Un hobby doit-il être productif ; un travail doit-il être agréable?

a marqué ce sujet comme résolu.

Bonjour,

Pour éviter de polluer l’autre thread, j’ai décidé d’en créer un nouveau pour réagir à cette réponse :

Ethymologiquement, à moins que ma mémoire me fasse défaut, le travail désigne une tâche avilissante, voire abrutissante. Qu’il s’agisse de se casser le dos dans un champ ou d’emballer des flacons dans des cartons sur une chaîne de production, je doute que l’on puisse qualifier ces activités de hobby. En ce qui me concerne, je considère le fait que l’on puisse parfois confondre les deux comme l’un des plus grands maux de notre époque.

nohar

Je serais simplement curieux de comprendre ce que tu voulais dire par la phrase que j’ai mise en évidence. J’en profite pour demander aux autres membres ce qu’ils pensent des hobbys : doivent-ils être productifs ou non?

Personnellement je dirai que ce qui compte c’est que l’on soit libre d’être productif ou non. A partir du moment où on se créer un contrainte morale qui nous pousse à être productif, on devient en quelque sorte l’esclave de notre hobby.

Pour moi un choix n’a de sens que quand l’on aurai pu choisir l’autre option. Je choisi d’être productif dans ce que je fais, mais j’aurai pu choisir de ne pas l’être. Ou a l’inverse je choisi la non performance, en sachant que j’aurai pu la chercher si j’en avais eu envie. Et que ça soit un véritable choix, je ne fuis pas la performance par ce que j’en suis incapable par exemple.

Ce principe s’applique a mes yeux à la plupart des choses de la vie, et c’est ce qui fait la valeur des choix d’une personne. La question qu’on doit se poser n’est pas "pourquoi a-t-il agit ainsi" mais "pourquoi n’a t-il pas agit autrement ?". :)

+4 -0

Non, et non.

Bon, je vais essayer de faire une réponse longue et intelligente à cette question brève et stupide (mais pas trop longue, vu l’heure).

Déjà, un peu d’étymologie :

Historique de travail, nom masculin

De travailler ; du latin populaire tripaliare, ‘torturer’ ; du latin tardif tripalium, ‘instrument de torture à trois pieux’.

Le dictionnaire Antidote

Au-delà de cette anecdote, travail désigne l’ensemble des activités dans lesquelles on produit, on crée quelque chose, avec plein de sens dérivés.

Et hobby est un emprunt de l’anglais pour passetemps, une occupation agréable ou un divertissement.

Donc, d’un point de vue lexical, un hobby peut être productif (ou non) et un travail peut être agréable (ou non), sans qu’il n’y ait aucune notion d’obligation d’aucune sorte (même en considérant l’étymologie du mot « travail »). On peut donc considérer que :

  • « Travail » implique « productif » (sans quoi ça n’aurait pas de sens), mais pas réciproquement, et que « travail » est orthogonal à « agréable », les deux notions sont décorrelées.
  • « Hobby » implique « agréable » (sans quoi ça n’aurait pas de sens), mais pas réciproquement, et que « hobby » est orthogonal à « productif », les deux notions sont décorrelées.

Ça, c’est la théorie.

En pratique, la « société occidentale contemporaine » (si tant est que ça veuille dire quelque chose) vient brouiller les pistes. On y trouve une certaine glorification de la « valeur travail » (là encore, quoi que ça veuille dire). Beaucoup de choses sont définies par rapport au travail. Par exemple, quand on se présente, une question habituelle est une variante de « qu’est-ce que tu fais dans la vie » dont la réponse est quasi-systématiquement d’abord l’emploi qu’on occupe. Quelqu’un « d’inactif » est presque toujours mal vu, quel que soit son apport à la société (engagement social, parent au foyer…).

Les derniers apports technologiques ajoutent une couche de messages contradictoires à ce sujet : on jamais autant été sollicité pour « produire » quelque chose, ça n’a jamais été aussi facile de « produire » chez soi sur son temps libre, mais une grosse partie de ces sollicitations sont sur le mode du hobby, voire de la perte de temps pure et dure.

Comme on vit dans une société, on peut supposer que ce qu’on produit devrait être utile à la société, d’une manière ou d’une autre. Or, beaucoup d’occupations très utiles à la société ne peuvent pas être agréables, par nature.

Donc non, un travail ne doit pas être agréable, prétendre ça c’est à la limite du racisme de classe, et méconnaitre tous les boulots chiants qui sont pourtant indispensables à la bonne marche de la société. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’un travail doit être désagréable, comme le prétendent certains RH. En fait, un travail devrait être aussi agréable que possible, et de mon point de vue la pénibilité et l’intérêt sociétal d’un emploi devraient être bien mieux valorisés qu’actuellement – mais ça ressemble à une utopie.

Quant aux passetemps, ils devraient rester ce qu’ils sont par définition : quelque chose d’agréable et de divertissants – si en plus ils se retrouvent productifs, c’est un pur bonus. Je reste intimement persuadé que c’est indispensable à sa santé et à son équilibre mental de savoir lâcher prise et ne rien faire de temps en temps.


En réalité, pour moi le simple fait de penser qu’un travail devrait être agréable ou qu’un hobby devrait être productif est profondément malsain. Ça peut être un choix de vie, mais comme tout choix de vie il devrait rester strictement personnel et ne pas s’imposer au autres.

Par exemple, j’ai la chance1 d’aimer mon boulot et il a parfois un côté qui se rapproche d’un hobby. Il m’arrive aussi d’avoir des passetemps qui ressemblent à un travail, ou de rêver de pouvoir transformer un passetemps en travail. Je suis même parfois très content quand j’ai réussi à produire quelque chose à partir d’un hobby.

Mais tout ça reste un choix, et le plus important est d’être heureux avec ses propres choix. Un de mes cousins a décidé de bosser 35h par semaine à l’usine la plus proche de chez lui pour pouvoir se consacrer au maximum à sa famille et à ses hobbys, et il est très heureux ainsi.

Là où le bât blesse :

  1. Pour toute une certaine catégorie de managers, les employés sont là pour faire le maximum de boulot, et que pour ce faire ils doivent aimer leur boulot, au point de le considérer comme un hobby et de ne plus compter l’investissement. De mon point de vue, à moins d’être fondateur de l’entreprise, c’est aussi toxique qu’un management qui t’oblige à travailler « à la dure », en plus pernicieux.
  2. Un certain nombre de responsables politiques adorent leur travail, ne font presque que ça, ne vivent presque que ça – et c’est sans doute pour ça qu’ils sont arrivés à leur poste. Mais, déconnectés de la réalité de beaucoup de gens, ils ne comprennent pas que l’on puisse penser autrement. Et hélas, ce sont souvent ces politiques qu’on entend dans les médias…

Tentative de faire court : échec total…


  1. On pourrait disserter sur le fait que c’est une chance ou pas, mais c’est hors sujet. 

Je suis totalement d’accord avec Spacefox. D’ailleurs, je viens de me rendre compte que j’ai peut-être utilisé le mauvais mot : quand je parlais de productivité, je parlais en fait surtout de productivité au niveau individuel (dans le sens d’apprentissage, d’amélioration de soi), mais je me rend compte que j’ai fait un mauvais choix de mot. Je ne parlais pas vraiment de productivité au niveau de la société et je suis totalement d’accord sur le fait qu’il est important d’être heureux avec ses propres choix.

+0 -0

Ça ne change pas fondamentalement mon message, en réalité. Pour moi, un passetemps devrait rester ce qu’il est, un moyen agréable de se détendre et de faire ce qu’on aime.

J’ai l’impression que c’est assez récent cette manie curieuse de vouloir tout mesurer, dans une espèce de compétition générale contre les autres ou contre soi-même ; de vouloir que chaque activité produise une amélioration mesurable de quelque chose, même si on en a pas besoin. On pourrait citer par exemple le cas de ces joggers qui courent presque tous avec un smartphone ou un bracelet connecté, qui vont leur sortir des tas de statistiques parfaitement inutiles1. Ou encore la gamification (il y a un terme français ?) de toutes sortes d’activités.

J’ai aussi l’impression que cette recherche permanente de l’amélioration, de la performance et du dépassement de soi dans toutes les activités a des effets pervers sur :

  • La confiance en soi.
  • La capacité à se motiver.

Si quelqu’un a des études sérieuses à ce sujet, ça m’intéresse.


  1. Pour la majorité des gens. Par exemple, c’est utile à mon père qui doit « faire du sport mais en se surveillant » suite à des soucis cardiaques. Mais on ne me fera pas croire que ça concerne tous les possesseurs de ce genre d’outil. 

Ou encore la gamification (il y a un terme français ?)

Oui. Ludification. Un fort joli mot au passage.


Et gros +1 pour SpaceFox.

Ça me fait un peu penser à une discussion que j’avais eu avec d’autre membres de mon club de sport, quand je leur disais que je refusais de participer à des compétitions. L’idée même que l’on ne souhaite pas se confronter aux autres1 ou gagner échappait à certains.


  1. J’ai bien dit « confronter » ; j’apprécie grandement les « rencontres amicales », où nous faisons grosso modo la même chose, mais avec un état d’esprit différent, pour la plupart des gens en tout cas) 

+3 -0

je parlais en fait surtout de productivité au niveau individuel (dans le sens d’apprentissage, d’amélioration de soi)

Ne pourrait on pas arguer que ne rien faire est productif avec cette définition ? Se reposer est capital pour son propre équilibre (et de fait en bonus pour être productif dans le sens professionnel plus tard). Ça déplacerait la question dans une direction qui ne la rendrait pas très intéressante puisqu’il serait alors plus difficile d’imaginer une activité qui ne soit pas productive.

+2 -0

J’ai aussi l’impression que cette recherche permanente de l’amélioration, de la performance et du dépassement de soi dans toutes les activités a des effets pervers sur :

  • La confiance en soi.
  • La capacité à se motiver.
SpaceFox

J’aimerais bien que tu détailles la partie sur la motivation. Il me semble que pour beaucoup, c’est le contraire. La ludification gratifie souvent les séries, et peut motiver pour faire <insérer activité> pour ne pas briser une série de plusieurs semaines.

Je suis partagé sur les montres de course à pied : d’un coté, c’est vrai qu’on se sent plus libre quand on court sans. D’un autre coté, en tant que coureur occasionel (qui se fout des compétitions, si ce n’est qu’elles permettent d’emprunter des chemins qui autrement ne seraient pas dégagés/balisés/..), la montre permet de mesurer (au sens de limiter) son effort, et d’apprécier beaucoup plus la fin de la séance, en n’étant pas sur les rotules. J’aime bien aussi courir sans prévoir d’itinéraire, et regarder où j’ai été grace au GPS ensuite me plait. Après, c’est sûr que je ne l’utilise pas pour voir si je cours 2 secondes au km plus vite que la semaine d’avant, mais je suis quand même dans une logique d’amélioration au long terme. Et une logique de "je ne veux pas me blesser", pour laquelle la montre peut aider (moins que les sensations, mais apport non-nul quand même).

Ça me fait un peu penser à une discussion que j’avais eu avec d’autre membres de mon club de sport, quand je leur disais que je refusais de participer à des compétitions. L’idée même que l’on ne souhaite pas se confronter aux autres[^conf] ou gagner échappait à certains.

Gabbro

En tant que pratiquant d’arts martiaux, j’ai un avis assez catégorique sur les compétitions. Pour moi, ça dénature complètement l’essence des arts martiaux qui visent à faire de toi une personne totale avant de te dire "je suis meilleur qu’untel".

Je pense cependant que les temps évoluent et que les compétitions peuvent permettre de mieux te connaître sur un autre plan. Le tout est peut-être de les accepter avec le plus d’humilité possible : ne pas les faire par pur plaisir d’être le premier et écraser les autres, mais te dire que tu vas t’améliorer toi, avant tout. Et si les autres ont un état d’esprit différent et visent la médaille d’or, c’est leur problème, pas le tien.

Cela dit pour le petit hors sujet.

Pour le reste, je suis assez d’accord avec ce qu’a dit SpaceFox, notamment ceci :

En réalité, pour moi le simple fait de penser qu’un travail devrait être agréable ou qu’un hobby devrait être productif est profondément malsain. Ça peut être un choix de vie, mais comme tout choix de vie il devrait rester strictement personnel et ne pas s’imposer au autres.

SpaceFox

Malsain au point d’amener la personne au burnout. Et si je suis mal placé pour parler de compétitions d’arts martiaux puisque je n’en fais pas, je crois connaître un petit peu le terrain de l’épuisement professionnel. J’ai même un témoin qui n’est pas très loin…

J’ai aussi l’impression que cette recherche permanente de l’amélioration, de la performance et du dépassement de soi dans toutes les activités a des effets pervers sur :

  • La confiance en soi.
  • La capacité à se motiver.

Source:SpaceFox

Absolument. J’ai arrêté de courir et j’ai bien moins confiance en moi que depuis le temps où je pouvais galoper trente bornes sans heurt. Et pour la capacité à se motiver, c’est pareil. D’ailleurs, les grands sportifs qui cherchent la performance à longueur de temps et qui finissent à se blesser… Sombrent dans la drogue pour la plupart.

Je crois que le mieux est de ce dire que les périodes de haut et de bas sont inévitables et qu’il faut faire avec.

Pour moi, ça dénature complètement l’essence des arts martiaux qui visent à faire de toi une personne totale avant de te dire "je suis meilleur qu’untel".

C’est pourtant le but d’un art martial que de dire "je suis meilleur qu’untel". Un art martial est fait pour survivre sur le champ de bataille (par nature même du terme). Ce qui est un bon point pour s’améliorer soi-même (on progresse nettement moins vite quand on est mort), mais n’est pas le but premier. C’est donc par essence quelque chose de totalement compétitif, la compétition la plus primaire qui soit : rester en vie. La plupart des disciplines qui de réclament d’être des "arts martiaux" n’ont malheureusement pas grand chose à voir avec, que ça soit sur la forme ou le fond. Bien qu’elles puissent être très intéressantes par ailleurs, pour peu qu’on soit honnête sur ce qu’elles sont réellement.

+2 -1

C’est pourtant le but d’un art martial que de dire "je suis meilleur qu’untel". Un art martial est fait pour survivre sur le champ de bataille (par nature même du terme).

Référence nécessaire. Un art martial, dans son acception moderne, c’est la maîtrise d’une arme ou d’un style de combat. On trouve ainsi, en Europe au moins, des arts martiaux n’ayant pas vocation au combat dès le 15e siècle (Meyer, une forme d’escrime sportive déjà à l’époque ; la convention des joueurs d’épée – un peu plus tardive). Juste pour précisr, dès le 14e, on trouve quantité de traité de combat en duel (donc rien à voir avec le champ de bataille).

J’ai même envie de remonter un tout petit peu plus. Disons… Les gladiateurs, c’était du divertissement guerrier, pas de la guerre ou du duel. Pas assez vieux ? La lutte orthopale, pratiquée dans les palestres grecques (lieu de sport, de culture et d’art), avait un fort côté sportif, déjà à l’époque. Et c’est un sport de combat.

Bref, il n’est pas du tout évident que les arts martiaux aient pour finalité la survie. Ça peut juste être un mens sana in corpore sano, et ce depuis plus de deux millénaires.

+1 -0

Bref, il n’est pas du tout évident que les arts martiaux aient pour finalité la survie.

Pour moi ce que tu décris s’appelle justement des "sports de combats", avec une finalité de compétition, de dépassement de soi, des règles à respecter etc. Alors que le terme "art martial" est assez parlant dans son étymologie : art de la guerre. Je trouve plus logique d’employer deux termes différents pour parler de choses différentes. Comment parler "d’art martial" pour désigner le karaté par exemple, qui est une simple méthode d’auto défense de paysans, qui n’a jamais été utilisée sur le champ de bataille par et contre des professionnels de la guerre ?

Dans certaines écoles anciennes d’art martiaux japonais, le maitre provoquais un duel a mort entre les deux meilleurs disciples, et le survivant héritait de l’école. Car le but est martial, la survie du meilleure etc. Alors que à l’inverse contrairement à la croyance, les morts dans les combats de gladiateurs étaient très rare, car on parle d’un sport relativement codifié (une sorte de MMA un peu plus badass). Pour moi l’un est un art martial, l’autre un sport de combat. Deux finalités différentes.

Je trouve que quand on mélange les termes, on perds le sens des choses et la précision. C’est d’autant plus important dans ce domaine car beaucoup de gens se réclament justement des origines "martiales" de leur discipline, alors qu’elle n’a en réalité jamais eu. Il me semble que quel que soit le domaine, un bon point de départ consiste à savoir ce que l’on pratique réellement et à être honnête sur sa discipline. Pour choisir ensuite en connaissance de cause. :)

+2 -2

L’usage courant du mot « art martial », c’est l’ensemble des sports de combat (souvent, asiatiques seulement). Si tu utilises une autre définition, il faut le dire avant. Sinon, ça mène à des quiproquos. Tu peux trouver la distinction importante, si tu la fais sans le dire aux autres, il y a peu de chances qu’on la devine. ^^

En l’occurrence, avec ta définition d’arts martiaux, je suis d’accord avec toi. Mais je suis aussi presque sûr que le « art martial » de Ge0 faisait référence à la définition usuelle, et que donc sa phrase

Pour moi, ça dénature complètement l’essence des arts martiaux qui visent à faire de toi une personne totale avant de te dire "je suis meilleur qu’untel".

est parfaitement valide (au sens, pour lui, la finalité des sports de combat / arts martiaux est le dépassement de soi et pas la compétition).

+2 -0

La page wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_martial est très instructive sur le sens de la locution « art martial » et ce qu’elle implique. En particulier sur le fait qu’on ne peut pas prendre l’expression « arts martiaux » au pied de la lettre.


Pour en revenir au sujet :

J’ai aussi l’impression que cette recherche permanente de l’amélioration, de la performance et du dépassement de soi dans toutes les activités a des effets pervers sur :

  • La confiance en soi.
  • La capacité à se motiver.
SpaceFox

J’aimerais bien que tu détailles la partie sur la motivation. Il me semble que pour beaucoup, c’est le contraire. La ludification gratifie souvent les séries, et peut motiver pour faire <insérer activité> pour ne pas briser une série de plusieurs semaines.

Rockaround

J’ai l’impression (mais ce n’est qu’une impression, sans source réelle et sérieuse) en ce qui concerne la motivation, que cette ludification peut servir à se motiver, ce qui peut être bien. Mais aussi qu’à cause d’elle, on a de plus en plus de mal à se motiver à faire des tâches pas spécialement passionnantes si elles ne sont pas dans un mode ludique et/ou de performance, avec les mécanismes de récompense rapide qu’impliquent ces deux aspects. Ainsi, on perds :

  • La capacité à faire quelque chose parce que ça doit être fait, que ça nous plaise ou non.
  • La capacité à séparer (temporellement surtout) une action et la « récompense » de cette action.

C’est d’autant plus gênant au travail ou dans la vie quotidienne, pour tout ce qui doit être fait mais est plus ou moins chiant à faire (toutes les parties inintéressantes du travail, les tâches ménagères…). On pourrait ludifier tout ça, mais est-ce vraiment une bonne chose ? Déjà, transformer les choses en jeu nécessite un effort – qui peut être hors de propos en entreprise par exemple.

Et j’écris ça alors que je suis le premier à reporter ce qui me fait chier…

Je vais me permettre de répondre à l’interrogation sur le premier post, même si les interventions de SpaceFox et d’adri1 résument pas mal mon état d’esprit général sur la question.

Du coup je me bornerai à élaborer sur le fait que je considère que les cas dans lesquels on puisse confondre travail et hobby sont dangereux et mauvais. En ce qui me concerne, tout comme SpaceFox, j’ai la chance d’exercer une profession pour laquelle j’ai de l’appétence, mais cela m’a également permis d’observer, durant ma carrière, des phénomènes particulièrement vicieux.

Travailler sans compter ses heures ni les faire valoir parce que le sujet nous amuse

Nombreux sont les ingénieurs que j’ai vus sacrifier des nuits et des week-ends sur un sujet particulier, parce que celui-ci les intéressait, et que c’était le seul moyen de faire prendre un projet au sérieux au boulot : il fallait le présenter quand toutes les idées de base étaient jetées, et quand celui-ci commençait à être parallélisable, sans quoi l’investissement initial du lancement de cette idée rendait celle-ci non rentable aux yeux des décideurs.

Je l’ai fait plusieurs fois, à chaque fois l’idée en question a eu l’effet escompté (par exemple: corriger des défauts systémiques grâce à une refacto qui rendre le code plus structurant, et qui empêche les devs de continuer à faire les mêmes erreurs), à chaque fois sur mon temps libre, sans rien demander en retour. Ce qui est vicieux, c’est que ces efforts particuliers étaient vitaux pour rendre le projet viable plusieurs années supplémentaires : si quelque chose est vital, est-il normal de le faire hors de ses heures de boulot, sans être rémunéré, et surtout sans en tirer autre chose qu’un timide "merci" lors d’un entretien annuel ? Le fait que le sujet soit intéressant le justifie-t’il ?

Non.

Dans une situation saine, tous ces trucs-là auraient dû être faits dans le cadre des processus (tant de décision que de production) normaux de l’équipe, c’est-à-dire qu’elle aurait du avoir du temps alloué pour le faire, sans avoir à sacrifier du temps de sa vie personnelle pour cela. Si l’entreprise n’est pas capable de prendre une décision intelligente ni d’identifier une situation où une telle décision doit être prise sans que cela ne se fasse dans l’urgence, alors elle en assume les conséquences : dette, perte d’un prospect ou d’un client à cause de délais élevés, perte de développeurs fatigués de réanimer des cadavres à coups de défibrilateurs, c’est le problème de l’entreprise. Cela n’a pas à impacter la vie privée d’un salarié, que le sujet amuse ce dernier ou non. Le contraire est à la fois malsain pour le salarié et pour l’entreprise qui ne tirent alors aucune leçon de leurs erreurs de jugement.

Pire : en acceptant ce genre de choses, on les banalise. Si je passe une nuit blanche sur tel sujet (qui m’amuse) pour le boulot, je deviens susceptible d’être imité par les autres développeurs, et cela finit par devenir la norme. Le jour où un sujet aussi chiant qu’urgent nous tombe dessus, cette norme dont on s’est rendu coupable nous impose d’y passer la nuit ou le week-end sous peine d’être mal vu, et la pression sociale se charge alors de nous pourrir la vie.

Le travail n’appartient pas au salarié qui le réalise

Dans une boîte de développement, aussi passionné que nous soyons par le développement, il ne faut jamais perdre de vue qu’on a toujours, au-dessus de soi, un type qui a le droit de vie ou de mort sur notre code. On est payé pour produire ce code, mais ce n’est pas le nôtre. Dans ces conditions, considérer son boulot comme un hobby, a fortiori dans le développement qui est une activité créative, pose un sérieux problème : le jour où notre projet se fait tuer, ou qu’on nous demande de rajouter tel hack qui en casse complètement la conception parce que la solution propre coûterait 10 fois plus cher, répondre "non" n’est pas une option. Il faut s’exécuter, d’autant plus à regret qu’on avait investi de sa personne pour produire quelque chose de bien foutu, en y réfléchissant le soir ou sous la douche.

L’investissement personnel dû au fait que l’on ait confondu travail et passe-temps ne nous donne aucun droit de regard sur ce qui est fait de notre boulot, et cela peut amener des situations extrêmement pénibles à supporter.


Il m’a aussi été donné de voir des cas encore pires que ça. Ge0 pourra par exemple témoigner d’un manager que l’on a eu en commun et qui était tout simplement incapable de décrocher, au point de plus profiter de sa famille que quelques heures pendant le week-end, et encore avec son PC pas trop loin. À un moment ou un autre, cette confusion finit toujours pas avoir des retombées négatives, et il est facile d’imaginer que celles-ci puissent devenir catastrophiques.

En conséquence, depuis plusieurs années maintenant, je mets un point d’honneur à me désinvestir de mon activité de salarié : mon travail n’est plus ni une passion, ni un passe-temps, c’est juste mon travail, je l’aime bien mais ça s’arrête là.

+13 -0

Enorme +1 pour nohar qui, il me semble, a très bien résumé la situation. Le deuxième point (Le travail n’appartient pas au salarié qui le réalise) me semble clairement le plus important.

En fait c’est un truc d’investissement. Qu’on fasse un hobby, ou qu’on soit entrepreneur par exemple, on décide (et c’est peut-être bien ou mal, mais c’est pas la question) de passer du temps dessus. C’est un investissement (dans le cas d’un hobby ça peut mais ce n’est pas obligatoire). Si au final l’entreprise part en bourse, on peut ev. arrêter de bosser pour le reste de sa vie. Quand on est employé, il faut pas oublier qu’on vend une partie de sa vie (c’est comme ça que je le modélise) à quelqu’un qu’on connaît pas trop et qu’on aime pas forcément. Donc c’est pas une question d’être sympa et de donner des heures, c’est une question de justice. Si votre boss (dans une startup) vous dit il faut faire ces heures en plus pour que le projet marche et on est à sec, vous pouvez dire: "ok, mais je prends des parts". Il n’y a aucune raison pour donner gratuitement du temps alors que si la boîte marche c’est lui qui en bénéficiera.

Je suis du même avis que nohar également. C’est parce que beaucoup d’entre nous sont assez passionnés par la programmation et les défis à résoudre que j’ai l’impression, de plus en plus, qu’on nous en fait faire beaucoup plus, souvent sans la rémunération qui va avec, sous prétexte que "ils aiment ça, ils sont content, pourquoi ne pas en profiter ?"

C’était typiquement le cas dans la dernière boite où j’ai été (celle dont je me plaignais que j’avais pas les télétravails accordés alors que grève SNCF). Mon manager recherchait typiquement ce genre de profil, motivé, jeune, passionné de programmation, aimant les challenges, prêt à faire des heures supplémentaires à n’en pas finir, à s’investir à fond dans le projet. Tant mieux si y’en a à qui ça convient, mais moi ce ne fut pas le cas et je suis parti (entre autre raison).

Plus je vois d’offres, plus je cherche, plus j’ai l’impression que ça devient, ou que c’est la norme, si on cherche un travail un minimum "passionnant" en informatique.

Du coup, par rapport à y’a 6 mois, j’ai changé radicalement d’opinion sur la question. Maintenant, je répondrai non, non et encore non, un travail ne doit pas être passionnant obligatoirement. Tant mieux s’il est, mais maintenant, d’un point de vue personnel, je me satisferait d’un travail pas du tout passionnant s’il est en accord avec mes objectifs personnels (recherche de temps partiel notamment).

Concernant les hobbys, ils sont productifs, ils ont sauvés la Terre du Milieu non attendez, ça ce sont les hobbits. :-°

Mon avis rejoint ce qui a été dit avant : un travail n’est pas nécessairement agréable, mais un hobby est nécessairement plaisant (sinon c’est une corvée). Ceci dit, je suis plutôt dans la catégorie des passionnés par mon travail.

Mais si j’en fais plus qu’attendu, c’est un cadeau à moi-même, pas à l’employeur. Ce cadeau peut être le plaisir du travail bien fait, un défi technique intéressant, de l’autoformation optionnelle… C’est du travail volontaire, mais à la fin j’y gagne.

Si on me demande de me fatiguer plus qu’attendu pour un truc minable, j’y serai moins enclin : ce sera horaires et productivité standards. Je ne rallonge pas durablement mon temps de travail pour régler des emmerdes (qui étaient évitables la plupart du temps). J’ai des choses plus amusantes à faire chez moi. :D

En conséquence, depuis plusieurs années maintenant, je mets un point d’honneur à me désinvestir de mon activité de salarié : mon travail n’est plus ni une passion, ni un passe-temps, c’est juste mon travail, je l’aime bien mais ça s’arrête là.

nohar

Je me demande dans quelle mesure ça s’applique à un travail peu guidé, par exemple de la R&D. C’est le cas de mon stage, et j’ai l’impression que si je m’interdis de réfléchir quand une idée me vient en dehors des heures de bureau, j’en pâtirai les jours suivants (vu que mon avancement dépend de ma créativité).

+2 -0

Je fais une différence entre « réfléchir à » et « s’investir » dans ton travail hors des horaires de boulot.

Par exemple : c’est assez fréquent que j’ai une idée concernant le boulot hors du contexte du travail (et inversement, d’ailleurs). Du coup, je la retiens, ou je la note, mais je ne me lance pas dans des tests – pas d’investissement temporel dédié, en quelques sorte.

Cette règle était valable avant que je fasse de la R&D, et fonctionne toujours maintenant que je fais de la R&D. Et heureusement d’ailleurs : on imagine pas le nombre d’idées qui peuvent surgir lors des moments d’inactivité (sous la douche, aux toilettes, dans les transports…).

Je me demande dans quelle mesure ça s’applique à un travail peu guidé, par exemple de la R&D.

Tu parles de R&D dans un cadre privé ? Car dans ce cas là tes travaux appartiennent à l’employeur et le risque de déception à terme me semble encore plus grand : ton labo peut décider de ne pas continuer tes recherches, de leur faire prendre une direction qui ne te plait pas, ou simplement gagner énormément d’argent dessus sans que en voit la couleur.

A l’inverse, je serais curieux d’avoir votre avis sur la recherche publique. Le travail d’un universitaire lui appartient, et il est libre de rechercher plus ou moins sur ce qu’il veut. Dans ce cas l’implication forte dans son travail me semble plus naturelle et moins dangereuse. Il n’y pas d’injonction a la productivité autre que celle que le chercheur se fait à lui même, et personne ne viendra lui dire "tes travaux m’appartiennent". A titre personnel, si je deviens chercheur, je me vois mal ne pas poursuivre mes travaux chez moi car j’en aurai envie.

+1 -0
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