Combien d'énergie peut-on extraire du vent ?

Énergie éolienne et limite de Betz

Vous êtes en bord de mer par un jour venté, quand soudain une bourrasque arrache votre casquette ! Elle a pris une partie de l’énergie du vent pour s’envoler vers d’autres contrées, malheureusement sans vous. Cette énergie, c’est l'énergie éolienne.

Pour ne rien gâcher de cette ressource facile à capter, il est nécessaire d’optimiser les éoliennes pour qu’elles puissent extraire le maximum d’énergie à partir du vent disponible. Mais quel est le maximum d’énergie que l’on peut extraire d’un courant d’air ? Le physicien allemand Albert Betz a répondu à cette question dans un article de 19201, où il démontre l’existence d’une limite physique à l’extraction de l’énergie par une éolienne de forme quelconque, qu’on appelle aujourd’hui limite de Betz.

Cet article présente pas-à-pas le calcul de cette fameuse limite. Nous exprimerons tout d’abord la puissance d’un flux d’air à travers une surface libre de tout obstacle, ce qui nous permettra ensuite d’exprimer la puissance extraite du vent par une éolienne. Nous en déduirons alors le maximum de puissance extractible, c’est-à-dire la limite de Betz ! Nous conclurons avec un petit point sur la performance des éoliennes modernes vis-à-vis de cette limite physique.

Il n’y a pas besoin d’être un gourou de la mécanique des fluides pour le comprendre, la physique du lycée suffit pour l’essentiel des développements. Accrochez-vous, on décolle !


  1. Das Maximum der theoretisch möglichen Ausnutzung des Windes durch Windmotoren, 20 septembre 1920.

Puissance d'un courant d'air

Pour calculer l’énergie extraite du vent par une éolienne, il faut déjà savoir combien d’énergie est transportée par le vent. Dans cette partie, nous allons donc calculer la puissance du vent, sans éolienne pour le freiner.

Modélisation du problème

Le vent est une masse d’air en mouvement et donc comme toute masse qui se déplace, il est doté d’une énergie cinétique, qu’on appelle dans ce cas énergie éolienne.

Dans la réalité, le vent est capricieux et présente des tourbillons, bourrasques et turbulences, mais nous ferons une hypothèse simplificatrice : il soufflera dans une seule direction, régulièrement, sans tourbillons ni turbulences, à la vitesse vv, tel une rivière paisible. Nous considérons aussi qu’il n’y a pas de zones de haute ou de basse pression et donc la masse volumique ρ\rho du vent est constante.

Ce courant d’air sera à terme intercepté par une éolienne, qui occupera une certaine surface SS. Le vent qui souffle ailleurs ne nous intéresse pas, donc nous ne considérons que le vent soufflant à travers cette surface. Faites cependant bien attention : il n’y a pour l’instant pas d’éolienne et la surface est libre de tout obstacle.

Pour avoir la situation la plus favorable, nous supposerons que le vent traverse la surface perpendiculairement, comme schématisé ci-dessous. En effet, si la surface était inclinée, moins d’air la traverserait, le cas extrême étant celui où la surface est parallèle au vent et l’air ne traverse pas du tout la surface.

Vent traversant perpendiculairement une surface $S$ à la vitesse $v$
Vent traversant perpendiculairement une surface SS à la vitesse vv.

Calcul de la puissance du vent, sans éolienne pour le freiner

Pendant une certaine durée, la surface est traversée par une certaine masse d’air, dotée d’une certaine énergie cinétique. Autrement dit, la surface est traversée par une certaine quantité d’énergie par unité de temps, ce qui correspond à la puissance cinétique de l’air traversant la surface. Nous allons la calculer pour un courant d’air traversant une surface SS sans être freiné.

Pour rappel, une masse mm se déplaçant (sans rotation) à une vitesse vv a une énergie cinétique EcE_c qui vaut :

Ec=12mv2.E_c = \frac{1}{2} m \, v^2.

Nous allons appliquer cette formule à la masse d’air traversant la surface pendant une durée Δt\mathrm{\Delta}t, qui aura une énergie cinétique ΔEc\mathrm{\Delta}E_c. Le volume d’air concerné est celui « assez proche » de la surface pour la traverser pendant la durée Δt\mathrm{\Delta}t, c’est-à-dire un cylindre de longueur vΔtv\cdot\mathrm{\Delta}t et de section SS.

Volume d'air traversant la surface pendant la durée $\mathrm{\Delta}t$
Volume d’air traversant la surface pendant la durée Δt\mathrm{\Delta}t.

La masse de ce volume d’air est le produit de la masse volumique par le volume soit :

m=ρSvΔtm = \rho S v \mathrm{\Delta}t

Ainsi, l’énergie cinétique de cette petite masse d’air est :

ΔEc=12mv2=12ρSv3Δt\mathrm{\Delta}E_c = \frac{1}{2} m v^2 = \frac{1}{2} \rho S v^3 \mathrm{\Delta}t

En divisant par Δt\mathrm{\Delta}t, on obtient :

ΔEcΔt=12ρSv3\frac{\mathrm{\Delta}E_c}{\mathrm{\Delta}t} = \frac{1}{2} \rho S v^3

Or, le rapport ΔEcΔt\frac{\mathrm{\Delta}E_c}{\mathrm{\Delta}t} est, par définition, la puissance cinétique moyenne du flux d’air, PcP_c.

Pc=12ρSv3(1)P_c = \frac{1}{2} \rho S v^3 \quad \quad (1)

Cette formule est importante et va nous resservir, on l’appellera maintenant « expression (1) ».

Quelques remarques sur la formule

Regardons de plus près l’expression (1) :

Pc=12ρSv3P_c = \frac{1}{2} \rho S v^3

On voit clairement qu’elle est proportionnelle :

  • à la masse volumique ρ\rho de l’air ;
  • à la surface SS ;
  • au cube de la vitesse du vent vv.

La masse volumique de l’air n’est pas le paramètre le plus déterminant, même si elle diminue avec l’augmentation de la température de l’air et de l’altitude. Elle vaut environ 1,225 kg/m3 au niveau de la mer à 15 °C, et varie usuellement 15 à 20 % en fonction du lieu d’implantation et de la saison.

Plus la surface est grande, plus on intercepte de vent, ce qui contribue au gigantisme des éoliennes actuelles, qui font jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de diamètre ! Les éoliennes de moyenne puissance balaient une surface d’environ 6 500 m2, soit approximativement la surface d’un terrain de football.

La vitesse du vent est le paramètre le plus important : elle apparaît au cube ! Elle varie grandement en fonction des lieux et peut varier entre quelques mètres par seconde et quelques dizaines de mètres par seconde. C’est pourquoi on cherche toujours à mettre les éoliennes dans les lieux les plus ventés, et avec le vent le plus régulier possible, comme en pleine mer ! Des petites différences de vitesses causent de grandes différences de puissance : un site avec un vent moyen de 10 m/s à un potentiel environ deux fois plus important qu’un site avec un vent moyen de 8 m/s.

Pour se donner une idée de l’ordre de grandeur de la puissance du vent, faisons une application numérique avec :

  • ρ\rho = 1,225 kg/m3 ;
  • SS = 6500 m2 ;
  • vv = 7 m/s, soit environ 25 km/h.

On obtient PcP_c = 1,4 MW de puissance disponible, soit une puissance équivalente à environ 20 petites voitures.

Puissance extraite par une éolienne

Dans la première partie, nous avons calculé la puissance du vent à travers une surface sans qu’il soit freiné. Désormais, nous considérons que la surface SS contient effectivement une éolienne qui freine le vent.

Position du problème

En amont de l’éolienne, on suppose que le vent souffle à une vitesse vamv_{am} donnée. La force avec laquelle l’éolienne freine le vent peut être contrôlée ; ainsi, la vitesse du vent en aval est un paramètre qu’on peut choisir librement entre 0 (le vent est totalement arrêté) et vamv_{am} (le vent n’est pas du tout freiné).

Seul la masse d’air qui traverse l’éolienne va être freinée. Pour prendre en compte cette masse d’air et seulement cette masse d’air, nous allons considérer un tube de courant tel que l’air qui rentre dans ce tube est freiné par l’éolienne, et l’air qui n’y rentre pas ne sera pas affecté. Notez bien que le tube ainsi défini n’est pas un tube matérialisé physiquement, il s’agit simplement d’une frontière immatérielle séparant notre sujet d’intérêt du reste. La surface de l’entrée du tube est SamS_{am} et la surface de sortie SavS_{av}.

Tube de courant pour le calcul de puissance
Tube de courant pour le calcul de puissance.

Le tube ne laisse pas l’air s’échapper, par définition, puisqu’il est défini pour englober tout l’air qui rentre jusqu’à sa sortie. Cela signifie que le débit massique est conservé : ce qui rentre dans le tube en sort également. Mathématiquement, cela se traduit par une égalité des débits massiques en entrée, au niveau de l’éolienne et en sortie.

ρSavvav=ρSv=ρSamvam\rho \, S_{av} \, v_{av} = \rho \, S \, v = \rho \, S_{am} \, v_{am}

Soit en simplifiant par ρ\rho :

Savvav=Sv=Samvam(2)S_{av} \, v_{av} = S \, v = S_{am} \, v_{am} \quad \quad (2)

Vous remarquerez sur le dessin que la surface de sortie est plus grande. Pourquoi ? Il faut que le débit massique se conserve, alors même que la vitesse de l’air diminue ; il y a donc deux solutions : soit l’air se comprime en augmentant sa masse volumique, soit il s’étale en occupant plus de place. Comme nous avons fait l’hypothèse que l’air était de masse volumique constante, alors l’air doit nécessairement s’étaler.

L’éolienne va freiner le vent en prélevant une partie de la puissance du flux d’air qui la traverse. Pour obtenir la puissance extraite par l’éolienne PtP_t, il faut ainsi calculer la différence entre la puissance du flux d’air en amont PamP_{am} avec la puissance du flux d’air en aval PavP_{av}. Autrement dit :

Pt=PamPavP_{t} = P_{am} - P_{av}

On pourrait croire de manière naïve que pour avoir le maximum de puissance, il suffit d’avoir Pav=0P_{av} = 0 et Pt=PamP_t = P_{am}. Mais cela ne peut pas arriver ! En effet, si l’on prélevait la quasi-totalité de la puissance du vent en amont, l’air devrait s’étaler énormément en aval de l’éolienne pour assurer la conservation du débit massique, ce qui n’est pas physiquement possible. Le vent doit ainsi avoir une vitesse non-nulle après l’éolienne et il va falloir trouver une expression de la puissance PtP_t en fonction de vamv_{am}, vavv_{av} et SS, qui sont les paramètres connus ou contrôlables.

Première étape

En utilisant l’expression (1), on peut exprimer PtP_t en fonction des surfaces et des vitesses du vent en amont et en aval.

Pt=PamPav=12ρSamvam312ρSavvav3P_t = P_{am} - P_{av} = \frac{1}{2} \rho \, S_{am} \, v_{am}^3 - \frac{1}{2} \rho \, S_{av} \, v_{av}^3

Soit, après factorisation :

Pt=12ρ(Samvam3Savvav3)P_t = \frac{1}{2} \rho \left(S_{am} \, v_{am}^3 - S_{av} \, v_{av}^3 \right)

On peut déduire de la conservation du débit massique (2) une expression de SavS_{av} en fonction de SamS_{am}, ce qui permet d’éliminer une inconnue :

Sav=SamvamvavS_{av} = S_{am} \, \frac{v_{am}}{v_{av}}

En remplaçant cette dernière formule dans l’expression de PtP_t, on obtient :

Pt=12ρSamvam(vam2vav2)P_t = \frac{1}{2} \, \rho \, S_{am} \, v_{am} \left(v_{am}^2 - v_{av}^2 \right)

Le problème maintenant est qu’on ne connaît pas SamS_{am} ; par contre, on connaît SS et il est possible de trouver vv, comme nous allons le faire dans la suite. En utilisant encore la conservation du débit massique (2), on peut avancer un petit peu, et écrire :

Pt=12ρSv(vam2vav2)(3)P_t = \frac{1}{2} \, \rho \, S \, v \left(v_{am}^2 - v_{av}^2 \right) \quad \quad (3)

Voilà une première expression de la puissance. On remarque qu’il y a une partie liée au débit (ρSv\rho \, S \, v) et une liée au ralentissement de l’air (vam2vav2v_{am}^2 - v_{av}^2). Gardez cette équation en tête, on la retrouvera un peu plus loin.

Deuxième étape

Pour continuer notre calcul, il faut se débarrasser de l’inconnue vv. Cependant, il est impossible d’utiliser la conservation du débit massique, parce que cela réintroduirait SamS_{am} ou SavS_{av} dans l’expression (3). La solution vient en calculant d’une autre manière la puissance, via le travail mécanique qui est l’énergie apportée par une force lors d’un mouvement. On pourra alors résoudre une nouvelle équation pour exprimer vv en fonction des paramètres du problème.

En se déplaçant vers l’aval, le vent pousse la turbine, exerçant ainsi une force orientée vers l’aval. La turbine reçoit alors du travail de la part du vent. Pendant un mouvement de durée Δt\mathrm{\Delta}t, l’air se déplace d’une distance d=vΔtd = v\cdot \mathrm{\Delta}t (comme dans la première partie), tout en exerçant une force FF. Par définition, le travail qu’il fournira à la turbine sera donc égal à :

Wt=Fd=FvΔtW_t = F d = F \, v \mathrm{\Delta}t

En divisant par Δt\mathrm{\Delta}t, on obtient la puissance mécanique cédée par l’air à la turbine en fonction de FF et vv :

Pt=WtΔt=Fv(4)P_t = \frac{W_t}{\mathrm{\Delta}t} = F \, v \quad \quad (4)

Pour exprimer FF, nous allons utiliser le principe fondamental de la dynamique, qui stipule que la force est égale à la variation de la quantité de mouvement. Pour rappel, la quantité de mouvement d’une masse mm se déplaçant à la vitesse vv est p=mvp = mv. Si on désigne par Δp\mathrm{\Delta}p la quantité de mouvement cédée par la masse d’air traversant la turbine pendant le temps Δt\mathrm{\Delta}t, on aura :

F=ΔpΔtF = \frac{\mathrm{\Delta}p}{\mathrm{\Delta}t}

Il faut donc maintenant exprimer Δp\mathrm{\Delta}p. Comme il s’agit de la quantité de mouvement cédée par la masse d’air, il s’agira de la différence entre la quantité de mouvement de cette masse d’air en amont pamp_{am} et celle en aval pavp_{av} :

Δp=pampav\mathrm{\Delta}p = p_{am} - p_{av}

Comme on considère la masse qui traverse l’éolienne pendant le temps Δt\mathrm{\Delta}t, on aura :

pam=mvam=ρSvΔtvamp_{am} = m \, v_{am} = \rho S \, v \mathrm{\Delta}t \, v_{am}

pav=mvav=ρSvΔtvavp_{av} = m \, v_{av} = \rho S \, v \, \mathrm{\Delta}t \, v_{av}

Et donc en remplaçant dans l’expression de Δp\mathrm{\Delta}p :

Δp=ρSvΔt(vamvav)\mathrm{\Delta}p = \rho S \, v \mathrm{\Delta}t (v_{am} - v_{av})

En remplaçant dans l’expression de FF, on obtient :

F=ΔpΔt=ρSv(vamvav)F = \frac{\mathrm{\Delta}p}{\mathrm{\Delta}t} = \rho S \, v \, (v_{am} - v_{av})

Finalement, en remplaçant FF dans l’expression (4), on obtient :

Pt=Fv=ρS(vamvav)v2(5)P_t = F \, v = \rho\, S\, (v_{am} - v_{av}) v^2 \quad \quad (5)

On peut désormais trouver vv ! En effet, en égalisant les deux expressions (3) et (5), on obtient l’équation suivante.

ρS(vamvav)v2=12ρSv(vam2vav2)\rho\, S\, (v_{am} - v_{av}) v^2 = \frac{1}{2} \, \rho \, S \, v \left(v_{am}^2 - v_{av}^2 \right)

On peut en tirer facilement l’expression de vv, en utilisant l’identité remarquable vam2vav2=(vam+vav)(vamvav)v_{am}^2 - v_{av}^2 = (v_{am}+v_{av})(v_{am}-v_{av}).

v=12(vam+vav)v = \frac{1}{2} \left( v_{am} + v_{av} \right)

Et maintenant, voilà l’étape finale dans le calcul de la puissance : on remplace vv dans l’expression de PtP_t pour obtenir le résultat ci-dessous.

Pt=14ρS(vam+vav)2(vamvav)(6)P_t = \frac{1}{4} \rho \, S\, (v_{am} + v_{av})^2 (v_{am} - v_{av}) \quad \quad (6)

On connaît ρ\rho, SS, ainsi que vamv_{am}. La vitesse en aval vavv_{av} est contrôlée par l’éolienne. Il va maintenant être possible d’analyser cette formule pour voir ce qu’elle nous apprend sur le rendement des éoliennes.

Puissance maximale extractible ou loi de Betz

Approche qualitative

La formule que l’on a déterminée dans la partie précédente est assez importante pour être écrite de nouveau :

Pt=14ρS(vam+vav)2(vamvav)P_t = \frac{1}{4} \rho \, S\, (v_{am} + v_{av})^2 (v_{am} - v_{av})

L’observation de cette formule nous indique deux choses : si le vent n’est pas freiné du tout (vam=vavv_{am} = v_{av}), alors la puissance sera nulle. Si le vent est entièrement freiné, il en sera de même. En effet, rappelez-vous : le débit massique est conservé, et donc si vav=0v_{av} = 0, alors vam=0v_{am} = 0 également car :

Savvav=SamvamS_{av} \, v_{av} = S_{am} \, v_{am}

Autrement dit, il y a bel et bien un optimum : si on freine trop le vent, on n’obtient pas la puissance maximale, et de même, si on ne le freine pas assez. Physiquement, il s’agit d’un compromis entre le freinage de l’air et son débit. Plus on freine l’air, plus on prend de l’énergie, mais en contrepartie, on réduit le débit, et donc on dispose de moins d’énergie.

Coefficient de puissance

On aimerait savoir quel est le maximum de puissance qu’on peut extraire du vent. Naturellement, ce maximum dépend de la puissance du vent incident P0P_0, il va donc être plus simple de calculer la proportion de puissance extractible plutôt que calculer directement la puissance extractible. Ainsi, le résultat sera indépendant de P0P_0. La proportion de puissance extraite s’appelle le coefficient de puissance et est défini comme le rapport entre la puissance de la turbine PtP_t et celle du vent incident P0P_0.

Cp=PtP0C_p = \frac{P_t}{P_0}

On peut le calculer, car on connaît PtP_t et que la première section nous a appris à calculer la puissance du vent à travers la surface de l’éolienne (expression (1)) :

Cp=14ρS(vam+vav)2(vamvav)12ρSvam3C_p = \frac{\frac{1}{4} \rho \, S\, (v_{am} + v_{av})^2 (v_{am} - v_{av})}{\frac{1}{2} \rho \, S\, v_{am}^3}

Pour simplifier légèrement notre problème, nous allons introduire la variable xx définie comme le rapport des vitesses entre l’aval et l’amont.

x=vavvamx = \frac{v_{av}}{v_{am}}

Cette variable correspond à un « coefficient de freinage », qui, comme le coefficient de puissance, permet de s’abstraire de la vitesse du vent incident.

En factorisant et simplifiant comme il faut dans l’expression de CpC_p, on peut écrire la formule suivante :

Cp(x)=12(1+x)2(1x)C_p(x) = \frac{1}{2} (1 + x)^2 (1-x)

Il n’y a plus qu’une seule variable, xx, et il va donc être très facile de calculer le maximum.

Valeur maximale du coefficient de puissance

Avant de calculer rigoureusement le maximum du coefficient de puissance, il est intéressant de voir à peu près sur un graphique comment il se présente.

Graphe du coefficient de puissance
Graphe du coefficient de puissance avec la position approximative du maximum.

Sur ce graphique, on remarque deux choses intéressantes :

  • le maximum de puissance vaut environ 0,59 et est atteint pour xx environ égal à 0,33 ;
  • la courbe est assez plate autour du maximum, ce qui signifie qu’il est facile de rester dans une région à haut coefficient de puissance.

On peut trouver formellement le maximum du coefficient de puissance en étudiant sa dérivée par rapport à xx, dont le calcul est laissé au lecteur à titre d’exercice. On trouve le résultat suivant :

Cp(x)=12(1+x)(13x)C_p'(x) = \frac{1}{2}(1+x)(1-3x)

On sait que les extremums sont atteints quand la dérivée s’annule en changeant de signe. Il y a ici deux valeurs où elle s’annule : x=1x = -1 et x=1/3x = 1/3. Or, on cherche une vitesse du vent positive, donc le seul candidat valide est x=1/3x = 1/3.

Comme (1+x)(1+x) est positif, et que (13x)(1-3x) est positif avant x=1/3x = 1/3 puis négatif après, on a bien un changement de signe et donc un extremum. Comme le changement s’effectue de positif vers négatif, il s’agit d’un maximum qui vaut :

Cp,max=12(1+1/3)2(11/3)=16/270,593C_{p, max} = \frac{1}{2} (1 + 1/3)^2 (1-1/3) = 16/27 \approx 0,593

Cette valeur est la limite de Betz ! Autrement dit, il n’est pas possible d’extraire plus de 60 % de l’énergie d’un courant d’air. Et pour arriver à ce résultat, il faut avoir x=1/3x = 1/3 soit vav=13vamv_{av} = \frac{1}{3} v_{am}.

Limites de la loi de Betz dans la pratique

Les hypothèses du calcul de la limite de Betz

La limite telle qu’on l’a calculée ici tient compte d’un certain nombre d’hypothèses, qui sont les suivantes :

  • L’écoulement est incompressible.
  • Le flux d’air n’a ni tourbillon, ni turbulence.
  • L’éolienne n’a pas de traînée aérodynamique et un nombre infini de pales.

Chaque hypothèse à son importance. L’écoulement incompressible permet d’affirmer que la masse volumique est constante, et donc de simplifier grandement les calculs du débit massique. En plus, la compression et la détente de l’air provoquent des pertes d’énergie, ce qui réduirait la puissance disponible.

L’absence de tourbillon et de turbulence permet de récupérer un maximum d’énergie. En effet, comme le flux est parfaitement droit, l’énergie de l’air est entièrement dédiée à son déplacement utile, de l’avant vers l’arrière de l’éolienne. Les tourbillons, en mettant le flux d’air en rotation, gâchent une partie de l’énergie cinétique disponible. Dans les éoliennes réelles, la rotation des pales fait que le flux d’air à une certaine énergie de rotation en aval.

L’absence de traînée consiste à négliger une partie des pertes présentes dans les éoliennes réelles. Cette hypothèse consiste à affirmer que toute l’énergie de l’air est utilisée pour la mise en rotation de l’éolienne, alors qu’en pratique l’aérodynamisme des pales provoque une force de traînée, qui gâche une partie de l’énergie.

Le nombre infini de pales est également une simplification. Il permet de dire que la poussée du vent est uniforme, et qu’il n’y a pas de vent qui passe à travers la surface de l’éolienne sans être freiné. Le nombre de pales en pratique est évidemment fini ; il y en a généralement trois.

On voit donc qu’il y a un petit nombre d’hypothèses simplificatrices, et qu’elles maximisent le résultat obtenu. Dans la pratique la limite de Betz est ainsi inatteignable, et constitue un majorant plus qu’une véritable limite physique. Certains travaux cherchent d’ailleurs à obtenir un résultat plus proche de la réalité.

Coefficient de puissance maximal atteint en pratique

Malgré toutes les hypothèses simplificatrices, les meilleures éoliennes atteignent déjà des valeurs très respectables pour le coefficient de puissance, comme le montre la figure ci-dessous.

Courbe de coefficient de puissance pour différentes formes d'éoliennes
Courbe de coefficient de puissance pour différentes formes d’éoliennes.1

L’abscisse du diagramme est le rapport entre la vitesse de la pointe de l’éolienne et celle du vent incident, qui dépend de comment l’éolienne est contrôlée. Le facteur de puissance varie avec ce paramètre selon une courbe spécifique à chaque modèle d’éolienne.

Les éoliennes courantes, c’est-à-dire à axe horizontal avec trois pales, ont un coefficient de puissance maximal qui atteint presque 0,5 ! Certaines conceptions à quatre pales peuvent être très légèrement meilleures, mais leur coût plus élevé ne justifie pas leur emploi.

Quel vent faut-il pour faire marcher une éolienne de taille moyenne à pleine puissance ?

Maintenant que l’on sait comment se comportent les éoliennes en pratique, faisons quelques petits calculs pour trouver quelle vitesse de vent est nécessaire pour faire marcher à pleine puissance une éolienne de 3 MW. Notre éolienne aura les caractéristiques suivantes (approximativement celles de l'Enercon E-101) :

  • SS = 8 000 m2, sa surface ;
  • Pt,maxP_{t, \, max} = 3 MW, sa puissance nominale ;
  • Cp,maxC_{p, \, max} = 0,45, son coefficient de puissance, supposé constant ;
  • ρ\rho = 1,225 kg/m3, la masse volumique de l’air sur le site d’implantation.

On peut trouver la vitesse du vent grâce à la puissance P0P_0 et cette puissance peut-être exprimée via la définition de CpC_p :

P0=PtCp=30,45=6,67 MWP_0 = \frac{P_t}{C_p} = \frac{3}{0{,}45} = 6{,}67~\mathrm{MW}

Maintenant qu’on connaît la puissance du vent incident, calculons la vitesse correspondante :

vam=2P0ρS3=11,9 m/sv_{am} = \sqrt[3]{\frac{2 P_0}{\rho \, S}} = 11{,}9~\mathrm{m/s}

Presque 12 m/s (environ 43 km/h), une sacrée brise ! Ceci montre clairement que les meilleurs emplacements pour les éoliennes sont rares, et qu’il ne faut pas espérer avoir la puissance maximale en permanence…


  1. Wilson, R. E.; Lissaman, P. B. S. : Applied Aerodynamics of Wind Power Machines, Oregon State University, 1974.

La limite de Betz montre quelle proportion d’énergie il est possible de tirer du vent. Elle tient en un chiffre : 1627\frac{16}{27} (soit environ 0,6). Elle est très optimiste, de par les hypothèses qu’elle fait. Cela n’empêche pourtant pas d’obtenir de très bonnes éoliennes, avec des maximums de coefficient de puissance de l’ordre de 0,5.

Il n’y a, pour ainsi dire, pas grande chose à faire de nos jours pour améliorer le rendement aérodynamique des éoliennes. Pourtant, leur développement est toujours très actif, avec l’idée de les optimiser encore plus.

Il reste du travail sur la conversion électrique, les matériaux, la fabrication, le pilotage et la conception de parcs éoliens, l’utilisation des vents faibles, et encore bien d’autres sujets, qui pourraient faire l’objet d’un article à eux seuls. L’enjeu actuel est ainsi plus économique que physique !

Illustration de l’article : Éolienne Vestas à Süderdeich (Allemagne), photo par Dirk Franke sous licence CC BY-SA 2.0 DE.

Je remercie Rockaround, qui a été l’élément déclencheur dans l’écriture de cet article, ainsi que Mewtow, Gwend@l et Dominus Carnufex pour leurs relectures, et surtout Gabbro pour le temps passé à valider.

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6 commentaires

Très intéressant ! Je m'étais déjà demandé pourquoi les éoliennes n'avaient que trois pales, et je n'avais jamais fait de recherches sur le sujet. J'ai désormais la réponse à ma question, ainsi qu'à plein d'autres tout aussi intéressantes. :)

Merci pour cet article, j'aime beaucoup le ton employé et il fait découvrir des choses qu'on ne soupçonnerait pas à première vue. En plus, il montre le côté modélisation puis analyse mathématique de la physique, c'est très intéressant. Si tu nous écris d'autres articles/tutos (particulièrement de mécanique des fluides ou de mécanique du vol) je les lirai.

Je m'étais déjà demandé pourquoi les éoliennes n'avaient que trois pales, et je n'avais jamais fait de recherches sur le sujet.

melepe

De manière assez amusante, les éoliennes tripales ont aussi un avantage visuel : la rotation paraît plus régulière que les éoliennes bipales qui subissent des effets qu'on pourrait qualifier de « stroboscopiques » lors du passage de pales dans l'axe du mât.

En plus, il montre le côté modélisation puis analyse mathématique de la physique, c'est très intéressant.

C'est aussi ce que j'ai le plus apprécié dans l'enseignement de physique que j'ai subit.

Si tu nous écris d'autres articles/tutos (particulièrement de mécanique des fluides ou de mécanique du vol) je les lirai.

Je ne suis malheureusement pas spécialiste, et j'aurai du mal à faire plus. Désolé ! ^^

Bonjour , tout d’abord bravo pour la clarté avec laquelle vous expliquer cette démonstration. Je réalise actuellement un projet sur une éolienne urbaine, et j’ai entendu dire de la part de certain camarade qu’une autre approche été possible pour démontrer cette limite. En savez-vous plus ?

Merci d’avance.

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