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Salut pierre_24, et merci pour cette interview ! Pour commencer, pourrais-tu te présenter, nous dire un peu qui tu es et ce que tu fais professionnellement ?
Mais de rien, c'est avec plaisir
Je m'appelle Pierre, comme mon pseudo le laisse supposer, j'ai 24 ans et je débute actuellement une thèse de doctorat en chimie à l'université de Namur, en Belgique. Comme les financements sont difficiles à acquérir, j'ai accepté une charge d'assistant.
De formation, je suis chimiste, mais j'ai effectué mon mémoire (et maintenant ma thèse) dans le laboratoire de chimie théorique de mon université. Autrement dit, je suis un "chimiste théoricien", c'est-à-dire que je me base sur les lois de la physique quantique (un peu torturées au passage) pour prédire et étudier les propriétés des molécules. Pour rigoler, mes amis me traitent du coup de "physicien" et n'ont pas tout à fait tort : ce que je fais se rapproche énormément de la physique dans la manière d'aborder les choses (approche mathématique) et de les traiter (les programmes doivent tourner sur des supercalculateurs). Mais enfin ma moitié est chimiste organicien, donc ça m'aide à garder les pieds sur terre.
Pour être plus précis, ma thèse s'articule autour de l'étude du phénomène de diffusion hyper-Rayleigh. Sans entrer dans les détails, lorsqu'on applique un rayon laser d'une certaine fréquence ($\omega$) sur une solution, on peut observer que la solution réémet un rayonnement de fréquence double ($2\omega$). Ce phénomène est par exemple derrière les pointeurs lasers utilisés pour les présentations : la source produit un rayonnement d'une fréquence trop élevée pour que nous humain soyons capable de la voir, à 1064 nanomètres, mais un cristal "convertit" ce rayonnement en un rayon de fréquence double, donc à 512 nanomètres1 : c'est le vert.
Ceci étant dit, comme je reste chimiste de formation, mon but n'est pas d'étudier les cristaux (je laisse ça à mes collègues physiciens) mais les molécules qui présentent le même phénomène. Il s'agit dès lors de calculer, de modéliser et d’interpréter les réponses de molécules, avant de confronter mes résultats à la réalité expérimentale, en collaboration avec un laboratoire de spectroscopie de l'université de Bordeaux. Je travaille donc d'une part sur l'étude de nouvelles molécules (en particulier des interrupteurs moléculaires) et d'autre part sur le développement de méthodes de calculs.
J'ai donc l'occasion de lancer mes calculs (énormément d'intégrales et de problèmes matriciels à résoudre) sur le réseau de supercalculateurs belge, le CÉCI, auquel les 5 universités wallonnes2 ont contribué, ce qui me permet d'obtenir des résultats assez rapidement (sur mon PC, il me faudrait des mois). C'est très excitant et à la fois très frustrant de voir qu'une machine arrive à résoudre en si peu de temps des problèmes aussi énormes, et je profite à plein temps de l'évolution de la puissance calculatoire des processeurs actuels, ce qui permet d'étudier des systèmes toujours plus grands de manière toujours plus précise et efficace !
Peux-tu nous parler de ton métier ? Existe-t-il une journée type ?
Je ne pense pas qu'il existe particulièrement de journée type, à part que ma journée commence toujours à proximité de la machine à café, à laquelle mon mémoire m'a rendu accro.
Du reste, je passe des journées assez remplies, entre l'interprétation des résultats (tableaux et graphes sont mes meilleurs amis), le codage, les séminaires de labo, les réunions avec différentes personnes ou autres. La vie de doctorant est également assez mouvementée, puisqu'on est également tenu de suivre des cours (et oui, encore !), ou encore d'assister à des conférences, voire de réaliser des présentations dans ces mêmes conférences. En effet, outre la recherche, la communication scientifique est également capitale dans le milieu académique. Cet exercice atteint son paroxysme avec la réalisation de "publications" : des articles scientifiques visant à présenter à la communauté scientifique ses découvertes et publiés dans des journaux spécialisés (les plus connus étant probablement Nature et Science, mais il en existe des centaines d'autres rien que dans le domaine de la chimie).
J'ai également mentionné que j'avais accepté d'être assistant, ce qui implique qu'une partie non négligeable de mon temps (environ 50%, selon mon contrat) soit consacrée à la préparation, la réalisation et puis la correction de séances de travaux dirigés et travaux pratiques (en chimie, difficile d'y échapper). Il s'agit vraiment d'une composante de mon "métier" de doctorant qui me plait beaucoup, parce que j'ai toujours aimé partager mon savoir avec d'autres personnes (ce pour quoi je suis actif sur ce site, d'ailleurs).
Quels sont tes passe-temps ? Participes-tu à des activités en dehors de ton métier ?
Tout d'abord, je suis actif dans le développement de Zeste de Savoir, j'ai donc mis un peu de moi dans le code de ce site. Je n'ai pas de rôle en particulier, mais au fil du temps j'ai principalement réalisé de la QA (pour Quality Assurance), autrement dit tester les propositions des autres développeurs pour voir si elles faisaient bien ce qu'ils annonçaient sans introduire de nouveaux bugs. Ce qui est bien, c'est que j'ai le droit de tester toutes les nouveautés de ZdS avant tout le monde ! J'ai également consacré une importante partie de mon temps libre de ces derniers mois à implémenter la ZEP-12 ( refonte totale du module des articles et des tutoriels) avec un autre développeur, artragis. Cette expérience, dont vous entendrez parler très bientôt (sauf si vous êtes curieux), a beaucoup influencé la qualité de mes codes que j'écris "pour le boulot" et ça a donc été très intéressant et enrichissant.
D'autre part, et comme je l'ai déjà dit, j'adore partager mon savoir et le transmettre aux générations futures. Dans ce cadre, j'ai à plusieurs reprises participé aux activités du Printemps des Sciences, qui vise, via des expériences simples et des parcours organisés pour les élèves et parents, à expliquer des phénomènes scientifiques au plus grand nombre. Par ailleurs, j'ai participé l'an passé à la création d'un Kot3-à-projets (le KapForScience) visant le même but mais à destination des étudiants de l'université ! Dans ce cadre, et avec l'accord des personnes concernées, nous avons même réalisé un vieux fantasme d'étudiant : créer la Lab's Night : une soirée dans les labos ou l'on faisait des expériences avec les étudiants et on servait de la bière colorée (pas dans la même pièce, bien entendu) !
Et puis, comme toute personne qui se respecte, je ne dis jamais non à une discussion autour d'une bonne bière4
Un conseil à donner à ceux qui voudraient faire les mêmes études que toi ?
Tout d'abord, un conseil qui me vient de mon expérience de prof particulier : n'ayez pas peur de poser des questions ! Et si je dis ça, c'est pour deux raisons :
- Et d'une, n'hésitez surtout pas à participer aux journées portes ouvertes avant de vous inscrire, voire aux cours ouverts. Ça vous permettra de rencontrer des étudiants qui sont déjà dans le système et qui pourront vous renseigner sur certaines choses qui ne se trouvent sur aucun fascicule. Pareil, vous pourrez probablement rencontrer certains profs, qui ont en général un aperçu du cursus au complet, ce qui n'est pas négligeable.
- Et de deux, ne laissez pas d'intercompréhension s'installer. Si vous n'avez pas compris quelque chose, posez la question. Si poser une question dans un auditoire de 500 personnes vous intimide (et ça peut se comprendre), allez poser votre question après le cours ou envoyez un mail. Les profs ne sont pas là pour vous faire rater5, ils sont là pour vous apprendre quelque chose
Ensuite, à ceux qui voudraient faire des études de chimie, je dirais (mais tout le monde dis ça) que ces études permettent d'être relativement polyvalent en sciences : la formation alliant cours théoriques et pratiques, tout le monde y trouvera son goût, puis la chimie, c'est une science avec plein de facettes différentes : chimie physique, chimie organique, chimie analytique, chimie inorganique, chimie biologique, … Il y a vraiment moyen d'y trouver son compte
Quant à ceux qui hésiteraient à faire un doctorat, je leur conseille la discussion qui a suivi l'interview de Taguan et qui m'a permis de faire mon choix en âme et conscience.
Puis, de manière générale, faites des études qui vous plaisent. Il vaut mieux arrêter en cours d'année que perdre du temps dans un cursus qui ne vous amuse pas. La motivation joue selon moi pour beaucoup dans la réussite, et ce quel que soit le domaine.
Si tu pouvais remonter le temps, te serais-tu orienté vers d'autres domaines ?
Au moment de me demander ce que j'allais faire de ma vie (18 ans), j'ai fait une chose assez idiote : ne sachant pas trop quoi faire, j'ai regardé ma feuille de points et j'ai choisi la matière dans laquelle j'étais le plus doué a priori. Avec le recul, je pense que c'est une très mauvaise manière de procéder, même si ça a marché pour moi. Ceci dit, ça rejoint ce que je disais avant : malgré que j'ai fait de la science, j'ai réussi à concilier ça avec une de mes passions personnelles, la programmation !
Bref, si je devais remonter dans le temps, j'irais probablement secouer mon moi du passé pour lui dire d'y réfléchir à deux fois. Et j'aurais peut-être fini programmeur. Ou prof. Ou alors, quelque chose dans le domaine de l’accueil extrascolaire, ayant été animateur pendant de longues années.
Si je passais te voir, qu'est-ce que je trouverais sur ton bureau ?
Juges-en plutôt:
Ce lieu est un espace de lutte permanent contre l'entropie6 de l'univers
Tu as dit aimer partager ton savoir et, d'une certaine façon, en tant qu'assistant ton travail relève de l'enseignement (comme un professeur). Cette voie étant ouverte, est-ce que l'idée d'être prof remue déjà dans ta tête ?
Je ne suis qu'au début de ma vie d'assistant, je n'ai donc pas encore pu apprécier les "joies" de l'enseignement. Ceci étant dit, c'est vrai que c'est une option que je considère, pour le moment plutôt comme porte de secours, n'étant pas encore dégoûté du monde académique. Je pense ceci dit qu'apprendre et diffuser le savoir autour de soi est très important, et d'une manière ou d'une autre, je serais toujours impliqué dans des activités du type, probablement de vulgarisation.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, donner cours ou vulgariser n'a rien de facile : il faut adapter son discours à ces interlocuteurs sans non plus les prendre pour des c… plus idiots que ce qu'ils sont. Et plus important, il faut accepter de ne pas dire "toute la vérité", ce qui est assez frustrant : arrivé à l'université, je me suis rendu compte qu'on m'avait "menti" durant ma scolarité sur un bon nombre de points, même si je me rends compte aujourd'hui avec le recul que c'était "pour mon bien". Et encore, si donner cours à des adolescents ou des adultes n'est déjà pas forcément facile, les enfants sont encore un défi plus important : il faut en plus rendre l'activité "sexy" pour que l'enfant, dont l'attention décline vite, reste intéressé, et rester concret. Mon expérience d'animateur vient alors au secours, ce qui fait que je m'amuse comme un petit fou lorsque je dois expliquer quelques choses à des plus jeunes (avec, si possible, expériences "impressionnantes" au menu). Dieu soit loué, les plus jeunes sont très curieux de nature.
Il a parfois été soulevé que l'enseignement sur ZdS devrait (ou pourrait) se rapprocher de ce qui se fait dans "d'autres lieux" sur Internet où l'enseignement repose sur des méthodes plus classiques (MOOC vidéos, supports de cours (slides, références), etc.). Penses-tu, en tant que développeur et contributeur, que ce serait effectivement intéressant ?
Tout d'abord, ce qui suit n'est que mon avis et ne devrait en aucun cas être pris pour parole d'évangile sur Zeste de Savoir (ou pour un quelconque avis de l'équipe de dev').
Cette précaution prise, je pense tout d'abord que nous sommes au début de ce mouvement, qui représente probablement un des avenirs de l'enseignement. Ce qui fait que beaucoup d'expériences sont tentées, qui donnent parfois très bien, mais dont les conclusions ne sont pas encore claires sur "ce qui marche bien" et "ce qu'il faut améliorer". Je garde donc un œil sur la question, en attendant que ça prenne forme. Au-delà de ça, je pense que ça rend le cours plus vivant de se l'entendre expliquer par quelqu'un, et slides/vidéos permettent parfois des animations qu'il est plus difficile à mettre en place dans un syllabus ou dans un cours écrit sur ZdS.
Au-delà de ça se pose la question de l'accessibilité : quand un cours en format "texte" est facile à télécharger et stocker pour plus tard, c'est évidement plus complexe (et beaucoup plus lourd) pour des vidéos ou des slides, surtout si on se veut pédagogique. L'avenir va probablement vers la démocratisation de l'internet pour tous et partout, mais je pense qu'il ne faut pas non plus enterrer le format texte pour autant, en tout cas pas tout de suite. Puis, si écrire un tutoriel prend déjà énormément de temps, créer une vidéo en demande probablement encore plus, et je m'incline donc devant toutes ces personnes qui prennent le temps de faire des pastilles vidéos sur Youtube que j'apprécie beaucoup (notamment, pour citer ce que je suis, e-penser, Nota Bene, Dirty Biology, Poisson fécond, Prof Okita ou encore Experiment boy, mais il y a probablement des centaines de bonnes autres chaines).
Le mot de la fin ?
Le programme de calcul que j'emploie principalement, nommé Gaussian (pour des raisons mathématiques7), a pour habitude de terminer son exécution par une citation, qui change à chaque fois. Cette petite citation est une petite source de plaisir, car elle n’apparaît que si le calcul s'est terminé correctement. Et je vous laisserai donc avec une citation dudit programme :
-
Pour rappel, fréquence et longueur d'onde sont liés par la relation $c=\lambda\,\nu$, ou $c$ est la vitesse de la lumière, $\lambda$ la longueur d'onde et $\nu$ la fréquence. Autrement dit, doubler la fréquence revient à diviser la longueur d'onde par deux. ↩
-
La Wallonie est une des deux parties de la Belgique, la partie francophone, … Une fois, dit. ↩
-
Un kot est, en Belgique, une résidence d'étudiant. Un Kot à projet étant du coup un groupe ayant un but commun, reconnu comme tel par l'université qui met alors à disposition un logement à tarif préférentiel pour ces étudiants. Ils sont alors tenus de réaliser des activités au cours de l'année pour animer le campus. ↩
-
Mais alors, une trappiste, une fois, dit ! ↩
-
Enfin, euuuh … Pas tous. ↩
-
Seconde loi de la thermodynamique ;) ↩
-
En chimie quantique, les orbitales atomiques sont approximées par des gaussiennes, ce qui possède un avantage non-négligeable pour résoudre les intégrales bi-électroniques (basiquement des produits de deux gaussiennes) correspondantes. ↩