Une considération qui revient comme un lundi matin, c’est d’apprendre le développement informatique en vidéo (ou comment trouver de bonnes ressources vidéo pour apprendre la programmation, ou la présentation d’un projet pour faire apprendre le langage X en vidéo, etc).
Essayons de faire le tour des arguments pour et contre cette pratique. Je vais essayer d’être le plus neutre possible. Je ne promets pas d’y arriver.
Des arguments ? En voici !
Je ne considère que le cas du développement informatique ! Avec d’autres sujets, il faut rectifier certains arguments !
Le format vidéo pour le développement, c’est pratique parce que…
- Le fait d’avoir une incarnation (présentateur qui parle et qui souvent est visible) rend le format « humain ».
- De plus, cette incarnation permet de faire passer facilement toutes sortes de méta-informations, via le langage corporel, la façon de s’exprimer… ce qui aide à la compréhension et à appréhender là où il va y avoir des difficultés.
- La voix permet aux personnes « auditives » de bien suivre ce qui est dit.
- Le format vidéo permet de diffuser des schémas voire des animations pour expliquer certains concepts, si nécessaire, sans limitation technologique due au format.
- La vidéo est un format « à la mode » qui permet de toucher assez rapidement un public important, principalement jeune – à condition que l’effet « boule de neige » démarre.
- La vidéo permet de toucher un public qui traine habituellement sur les plateformes de vidéo, qui est statistiquement différent de celui vu d’ordinaire sur des sites de tutos écrits par exemple.
- La présentation de la vidéo est identique quel que soit le support utilisé1, ce qui évite des surprises du type « le site a changé de thème et maintenant les textes sont microscopiques ».
- La vidéo est facile à monétiser, quoique récemment il semblerait que ça devienne assez compliqué de gagner quoi que ce soit de notable avec les grands hébergeurs.
Mais le format vidéo a des incompatibilités intrinsèques avec le développement…
- Le format vidéo est difficilement accessible à certaines formes de handicap, en particulier s’il n’a pas été conçu pour (exemple : une vidéo avec l’image et le son qui se complète n’est accessible ni aux aveugles, ni aux sourds, parce qu’il manque dans les deux cas une partie de l’information). C’est d’autant plus dommage que le développement informatique peut se pratiquer malgré de sérieux handicaps (en étant totalement aveugle ou sourd, par exemple).
- Toute modification de la vidéo est complexe et longue. Au mieux, il faut tourner la correction, la monter, et envoyer le résultat. Je ne sais pas si les plateformes d’hébergement habituelles permettent de modifier une vidéo existante. Si tel n’est pas le cas, il faut détruire la vidéo d’origine et la remplacer par l’intégralité de la vidéo corrigée, avec tous les effets de bord induits (comme la perte des marque-pages sur la vidéo d’origine). Corolaires :
- Toute mise à jour est difficile. Or, l’informatique change très rapidement. Dans les technologies de haut niveau, un contenu qui a plus de trois ans aura probablement trop de différences avec l’état de l’art pour être utilisable correctement par un débutant.
- Dans l’hypothèse d’un contenu libre, c’est difficile de faire un contenu dérivé à partir d’une vidéo (version traduite, complétée, corrigée, allégée…)
- Le rythme est imposé, modulo certains hébergeurs qui permettent de varier la vitesse de lecture. Dans tous les cas les actions suivantes sont difficiles, voire impossibles :
- Parcourir rapidement la vidéo (la « feuilleter » en somme).
- Revenir rapidement à un endroit précis (les repères pour « viser » sont peu efficaces), et son corolaire : revenir sur une notion mal comprise.
- Passer rapidement une notion déjà connue (où se finit-elle ?)
- On ne peut pas copier/coller les exemples montrés à l’écran, il faut les retaper intégralement2. C’est long et susceptible d’erreurs de recopie, qui peuvent être longues à déceler, surtout chez un débutant.
- On ne peut pas rechercher dans une vidéo. C’est particulièrement gênant dans le développement où on a souvent besoin d’informations sur un point très précis.
- La relecture par des tiers est assez délicate : soit il faut intervenir très en amont (au moment du script) mais le travail à postériori n’est pas vérifié ; soit il faut revoir la vidéo presque finie, mais les corrections seront lourdes ; et idéalement les deux ce qui est long.
- Récupérer une copie locale d’une vidéo pour consultation hors ligne est long et lourd. C’est aussi très souvent rendu complexe par l’hébergeur.
- En cas de problème avec l’hébergeur, c’est très long de renvoyer ses vidéos sur un autre hébergeur (en admettant que l’auteur ait conservé des copies des originaux, qui sont lourds).
- Le référencement des vidéos est complexe, parce que les moteurs n’ont pas accès à tous les détails du contenu. Or, dans le développement informatique, ces détails sont cruciaux – comme déjà dit, on a souvent besoin de vérifier un détail.
- Le format vidéo reste très consommateur en bande passante, ce qui peut poser problème : campagnes, pays mal pourvus en Internet, connexion du CROUS ou d’entreprise sous-dimensionnée, etc. C’est pire en développement où une vidéo qui montre du code a tendance à l’écrire assez petit, ce qui impose une bonne résolution d’image et donc un haut débit.
Pour être tout à fait honnête, une transcription écrite complète de ce qui est dit dans la vidéo corrige certains de ces points. Hélas, c’est une pratique rare.
N’oublions pas non plus que la vidéo, c’est compliqué à faire…
- L’écriture peut être négligée. Si l’auteur a décidé de suivre un plan général et d’improviser les détails, on se retrouve souvent avec des blancs, des hésitations, et des moments passés à taper une erreur, à voir son erreur, et à la corriger – ce qui n’apporte rien à l’utilisateur.
- Le montage est important. Par exemple il permet de couper les hésitations ci-dessus. Mais ça nécessite des compétences et du temps.
- L’adéquation avec le format n’est pas à négliger. Une vidéo de développement présentant un IDE réglé comme pour du développement « normal » ne sera lisible qu’en haute définition.
- Le débit, le rythme de parole et l’articulation sont très importants pour avoir une vidéo agréable à regarder. C’est un vrai travail compliqué à avoir, surtout sans aucune formation d’acteur ni l’habitude de parler en public – ce qui est fréquent pour qui le métier principal est l’informatique.
- C’est beau de faire des vidéos, mais est-ce que le contenu proposé est adapté au support ? La vidéo, c’est de l’image et du son ; or souvent l’image ne sert pas (on écoute le présentateur) ou l’audio ne sert pas (on le regarde taper des trucs). Voire les deux dans la même vidéo (on l’écoute, puis on le regarde taper des trucs).
Et il y a des arguments qui n’en sont pas !
- « Tout le monde fait des vidéos ». C’est peut-être vrai (ou pas, là n’est pas la question). Mais même en admettant la véracité de cet argument, ça n’en fait pas une raison valide pour faire des vidéos d’apprentissage du développement informatique, puisque c’est une variante de l’argument d’autorité. Notez que l’invalidité de cet argument n’est pas un argument pour ne pas faire de telles vidéos : utiliser cet argument équivaut tout simplement à ne rien dire.
- « La vidéo permet de toucher un grand public ». C’est vrai… ou pas. La vidéo a un potentiel d’effet « boule de neige » assez important (quoique je doute de son efficacité sur le développement informatique), un côté « facile d’accès » et touche facilement un public assez jeune. Toutes les plateformes de vidéo donnent des statistiques de vues, ce qui aide aussi à cette impression. Mais on manque de vraies statistiques comparées aux autres supports.
Et voilà. Ensuite c’est comme tout : face à un projet, il faut peser chaque argument, et se demander si le résultat rends le support vidéo intéressant ou inadapté.
Je ne prétends pas détenir la Vérité Absolue sur le sujet, loin de là, mais ça détaille ma position que j’avais l’habitude d’exprimer rapidement sur divers sujets.
À vous de me dire si vous êtes d’accord avec ou pas ; et quels arguments vous mettriez où.
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