage virtuellement partout, notamment en France.

Les usages des horloges et du temps atomiques

De par leur grande précision, les horloges atomiques autorisent des usages impossibles auparavant :

  • les horloges ultra-précises des satellites GPS sont atomiques et rendent la géolocalisation par satellite possible notamment par la prise en compte des effets relativistes liés à l’altitude ;
  • la mesure très précise de la forme de la Terre peut être faite encore une fois grâce à la relativité générale et des horloges atomiques (géodésie relativiste) ;
  • mesure de variations subtiles de la rotation de la Terre (par exemple par l’International Earth Rotation Service).

  1. p.26 du procès-verbal de la 53e séance du CIPM.

Vers une nouvelle définition atomique

Après la définition atomique de la seconde, les travaux scientifiques visant à améliorer la mesure du temps ont continué pour répondre aux besoins des sciences et de l’ingénierie.

Horloges atomiques aux fréquences optiques

Il est possible d’augmenter la précision des horloges atomiques en augmentant la fréquence des oscillations utilisées. Les horloges atomiques de première génération fonctionnaient à des fréquences dans le domaine des micro-ondes. C’est le cas des horloges de la définition (au césium) et d’autres horloges (au strontium et à hydrogène). Les horloges les plus précises de nos jours fonctionnent dans le domaine optique, c’est-à-dire à des fréquences environ 100 000 fois plus élevées.

Faire des horloges à des fréquences aussi élevées ne s’est pas fait en un jour, mais depuis quelques années déjà, les meilleures horloges optiques sont plus précises que les meilleures horloges dans le domaine des micro-ondes. Cela ouvre la voie à une redéfinition de la seconde en termes d’oscillations d’une horloge optique.

Chemin vers une nouvelle redéfinition

Le chemin vers une redéfinition de la seconde est déjà en cours. Contrairement à la première définition atomique de la seconde, la normalisation se fait en marche ordonnée.

Depuis plusieurs années, la CGPM met à jour régulièrement une liste de représentations secondaires de la seconde, autorisées pour les besoins de la métrologie. Ces représentations de la seconde correspondent à la définition officielle, mais les horloges associées sont bien plus précises, ce qui permet d’ores et déjà d’effectuer des mesures de très grande précision.

Concrètement, il est possible avec ces horloges de mesurer des temps plus finement que la définition même de la seconde. Autrement dit, la définition actuelle de la seconde est totalement inutile pour les besoins de la métrologie de haute précision, puisque l’incertitude sur la définition de la seconde est plus grande que celle des mesures actuelles les plus précises !

Les travaux se poursuivent pour trouver une horloge optique réunissant toutes les conditions nécessaires à une bonne définition de la seconde. Notamment, elle doit respecter des critères stricts de précision, de stabilité, de fiabilité, car la définition de la seconde influe indirectement sur la définition d’autres unités, comme le mètre.

Usages des horloges optiques

Les horloges optiques ouvrent la voie à des usages assez magiques, en tout cas de mon point de vue.

Par exemple, avec une horloge optique, il est possible de mesurer des altitudes sur Terre avec une précision de l’ordre du centimètre, le tout en exploitant les lois de la relativité générale, qui stipule que la fréquence relative de deux horloges dépend du champ gravitationnel dans lequel elles sont plongées. Autrement dit, il est possible de mesurer la différence d’altitude entre deux horloges, seulement en comparant leurs fréquences !

Il sera également possible de tester certaines théories physiques à des précisions jusqu’ici inégalées. Ces tests concernent notamment la relativité générale, et visent à rechercher de potentielles failles ouvrant la voie à de nouvelles théories physiques fondamentales.


Voilà, notre périple nous a amené jusqu’à aujourd’hui. On peut déjà entrevoir le futur proche de la seconde, mais je suis prêt à parier que l’avenir nous réserve encore quelques surprises. :)

Références

Sur la division du jour en heures, minutes et secondes

Sur les définitions astronomiques de la seconde

Sur la définition atomique de la seconde, du temps atomique international et ses usages

Sur l’histoire récente de la seconde et les perspectives de la métrologie du temps

Sur les échelles de temps et leurs réalisations

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12 commentaires

On va dire que la métrologie est ma passion du moment ! Ceci dit, ça passera, car j’ai trouvé hier un livre qui pourrait me donner envie d’écrire un article et il n’a rien à voir avec les unités de mesure. :D

Aabu

Est-ce que ça a un rapport avec les abeilles?

+0 -0

Merci pour cet article passionnant. Un détail :

Ce système est pratique, car le nombre soixante a de nombreux multiples, ce qui facilite les calculs.

Tu ne voulais pas dire que c’est pratique parce que soixante a de nombreux diviseurs ?

Edit: il serait peut-être également intéressant dans la note sur le méridien de Paris de préciser que la France n’est passée à « UTC+1 », son fuseau horaire actuel, que pendant l’occupation allemande (il me semble ?). Ça peut peut-être clarifier l’histoire du méridien de Paris.

Tu ne voulais pas dire que c’est pratique parce que soixante a de nombreux diviseurs ?

Effectivement, c’est une erreur. Ça sera corrigé très prochainement.

Edit: il serait peut-être également intéressant dans la note sur le méridien de Paris de préciser que la France n’est passée à « UTC+1 », son fuseau horaire actuel, que pendant l’occupation allemande (il me semble ?). Ça peut peut-être clarifier l’histoire du méridien de Paris.

On ne peut pas parler de tout ; je vais laisser comme ça. Le paragraphe parle de la référence utilisée, pas du fuseau horaire utilisé par rapport à cette référence. Mais sinon, oui, la France est au fuseau horaire allemand depuis depuis la seconde guerre mondiale.

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