Je vais me permettre de répondre à l’interrogation sur le premier post, même si les interventions de SpaceFox et d’adri1 résument pas mal mon état d’esprit général sur la question.
Du coup je me bornerai à élaborer sur le fait que je considère que les cas dans lesquels on puisse confondre travail et hobby sont dangereux et mauvais. En ce qui me concerne, tout comme SpaceFox, j’ai la chance d’exercer une profession pour laquelle j’ai de l’appétence, mais cela m’a également permis d’observer, durant ma carrière, des phénomènes particulièrement vicieux.
Travailler sans compter ses heures ni les faire valoir parce que le sujet nous amuse
Nombreux sont les ingénieurs que j’ai vus sacrifier des nuits et des week-ends sur un sujet particulier, parce que celui-ci les intéressait, et que c’était le seul moyen de faire prendre un projet au sérieux au boulot : il fallait le présenter quand toutes les idées de base étaient jetées, et quand celui-ci commençait à être parallélisable, sans quoi l’investissement initial du lancement de cette idée rendait celle-ci non rentable aux yeux des décideurs.
Je l’ai fait plusieurs fois, à chaque fois l’idée en question a eu l’effet escompté (par exemple: corriger des défauts systémiques grâce à une refacto qui rendre le code plus structurant, et qui empêche les devs de continuer à faire les mêmes erreurs), à chaque fois sur mon temps libre, sans rien demander en retour. Ce qui est vicieux, c’est que ces efforts particuliers étaient vitaux pour rendre le projet viable plusieurs années supplémentaires : si quelque chose est vital, est-il normal de le faire hors de ses heures de boulot, sans être rémunéré, et surtout sans en tirer autre chose qu’un timide "merci" lors d’un entretien annuel ? Le fait que le sujet soit intéressant le justifie-t’il ?
Non.
Dans une situation saine, tous ces trucs-là auraient dû être faits dans le cadre des processus (tant de décision que de production) normaux de l’équipe, c’est-à-dire qu’elle aurait du avoir du temps alloué pour le faire, sans avoir à sacrifier du temps de sa vie personnelle pour cela. Si l’entreprise n’est pas capable de prendre une décision intelligente ni d’identifier une situation où une telle décision doit être prise sans que cela ne se fasse dans l’urgence, alors elle en assume les conséquences : dette, perte d’un prospect ou d’un client à cause de délais élevés, perte de développeurs fatigués de réanimer des cadavres à coups de défibrilateurs, c’est le problème de l’entreprise. Cela n’a pas à impacter la vie privée d’un salarié, que le sujet amuse ce dernier ou non. Le contraire est à la fois malsain pour le salarié et pour l’entreprise qui ne tirent alors aucune leçon de leurs erreurs de jugement.
Pire : en acceptant ce genre de choses, on les banalise. Si je passe une nuit blanche sur tel sujet (qui m’amuse) pour le boulot, je deviens susceptible d’être imité par les autres développeurs, et cela finit par devenir la norme. Le jour où un sujet aussi chiant qu’urgent nous tombe dessus, cette norme dont on s’est rendu coupable nous impose d’y passer la nuit ou le week-end sous peine d’être mal vu, et la pression sociale se charge alors de nous pourrir la vie.
Le travail n’appartient pas au salarié qui le réalise
Dans une boîte de développement, aussi passionné que nous soyons par le développement, il ne faut jamais perdre de vue qu’on a toujours, au-dessus de soi, un type qui a le droit de vie ou de mort sur notre code. On est payé pour produire ce code, mais ce n’est pas le nôtre. Dans ces conditions, considérer son boulot comme un hobby, a fortiori dans le développement qui est une activité créative, pose un sérieux problème : le jour où notre projet se fait tuer, ou qu’on nous demande de rajouter tel hack qui en casse complètement la conception parce que la solution propre coûterait 10 fois plus cher, répondre "non" n’est pas une option. Il faut s’exécuter, d’autant plus à regret qu’on avait investi de sa personne pour produire quelque chose de bien foutu, en y réfléchissant le soir ou sous la douche.
L’investissement personnel dû au fait que l’on ait confondu travail et passe-temps ne nous donne aucun droit de regard sur ce qui est fait de notre boulot, et cela peut amener des situations extrêmement pénibles à supporter.
Il m’a aussi été donné de voir des cas encore pires que ça. Ge0 pourra par exemple témoigner d’un manager que l’on a eu en commun et qui était tout simplement incapable de décrocher, au point de plus profiter de sa famille que quelques heures pendant le week-end, et encore avec son PC pas trop loin. À un moment ou un autre, cette confusion finit toujours pas avoir des retombées négatives, et il est facile d’imaginer que celles-ci puissent devenir catastrophiques.
En conséquence, depuis plusieurs années maintenant, je mets un point d’honneur à me désinvestir de mon activité de salarié : mon travail n’est plus ni une passion, ni un passe-temps, c’est juste mon travail, je l’aime bien mais ça s’arrête là.