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Un problème mathématique pour se distraire au volant

Où il s'agit de fonctions de la distance

L’autre jour, je m’ennuyais seul au volant de ma voiture. En regardant mon système de navigation, je me suis demandé dans quelles conditions je pouvais avoir le nombre de minutes restantes du trajet égal au nombre de kilomètres restants. On peut en faire un problème mathématique bien défini !

Le problème

Le problème du système de navigation est que le temps restant est une estimation. Mieux vaut changer le problème pour utiliser la distance parcourue au cours du temps depuis le départ. On cherche alors un moment où il s’est écoulé autant de minutes depuis le départ que de kilomètres parcourus.

Le problème peut être modélisé comme suit. On dispose d’une fonction d(t)d(t) qui exprime la distance parcourue depuis le départ en fonction du temps et on cherche à savoir s’il existe une valeur de tt telle que d(t)=td(t) = t. Graphiquement, le graphe de dd croise le graphe de la fonction identité.

Pour correspondre un minimum à la réalité physique, on doit ajouter un certain nombre de conditions :

  • la fonction dd est définie sur un intervalle [0,tf][0, t_f], où 0 est l’instant de départ et tft_f l’instant d’arrivée ;
  • la fonction dd est continue sur son intervalle de définition ;
  • la fonction est croissante (pas forcément strictement) sur son intervalle de définition (on ne revient pas en arrière, mais on peut s’arrêter) ;
  • d(0)=0d(0) = 0 et d(tf)=dfd(t_f) = d_f : on part du kilomètre 0 à l’instant 0 et on arrive à destination après une distance dfd_f à l’instant tft_f.

On espère que ces hypothèses suffisent à trouver une réponse satisfaisante !

Un exemple de courbe possible pour dd.

Explorer (et résoudre) le problème

Alors, une évidence est qu’il y a toujours une valeur telle que d(t)=td(t) = t, puisque d(0)=0d(0) = 0. On cherche à explorer les autres possibilités, celles non-triviales.

En griffonnant un peu, on se rend compte qu’il y a des configurations sans intersection du tout.

Différentes configurations possibles.

Intuitivement, il semble qu’il suffise d’avoir une valeur en dessous et une au-dessus de la courbe dans l’intervalle. Ou d’abord une au-dessus et ensuite une au-dessous.

Sous ces conditions, on a une application du théorème des valeurs intermédiaires. On considère la fonction ff telle que f(t)=d(t)tf(t) = d(t) - t. S’il existe t1t_1 et t2t_2 tels que d(t1)t1d(t_1) \leq t_1 et d(t2)t2d(t_2) \geq t_2, alors on a aussi f(t1)0f(t_1) \leq 0 et f(t2)0f(t_2) \geq 0. Il existe donc une valeur t0t_0 entre t1t_1 et t2t_2 telle que f(t0)=0f(t_0) = 0 et donc t0t_0 est la valeur recherchée, puisque d(t0)=t0d(t_0) = t_0.

On peut faire le même raisonnement en échangeant les signes de f(t1)f(t_1) et f(t2)f(t_2).

Pour résumer, on a les cas suivants :

  • si pour tout tt dans ]0,tf]]0, t_f], d(t)>td(t) > t ou si pour tout t dans ]0,tf]]0, t_f], d(t)<td(t) < t, alors pas d’intersection ;
  • s’il existe t1t_1 et t2t_2 dans ]0,tf]]0, t_f] tels que d(t1)t1d(t_1) - t_1 et d(t2)t2d(t_2) - t_2 soient de signes opposés, alors il y a une intersection.

Rajoutons un peu de physique maintenant.

Et la physique dans tout ça ?

Quelques hypothèses physiques

Les hypothèses initiales oublient quelques éléments importants de la physique :

  • ma voiture a une masse ;
  • on suppose partir avec une vitesse nulle (ma voiture est garée) ;
  • les accélérations infinies n’existent pas (mon moteur a une puissance finie !).

Sans rentrer dans les détails, ceci signifie que la fonction dd est non seulement continue, mais aussi à dérivée continue et donc que la vitesse est continue.

Conséquences sur le problème

La conséquence pour notre problème est primordiale. On part d’une vitesse nulle, et elle varie continûment. Ainsi, toutes les courbes ressemblent à l’origine à ce qu’il y a ci-dessous ! On a une dérivée nulle, ce qui fait que le démarrage est toujours aplati.

Ainsi, par rapport à la section précédente, il suffit à un instant donné d’être au-dessus de la courbe pour finir par l’intersecter, puisqu’il y aura toujours un point en dessous au tout début.

On peut démontrer que dd est inférieure à l’identité localement avec des développements limités, je pense. L’exercice est laissé au lecteur.

Allure de la courbe à l’origine, quand on fait des hypothèses plus physiques.

Un cas particulier est par exemple si df>=tfd_f >= t_f. En rajoutant des unités, je sais que si j’ai fait 70 km en 60 min, alors il y a eu un moment où le nombre de kilomètres et de minutes étaient égaux. Potentiellement 10 mètres après le départ, mais tout de même égaux !

Une petite condition nécessaire

Une autre idée qu’on tire de ça, est qu’il est nécessaire d’avoir une vitesse moyenne suffisante à un instant donné. Par exemple, avec un choix d’unités tel que ci-dessus, il faudrait avoir à un moment donné une vitesse moyenne de 60 km/ 60 min (soit 1 si on oublie les unités), la vitesse moyenne étant définie par d(t)/td(t)/t.

On peut donner une petite démonstration : s’il existe tt dans l’intervalle ]0,tf]]0, t_f] tel que d(t)=td(t) = t alors la vitesse moyenne sera égale à 1 à ce moment-là.

Aucune chance (avec ce choix d’unité) d’intersecter la courbe en vélo pour moi, tant que je ne suis pas champion de cyclisme sur piste !


Alors, me suis-je trompé quelque part ?

Il y a aussi des raffinements possibles, selon qu’on suppose la fonction dd strictement croissante, par exemple.

4 commentaires

Peut-être qu’il s’agissait de conduire une voiture automatique ? ;)

Sinon, pour ma part, j’ai été largué quand « dans quelles conditions je pouvais avoir le nombre de minutes de trajet égal au nombre de kilomètres restants. » est devenu « On cherche alors un moment où il s’est écoulé autant de minutes que de kilomètres parcourus. » (la mise en gras est de moi et c’est pour indiquer mon blocage.) Sans compter que la notion de « conditions » dans ce contexte n’est pas purement mathématique.

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Sinon, pour ma part, j’ai été largué quand « dans quelles conditions je pouvais avoir le nombre de minutes de trajet égal au nombre de kilomètres restants. » est devenu « On cherche alors un moment où il s’est écoulé autant de minutes que de kilomètres parcourus. »

Effectivement, on peut être confus. Je me suis posé la question du nombre de kilomètres et du temps restants (les deux restants, donc est-ce qu’on va se retrouver avec 30 km à faire en 30 min). Sauf que le temps restant est mal défini, donc on peut changer ça en temps passé et kilomètres parcourus sans changer grand chose aux mathématiques.

C’est ce que j’ai voulu expliquer dans le premier paragraphe de la première section. Il manquerait un mot dans l’intro d’ailleurs.

Sans compter que la notion de « conditions » dans ce contexte n’est pas purement mathématique.

Gil Cot

Dans ce contexte-ci, c’est purement mathématique, parce que je l’ai décidé dans le titre du billet. :D

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Arf oui : j’ai oublié le titre en partant dans mes interrogation :D Merci beaucoup pour la réponse ; en effet, en gardant le premier paragraphe en vue les choses s’éclairent :)

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