Depuis l’émergence d’Internet, la communication autour du monde a été grandement facilité. Le partage culturel a également été grandement simplifié, il devient facile de se procurer des livres, films, séries ou jeux vidéo gratuitement et rapidement, à savoir quelques heures après la sortie de l’œuvre !
Cette accélération de l’accès à la culture a entrainé une migration progressive vers la consommation des produits en langue originale, pour s’épargner notamment le temps d’attente de la sortie de la traduction et de la diffusion locale, quand elle existe.
Cela arrive à un point où certains produits culturels, comme South Park ne disposent plus d’une traduction car le public cible consomme essentiellement en VO, rendant les frais de doublages non rentables pour le diffuseur à priori.
Et de cette évolution de la consommation des produits culturels dans la sphère francophone, il n’est pas rare d’entendre des discours dédains vis à vis de la VF, souvent remplis de préjugés et passent à côté de ce qui rend les VF pertinents et intéressants aussi.
C’est ce que je souhaite aborder avec vous.
- La traduction, le doublage, pour tout le monde ?
- Pourquoi doubler et traduire ?
- Le doublage et la traduction, un travail titanesque
La traduction, le doublage, pour tout le monde ?
Tout d’abord, nous abordons essentiellement le cas de la VF (et non la Version Québécoise), chaque communauté linguistique a sa propre culture, ses propres règles, ses difficultés propres et ses habitudes. De plus, la production des VF est la plus aboutie de par le monde ce qui la rend encore plus intéressante. Non seulement à cause du volume, qui est presque industriel contrairement à d’autres langues, mais aussi par les techniques employées et maitrisées.
Le français a en effet beaucoup d’avantages sur beaucoup d’autres langues dans ce domaine :
- Le français est une langue très répandue, dont dans des pays riches, des langues occidentales elle se situe derrière l’anglais et l’espagnol uniquement ;
- Le français a une longue et riche histoire culturelle, a été la langue dominante durant longtemps, ce qui a rendu la traduction ou la rédaction en français courant ;
- Le Québec et la France ont une politique de conservation de la langue et d’uniformité linguistique très forte, rendant les traductions plus pertinentes ;
- Actuellement l’essentiel des œuvres consommés en Francophonie proviennent du monde anglo-saxon, en anglais.
Ces conditions font que les francophones peuvent payer les traductions et doublages car ils sont assez nombreux et riches, en plus d’avoir assez de travail à fournir pour maintenir une industrie en activité en permanence et de souhaiter ce résultat. De nombreux francophones sont hostiles à la VO ou aux sous-titres pour des raisons que l’on abordera plus tard.
Culturellement (et économiquement), de nombreuses langues ne peuvent bénéficier d’un tel traitement comme le rappelle la carte des pratiques du doublage en Europe selon Wikipédia :
La légende étant : bleu pour le doublage uniquement pour les œuvres destinés aux enfants, rouge pour le doublage systématique et jaune pour le doublage en superposition (qui est moins cher).
Ce sont donc globalement les langues bénéficiant de traits similaires au français qui reproduisent les mêmes pratiques. A savoir l’allemand, l’italien et l’espagnol.
Nous pouvons constater aussi cela dans les ouvrages littéraires et scientifiques. Beaucoup d’ouvrages techniques de référence en informatique bénéficient d’une version française, ce qui est beaucoup plus rare en néerlandais par exemple.
Pourquoi doubler et traduire ?
Nous avons vu que les adaptations en langue natale n’est pas systématique et dépend de certains critères historiques, démographiques et économiques.
Cependant, nous pouvons nous poser la question de l’intérêt de le faire. Par exemple les pays nordiques ne doublent et ne traduisent que très peu et sont des pays en bonne santé économiquement, avec une population qualifiée et assez à l’aise avec l’anglais. Pourquoi ne pas faire comme eux ?
Déjà, si certains pays sont assez bons avec l’anglais, cela n’est pas vrai de manière individuelle. En particulier envers les personnes âgées (> 50 ans) qui ont rarement bénéficié d’un enseignement de qualité de l’anglais quelque soit le pays non-anglophone. Et même aujourd’hui, des élèves ne sont pas à l’aise avec cette langue qui n’est pas très simple d’accès. Ne pas traduire peut mener à une fracture linguistique entre ceux qui sont à l’aise avec l’anglais et les autres.
Cela peut mener aussi à un cercle vicieux, si tous les finlandais (par exemple) maitrisent l’anglais, peu d’étrangers vont apprendre le finnois ce qui va encourager l’usage de l’anglais par les suédois et mener petit à petit par une disparition culturelle ou linguistique. La plupart des petites langues, comme les langues régionales, disparaissent à cause de ce phénomène, ces langues ont été supplantés par une langue plus universelle (comme le français en France), faute d’intérêts et de locuteurs pour les maintenir vivantes. Nul doute que le français n’est pas vraiment menacé à court et moyen terme, mais cette question est pertinente pour des communautés linguistiques plus réduites. Mais des traductions sont non seulement un moyen de soutenir la langue dans un pays donné, mais aussi c’est autant de matériel disponible pour les étrangers pour apprendre la langue considérée (oui, regarder un film en VF pour apprendre le français n’est pas idiot).
De plus, même pour les personnes à l’aise avec l’anglais n’ont pas la même aisance qu’avec leur langue natale. On comprend plus vite, de manière plus fiable et avec moins d’efforts quand on emploie sa langue maternelle (déjà qu’avec elle des soucis de compréhension existent, alors avec une langue étrangère). Traduire peut donc amener un certain confort, apporter une meilleure compréhension voire améliorer la productivité (quand il s’agit de lire une documentation technique ou d’utiliser un logiciel). Ce ne sont pas des aspects négligeables pour autant.
Le doublage et la traduction, un travail titanesque
Beaucoup d’amateurs de la VO sous-estiment le travail requis pour effectuer un doublage de qualité et vont souvent rouspéter face à ce qu’ils pointent comme des erreurs fondamentales alors que c’est inhérent à la technique du doublage ou de la traduction.
Dans le cadre d’une œuvre cinématographique, il y a la question de la synchronisation labiale. Pour que le doublage soit réussi, il faut que les lèvres du personnage doublé corresponde avec le texte doublé au maximum. Si le personnage arrête de parler à l’écran mais que le texte doublé défile encore, cela se voit très vite. De manière plus subtil, les mouvements "globaux" doivent suivre. Il serait malvenu de réaliser une syllabe nécessitant normalement les lèvres ouvertes pendant que l’acteur a les lèvres fermés. Car oui, le cerveau perçoit cette dissonance, ce qui réduit à néant l’immersion.
Donc avant de doubler, il est nécessaire de traduire le script en ayant en tête cette contrainte. De fait, la traduction ne sera pas exacte. Non pas parce que les traducteurs sont mauvais (ça peut arriver en vrai mais cela est probablement marginal) mais parce qu’il est impossible d’utiliser la traduction la plus proche disponible, car cela se verrait à l’écran. En effet, en français la longueur de texte correspond rarement à celle du texte en anglais ou d’une autre langue. Mais aussi parce que les mots ne sont pas proches phonétiquement très régulièrement.
En plus de cette contrainte fondamentale, il ne faut pas oublier la question du rythme et du style. Chaque langue a un débit propre, par exemple avec ses mots courts l’anglais a souvent des dialogues plus rapides que son équivalent en français. L’accentuation des mots ne se fait pas de la même façon non plus ce qui a un impact sur le rythme et le jeu d’acteurs à effectuer. Car oui, en doublage, ce sont des acteurs de films ou théâtres qui doublent le plus souvent.
Concernant le style, les traductions exactes ne sont pas toujours les traductions naturelles. Pour que l’expérience soit bonne, les dialogues doivent être crédibles ce qui impose aussi de jongler encore avec les mots de la langue d’origine et cible.
Et on passe outre le fait que de toute façon, toute langue ne véhicule pas les mêmes informations avec pourtant la même phrase. Par exemple, les conjugaisons françaises et anglaises portent des informations différentes et toute traduction entrainera une perte d’information (sauf à créer des digressions de partout pour les expliciter).
Dans le monde de la traduction texte, de telles contraintes existent également, en particulier dans le monde du logiciel car on doit éviter que la traduction dépasse de 20% la taille du texte originale pour des questions d’affichage.
Il y a également la question des références culturelles. Cela peut être une blague, un jeu de mot, une référence historique, ou un clin d’œil à une autre œuvre. Parfois la référence passe à la trappe car pas perçue par le traducteur, mais souvent car c’est impossible de trouver une adaptation satisfaisante (cas des jeux de mots par exemple). Quant aux clins d’œil, il y a deux pratiques possibles : la laisser intacte ou l’adapter.
Mais pourquoi diable adapter un clin d’œil culturel ? Pour des questions d’accessibilité de l’œuvre ou de cohérence (sisi). En effet, le public francophone n’est pas omniscient et ignore de large pans des autres cultures, même américaine, que ce soit la littérature, la télévision, ou la politique. Changer les noms pour que cela emploie des cas similaires plus connus dans la Francophonie peut faire sens afin de garder l’esprit de l’œuvre. Par exemple, remplacer le nom d’un présentateur d’une émission américaine par son homologue français.
En terme de cohérence, un exemple assez simple est celui du film le monde de Dory de Pixar, où la voix-off de l’institut en anglais est Sigourney Weaver qui fait les annonces en son nom. Pour des questions d’accessibilité (les enfants ne connaissent probablement pas cette actrice) et de cohérence, son nom a été remplacé par Claire Chazal, celle qui effectue en effet le doublage de ce dialogue en français.
Ce qui amène d’ailleurs aussi à la question des noms propres. Noms propres qui sont souvent traduits pour être plus facile à mémoriser, comprendre et restituer. En particulier pour les noms qui véhiculent quelque chose comme Écu-de-chêne dans le Seigneur des anneaux au lieu de Oakenshield en anglais. Mais si cela peut être évité, pour conserver aussi la synchronisation labiale, alors cela n’est pas fait. Et oui, les John sont rarement traduits en Jean notamment pour cette raison.
Ces choix seront effectués selon le souhait de l’auteur (référence culturelle destinée à un public large ou restreint, connue ou non directement par les francophones en général) et le souhait du traducteur.
Notons qu’à ce titre, une VF (que ce soit d’un livre, un film, une documentation ou d’un programme) est une œuvre dérivée à cause de tout ceci. Que ce soit légalement, comme dans l’esprit. On peut en effet considérer que un film en VO est une œuvre distincte du même film en VF. Le terme adaptation pourrait être préféré au terme traduction.
Les sous-titres
Pour pallier aux difficultés de comprendre la langue employée à l’oral dans une œuvre cinématographique, les sous-titres sont souvent employés que ce soit dans la même langue que celui des dialogues ou dans sa langue maternelle suivant son niveau. Car il est souvent plus simple de lire un texte en langue étrangère que de l’écouter à l’oral.
Les sous-titres ne sont pourtant pas la solution miracle pour profiter de l’œuvre. Cela détourne l’attention, on profite moins du travail de réalisation ou de l’image ce qui est dommage pour un film ou une série dont c’est l’essence même. Elle peut empêcher grandement l’immersion dans l’œuvre. Cela demande aussi de la concentration et plus de travail intellectuel en plus de rendre difficile la réalisation d’une tâche annexe (regarder une série comique en repassant son linge). À titre personnel, je peux difficilement voir un film en VO en étant fatigué, j’aurais du mal à tenir le rythme de lecture et j’ai la flemme de le faire.
Les sous-titres sont souvent critiqués par les amateurs de l’œuvre originale pure. Souvent par ignorance. Une critique récurrente est que le texte du sous-titre diffère de ce qui est prononcé à l’oral, si les deux langues coïncident. Il ne faut pas oublier qu’il n’est pas possible de caser tout le texte d’origine à l’écran suffisamment longtemps pour être lu et compris. Il est donc nécessaire de raccourcir le texte affiché. C’est pourquoi il ne faut pas espérer que le texte et les dialogues collent systématiquement. Cela est valable aussi pour la VO anglaise avec des sous-titres en anglais, ce n’est pas juste les concepteurs de la VF qui bossent mal, c’est une contrainte incontournable.
La VO et rien que la VO ?
Les amateurs de la VO argumentent souvent en ayant en tête que la VO est en anglais. Pourtant la VO peut être en français (pour les œuvres francophones bien évidemment), mais aussi en espagnol, allemand, japonais, hindou ou chinois suivant la provenance. Ce qui rend l’argumentation plus délicate. Si des personnes à l’aise en anglais et français c’est plutôt courant, cela l’est beaucoup moins pour d’autres langues et encore moins plusieurs à la fois.
La possibilité de ne faire que de la VO est donc difficile, pour peu qu’on s’intéresse à autre chose qu’à la culture américaine. L’intervention d’une traduction deviendra inévitable que ce soit via les sous-titres ou le doublage. Ce qui immanquablement fera intervenir les critiques pourtant adressés à la VF concernant l’exactitude des propos ou la disparition de certaines références.
Ensuite, même si on est à l’aise avec l’anglais, se passer des sous-titres peut se révéler difficile ce qui ajoute des contraintes en terme de possibilité de consultation de l’œuvre comme cela a été abordé plus haut. En effet, l’anglais est une langue assez diffusée, suffisamment pour avoir des accents très différents de part le monde. Réussir à comprendre aisément simultanément un américain new-yorkais, texan, californien, ou un écossais, un australien et un anglais est délicat. Sans parler de leur argot et culture propre à chaque région. Après tout même pour un français il peut être difficile de suivre un francophone avec un accent prononcé que ce soit de Belgique, Afrique ou d’une région française ! Cela n’est pas différent pour les autres langues, encore plus quand cela n’est pas sa langue maternelle.
Le même problème intervient pour des ouvrages plus anciens, du genre de Shakespeare pour l’anglais ou de Molière pour le français. Peu de personnes seraient capables de supporter la lecture et de comprendre ces textes tels qu’ils ont été écrits à l’origine. Ces textes ont subi des transformations indispensables que ce soit pour tenir compte de l’évolution de l’orthographe mais aussi du vocabulaire et du style qui ont évolué en plusieurs siècles. Du coup, est-ce que la volonté d’être au plus proche de l’original est-il vraiment pertinente et réaliste ?
Est-ce que tous les contenus ont une VF pertinente ?
De nombreux contenus ne peuvent pas bénéficier forcément d’une VF satisfaisante, voici un échantillon :
- Les contenus trop confidentiels ;
- Les contenus peu valorisés en France / Belgique / Suisse / Luxembourg comme le cinéma asiatique ;
- Les spectacles / films humoristiques ;
- Les comédies musicales.
Les deux premiers sont assez liés, le cinéma asiatique n’est pas très populaire ce qui fait que le doublage est traité par dessus la jambe pour des raisons de coûts.
L’exception peut être les dessins animés japonais des grandes franchises qui sont assez populaires et bénéficient à ce titre d’un meilleur traitement. Cependant, au Japon, les animés sont souvent issus de création de voix. C’est-à-dire que le dessin est réalisé à partir de la performance de l’acteur sur les dialogues qui sont enregistrés avant ! Ce qui fait que le dessin va souvent correspondre fidèlement à la voix japonaise rendant toute adaptation difficile ce qui peut contre balancer le point précédent.
La création de voix est plus rare en Occident, un cas connu est celui du Disney Aladdin pour la voix du génie par exemple, le personnage ayant été fait sur mesure sur la performance de Robin Willams. Ce qui n’a pas empêché à la VF d’être de qualité.
Le troisième cas concerne notamment les films à but uniquement humoristiques comme ceux des Monty Python. Le doublage est peu pertinent par le fait que ces œuvres reposent sur des ressorts humoristiques de la langue anglaise et de la culture anglaise. Ainsi, toute adaptation risque de vraiment mettre à néant le concept même de l’œuvre. Par ailleurs, il n’existe pas de VF des Monty Python à cause de cela, Arte ayant commandé uniquement des VOSTFR à l’époque de leur diffusion.
Le dernier cas est plus évident, une comédie musicale repose beaucoup sur les chants qui sont rarement traduits et doublés (la grosse exception étant souvent du côté des œuvres destinées à la jeunesse comme l’ensemble des Disney). Le changement de langue et de voix régulièrement pour un même personnage pose donc un problème pour le spectateur. D’autant que le texte entre deux chants est réduit, ce qui le rend peu pertinent.
Les problèmes d’une VF
Il va sans dire que si la VF n’est pas un travail évident et qu’elle peut apporter quelque chose pour le public ou à l’œuvre elle même, il y a des situations où c’est plutôt cocasse.
Dans le cas d’une série ou d’une saga, tous les éléments de l’intrigue ne sont pas connus à l’avance. L’équipe sur la VF va donc adapter des choses qui plus tard poseront problème. Par exemple, dans Grey’s Anatomy, le personnage de Miranda Bailey est surnommé en anglais la nazi quand la version française lui a préféré le moins polémique la tyran. Mais, à la 4e saison, un épisode est centré autour d’un cas d’un patient ayant un tatouage de la croix gammé. Et une bonne part de l’épisode tourne autour justement de la question du surnom qui fait beaucoup moins de sens en VF. Cela est également à l’origine du choix du nom du personnage principal des animaux fantastiques (le personnage Norbert Dragonnau) qui a été dicté par la traduction dans Harry Potter dont à la base il n’était pas question de synchronisation labiale ou de devoir porter ce nom durant un film entier.
La question du changement de voix pour un acteur ou d’une voix pour plusieurs personnages peut aussi être gênante pour l’immersion. Difficile de ne pas s’imaginer Jim Carrey à la place de Mike Mayers dans les deux derniers opus d’Austin Powers.
Bien entendu il y a toujours la question d’une VF bâclée, du jeu d’acteurs des doubleurs qui peut être mauvais, d’une mauvaise adaptation du texte, etc.
Comme nous avons pu le voir, la VF n’est pas, à priori, dénué d’intérêt. Et non seulement certaines VF valent le détour (parfois plus que la VO), la complexité de la tâche peut mériter également un peu d’indulgences étant donnés les paramètres à prendre en compte pour faire un bon travail.
Et comme tout travail subjectif, avec des atteintes irréconciliables suivant les publics (entre les intègres de l’œuvre originale et la compréhension par tous), il y a des compromis à effectuer.
Donc maintenant, avant de conseiller la VO à tout bout de champ et à tout le monde, prenez le temps d’admirer le travail pour obtenir l’œuvre dans votre langue natale.
J’espère que le texte n’est pas trop indigeste et pas trop fouillis.