Bonsoir,
Ce soir, je lisais quelques articles de la presse générale sur l’énergie, et comme souvent, c’est assez rempli d’imprécisions, et je me disais que ce serait peut-être intéressant de décrypter un peu ce qui y est dit, et ce qu’il en est vraiment.
Il est possible que je ne sois pas complètement neutre. J’ai essayé de me limiter aux faits, mais comme ce billet devrait vous encourager à le faire avec les journaux classiques, lisez-le avec un esprit critique.
Le Kénya, champion du renouvelable
L’article en question est celui-ci, paru dans le Figaro (n’y voyez aucun prosélytisme politique, les imprécisions sont les mêmes dans libération ou autre).
Après un premier paragraphe pauvre en information, on en arrive à l’affirmation que le Kénya produit 75% de son éléctricité à partir du renouvelable. Un exemple à suivre, n’est-ce pas ? Si eux peuvent, pourquoi pas nous ? C’est en tout cas ce qui est sous-entendu quand ils écrivent que le président des français "défend ce modèle".
Regardons plus en détail. La capacité totale du Kénya est 2.6 GW. L’équivalent de deux centrales thermiques. Bien sûr, ça veut aussi dire qu’ils n’ont jamais besoin d’autant. La plus haute demande jamais enregistrée est juste au dessus de 1.8 GW (en 2018), soit à peine plus qu’un EPR. Et pour cause, en 2015, seuls 56% de la population avait accès à l’électricité. Tout ça pour dire qu’on parle ici de toutes petites échelles.
Maintenant, regardons plus en détails cette production d’éléctricité. En 2015, on avait 36% d’hydraulique, et 44% de géothermique. Le reste était en gros du pétrole. Et le solaire et l’éolien représentaient moins d’1% chacun. Fort bien, les chiffres que j’ai donnent donc encore plus que les 75% de l’article. Où est l’imprécision ? Tout simplement que le fait que l’article essaie de donner l’impression que ces 75% viennent du solaire et de l’éolien, et que tout le monde pourrait faire la même chose. Or, si en Afrique, les capacités hydrauliques ne sont pas complètement exploitées, c’est loin d’être le cas partout, et bon courage pour atteindre les 30% aux Pays-bas par exemple. La même chose peut-être dite sur le geóthermique, qui demande des conditions très particulières pour ne pas avoir un prix prohibitif.
En gros, le modèle kényan qui nous est vendu est possible au kénya et dans quelques autres pays. Ce n’est pas un modèle transposable. On pourrait aussi dire que l’investissement dans le solaire va probablement contribuer à augmenter la part des énergies thermiques, mais ce sera un sujet pour une autre fois.
La deuxième partie de l’article porte sur la déforestation, et m’y connaissant peu, je ne me risquerai pas à en faire une analyse.
Des petites centrales au secours de la filière
Partons maintenant voir du coté de Capital, et de leur article sur les petites centrales.
C’est facile, on part d’une communication de Rosatom, l’EDF russe, pour construire un article. Et donc Rosatom a produit deux réacteurs de 35 MW chacun. 20 fois moins qu’une centrale classique, nous dit Capital. L’article étant écrit par un journal français, nous comparerons à la France, où les réacteurs commerciaux produisent au minimum 2700 MW. Soit plus de 75 fois plus. En effet, l’article ne dit pas si ils parlent de puissance thermique ou électrique. En bon serviteur, j’ai cherché pour vous, et c’était une puissance éléctrique, donc on est moins loin de la vérité, mais c’est toujours pas ça. Les réacteurs français produisent soit 900 MWe, 1300MWe ou 1500MWe. Le facteur 20 est toujours très sous-évalué. Mais ce n’est peut-être pas si important.
Vient ensuite en chef d’oeuvre.
Les adversaires du nucléaire ont eu vite fait de rebaptiser la centrale flottante «Tchernobyl-sur-Mer».
On ne saura pas qui sont ces adversaires, mais on saura qu’ils n’y connaissent absolument rien. Après vérification, vous ne serez pas étonnés que ça vienne de Greenpeace, l’organisation qui a aussi peur du nucléaire que d’un document technique.
Tchernobyl était une centrale de type RBMK, et les neutrons y étaient ralenti par du graphite. Ces deux nouvelles centrales, de type KLT-40S (ce qui n’est bien sûr pas précisé dans l’article) utilisent de l’eau pour modérer les neutrons. Un concept complétement différent, proche de presque toutes les centrales existantes. Le seul point commun avec Tchernobyl est qu’on y fissionne de l’uranium. La valeur journalistique de cette saillie est nulle. La valeur scientifique est négative. Mais on met des images d’explosions de centrale dans la tête du lecteur.
On en arrive à l’exercice périlleux de comparer les coûts avec l’EPR de Flamanville. On a d’un coté un réacteur de 1650 MWe, avec une durée de vie de 60 ans qui aura couté peu ou prou 11G€ (je fais confiance au journaliste, je n’ai pas vérifié). Et de l’autre, 70 MWe pendant 40 ans pour 0.3G€. Faîtes les maths, c’en est presque étonnant, mais le coût initial par MWeh est en gros le même. On aurait certainement aimé que le journaliste le mentionne. D’autant plus que l’EPR de Flamanville était une première mondiale, dont le coût baissera pour les prochains réacteurs, quand le réacteur du bateau est une légère modification d’un concept éprouvé.
Et on en arrive à la plus grosse erreur de l’article. Celle qui m’a convaincu d’écrire ce bilet.
avec sa puissante limitée, le réacteur ne risque pas, en cas de panne, de s’emballer ni de partir en fusion.
Alors je ne sais pas comment le dire gentiment, mais ça n’a rien à voir. Rien du tout. Il suffit d’une dizaine de kilos d’uranium pour faire une bombe, et il y en a bien plus dans ce réacteur. Maintenant, vous remarquerez que c’est moi qui fait une mauvaise analogie, puisqu’il n’est absolument pas pratique de faire une bombe à partir du combustible mais passons. La sécurité du réacteur n’est pas du tout basée sur sa puissance, mais sur un nombre impressionnant de systèmes (refroidissement, diesel, barres de contrôle, …) et sur des constantes physiques propres au réacteur. Il y a plus de détail dans le document que j’ai mis en lien un peu plus haut. Il faudrait un tutoriel complet pour tout expliquer, mais je pense que le journaliste a voulu traduire en langage plus compréhensif que le réacteur avait une sécurité passive, mais il s’est complètement planté.
Outre les Russes, les Chinois, les Américains (y compris l’emblématique Bill Gates, qui a créé une société dédiée TerraPower), les Coréens et les Français ont des projets dans le domaine.
Et les Anglais, les Canadiens, les Indiens, les Danois, les Suédois, etc. Oui, même au Danemark, le pays du "nucléaire, non merci", il y a une startup qui a un concept et qui espère être prête d’ici une grosse dizaine d’années.
la Société française d’énergie nucléaire (Sfen), un think tank très proatome.
Tout à fait vrai, mais je le vois comme une façon de décrédibiliser ce que dit la SFEN, qui pour le coup ne dit pourtant rien de révolutionnaire.
sa part dans le mix électrique mondial est passée de 17,5% en 1996 à 10,3% en 2017, d’après l’Agence internationale de l’énergie, du fait de l’arrêt de la quasi-totalité des centrales japonaise et de la progression des énergies renouvelables et du gaz.
Comme on peut le voir ici, l’arrêt des réacteurs japonais n’a pas provoqué une baisse de la production nucléaire dans ces 20 ans. Seulement une petite indentation juste après l’accident.
Et ici, on voit que si les renouvelables ont bien augmenté d’environ 2000 TWh pendant ces 20 ans, le charbon a augmenté de 4000, et le gaz de 3000. On pourrait reformuler ce que dit le journaliste par "la part du nucléaire a baissé pendant que sa production augmentait parce qu’on brûle plus de charbon et de gaz que jamais avant".
Un seul vient d’entrer en service
Deux.
n SMR de 60 MW, qui a été officiellement homologué en 2018.
Homologué ? C’est seulement en court on dirait. La Phase 1 de cette revue a été terminée en 2018 par contre.
C’est tout. Je ne sais pas vous, mais moi ça me fait peur la quantité d’erreurs, approximations, insinuations (volontaires ou non), et si je peux les détecter dans ce domaine, j’ai bien peur d’y être soumis sans le savoir dans d’autres domaines…
N’hésitez pas à me dire si ça vous a intéressé, ou si vous voudriez un travail similaire sur d’autres documents.