Un arrêt ou un ralentissement du progrès scientifique ?

a marqué ce sujet comme résolu.

Bonjour à tous,

Je suis tombé sur cet article cet après-midi. Il présente une thèse d'un arrêt ou tout au moins d'un fort ralentissement du progrès scientifique depuis les années 70.

Sans vous en faire un résumé complet, il met en opposition l'innovation constante qui a eu lieu pendant 2-3 décennies après la seconde guerre mondiale, contre une amélioration plus ou moins sans innovation, bien qu'impressionnante, depuis. L'auteur admet quelques exceptions, telles que le prix des trajets aérien ou internet moderne, mais essaie de tracer un trait plus général.

Quelques raisons sont avancées :

  • Le manque de prise de risque des capitaux
  • Qu'il est bien plus facile de gagner plus avec l'obsolescence qu'avec des innovations franches
  • Que l'on ait fait des applications des avancées théoriques des décennies précédentes, ce qui a donné une impression de progrès rapide
  • Que l'on ait été chanceux
  • Que l'opinion publique attende les innovations du privé et plus du public
  • Et surtout, que l'on n'accepte plus le risque technologique. Qu'un médicament passe maintenant des années en test avant d'être approuvé, qu'un nouvel avion, qui n'est en soit qu'une amélioration des modèles précèdents, mette 15 ans entre le début du projet et le premier vol, etc…

Concernant mon opinion personnelle, même si je ne serai pas aussi manichéen que l'auteur, je me suis déjà pris à avoir quelques pensées similaires. Dans mon domaine (l'énergie nucléaire), il est devenu impossible ou presque de présenter une innovation et d'en faire quelque chose en moins de 20 ans.

D'un autre coté, j'ai aussi l'impression que notre société agit plus en réaction de. La crise énergétique au Pakistan par exemple force des réponses rapides. L'épidémie d'ébola a provoqué des tests humains après seulement quelques mois de tests sur animaux, et l'autorisation de traitement expérimentaux sans aucune garantie de succès.

J'ai aussi l'impression que les gens aimeraient vraiment que l'on recommence à avoir de vraies innovations, ou des prises de risques. Je prendrai en exemple la manière dont certaines personnes ont vénéré Steve Jobs (que l'on soit d'accord ou pas sur le fait qu'Apple ait innové, c'est comme ça que c'était présenté) et l'admiration pour Elon Musk que ressentent aussi beaucoup de personnes (notamment pour ses prises de risques un peu folles, sans aucune garantie de réussite).

J'ai l'impression de m'éparpiller un peu, donc je vais m'arrêter là et vous demander votre avis. Avez-vous l'impression que les innovations technologiques se sont faites plus rares ? Quelle(s) en serai(en)t la(les) raison(s) selon vous ?

Sujet intéressant, je vais lire l'article. :)

Petite question au passage par rapport à ton titre et la fin de ton post: est-ce que pour toi un progrès scientifique est équivalent à une innovation technologique (et vice versa)? La question me semble importante pour avoir un débat sur le sujet.

J'ai peut-être mal choisi mes termes, du coup je vais redéfinir ce que je voulais dire par un progrès à travers des exemples, parfois utilisés dans l'article.

  • Créer un téléphone portable en est un. Augmenter la puissance du processeur dessus n'en est pas un.
  • Créer un avion qui peut traverser l'atlantique en 3 heures en est un. Créer un avion qui peut prendre un peu plus de passagers n'en est pas un.

Pour reprendre un mot qui est utilisé dans le lien, je vois les progrès scientifiques comme une innovation capable de changer un paradigme.

Salut,

J'avoue avoir du mal à comprendre pourquoi tu considères qu'améliorer le temps de traversée de l'Atlantique est un progrès, mais pas augmenter le nombre de passagers. Les deux permettent d'améliorer le flux… Quand à l'augmentation de la puissance des processeurs, ça permet quand même de pouvoir traiter de plus en plus de données et de plus en plus rapidement, c'est crucial pour notre société… Et même si avec ça, on ne change pas de "paradigme" d'un coup, ça se fait sur le long terme.

Par ailleurs, j'avoue également avoir du mal à voir le lien entre progrès scientifique et innovation technologique, les deux sont tout de même partiellement décorrélés factuellement et temporellement…

Sinon, sur ce point :

Avez-vous l'impression que les innovations technologiques se sont faites plus rares ?

Bof. Personnellement, je vois apparaître des trucs nouveaux sans arrêts. C'est pas toujours destiné au grand public, c'est pas aussi impactant qu'internet ou la TV, c'est pas aussi médiatisé que le "nouveau" téléphone d'Apple, mais les innovations sont quand même là.

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Faut arrêter de croire que l'innovation technique passe forcément par une innovation de rupture qui va engendrer un bouleversement majeur dans les sciences et les techniques !

Des vraies innovations par la rupture y'en a une à deux majeures par siècle. Le reste, c'est de l'innovation d'amélioration. Gagner 3% de consommation sur une génération d'avion, c'est une vraie innovation. Car sur 30 ans, ca représente énormément !!

La dernière innovation de rupture en date qu'on a vécu est l'informatique et on est toujours en plein dedans !! Compare un PC de 1970 avec un téléphone d'aujourd'hui… y'a pourtant eu AUCUNE rupture majeure mais juste une évolution continue faite d'une série de petits gains.

Sur les aspects financiers, c'est vrai qu'on va souvent (toujours) rechercher une valorisation à court terme, dès fois au détriment d'une recherche de fond plus rentable à long terme. Mais on peut espérer que des choses comme le financement participatif fasse évoluer la situation.

+4 -0

Je me prends un peu une volée de bois vert, mais bon, c'est le jeu :D Je voudrais quand même préciser une nouvelle fois que je ne suis pas totalement d'accord avec bien des points de l'article.

Il y a en effet une mélange entre progrès scientifique et innovation technologique, qui apparaît aussi dans l'article, et que je n'ai absolument pas clarifié en tentant de résumer rapidement ici. Le troisième point des raisons avancées semble tendre vers une considération des innovations technologiques.

Pour l'exemple des avions, plus que le résultat, c'était sur les techniques. Faire un avion plus gros, on sait que ´ca coûtera plus cher, que ce sera peut-être plus compliqué, que la consommation augmentera peut-être, mais on a grosso-modo les connaissances pour le faire. L'avion plus rapide (le concorde), il va falloir qu'il passe le mur du son, donc il va falloir tout repenser en terme de matériaux, d'aérodynamisme. La position du carburant change en phase de vol pour changer le centre de gravité. Je suis loin d'être expert en avions, donc il y a certainement des inépties dans ce que je raconte, mais j'espère que je parviens à faire passer mon idée de la différence entre les deux cas.

Personnellement, je vois apparaître des trucs nouveaux sans arrêts. C'est pas toujours destiné au grand public, c'est pas aussi impactant qu'internet ou la TV, c'est pas aussi médiatisé que le "nouveau" téléphone d'Apple, mais les innovations sont quand même là.

Tu aurais un ou deux exemples ? J'aimerais juste être sûr de quoi tu parles avant de décider si oui ou non je suis d'accord.

La dernière innovation de rupture en date qu'on a vécu est l'informatique et on est toujours en plein dedans !! Compare un PC de 1970 avec un téléphone d'aujourd'hui… y'a pourtant eu AUCUNE rupture majeure mais juste une évolution continue faite d'une série de petits gains.

Penses-tu que les innovations de rupture passées présentées par l'auteur apparaissent telles quelles parce qu'il n'a pas vu ces petits gains, n'étant pas né/intéressé par la question à cette époque ? C'est une vraie question.

Il y a en effet une mélange entre progrès scientifique et innovation technologique, qui apparaît aussi dans l'article, et que je n'ai absolument pas clarifié en tentant de résumer rapidement ici.

Sur le progrès scientifique pur, la question ne pose pas. On a fait des sauts considérables dans tous les domaines et ca continue. Seul du point de vu technologique/technique la question peut se poser.

Pour l'exemple des avions, plus que le résultat, c'était sur les techniques. Faire un avion plus gros, on sait que ´ca coûtera plus cher, que ce sera peut-être plus compliqué, que la consommation augmentera peut-être, mais on a grosso-modo les connaissances pour le faire. L'avion plus rapide (le concorde), il va falloir qu'il passe le mur du son, donc il va falloir tout repenser en terme de matériaux, d'aérodynamisme. La position du carburant change en phase de vol pour changer le centre de gravité. Je suis loin d'être expert en avions, donc il y a certainement des inépties dans ce que je raconte, mais j'espère que je parviens à faire passer mon idée de la différence entre les deux cas.

Pas de bol pour toi, tu tombes dans un domaine où je suis relativement calé =p.

Les avions récents ont été la source de beaucoups d'innovations ! Par exemple, les composites dans le fuselage ont été (et sont toujours) une grosse source de travail et d'innovation. En ce moment, y'a un énorme travail chez Airbus pour arriver à une conception entièrement numérique (ie virer des tests réels pour faire de la simu à la place). Actuellement, on garantie aujourd'hui la validité des simulations à postériori en comparant avec les essais en vol.

Bref, on a besoin d'innovation d'amélioration car l'aéronautique est un marché qui pèse des milliards et emploie des milliers de gens.

Mais le monde de l'innovation de rupture n'est pas en reste. Le futur semble être les vols suborbitaux, le tourisme spatial et un accès facile et peu couteux à l'espace.

Autre exemple dans l'énergie nucléaire : on a d'un côté des réacteurs de génération III (EPR) en cours de construction et de l'autre côté, des projets sur la fusion nucléaire (ITER)

Et je pense que c'est comme cela partout, même si on en a pas toujours conscience.

Penses-tu que les innovations de rupture passées présentées par l'auteur apparaissent telles quelles parce qu'il n'a pas vu ces petits gains, n'étant pas né/intéressé par la question à cette époque ? C'est une vraie question.

Les innovations qu'il présente de rupture sont souvent dans la ligné d'autres innovations plus anciennes. Par exemple, les premières télévisions, c'est 1910-1920. Les première idées de fusées, c'est par Constantin Tsiolkovski en 1900 !! Regarde l'histoire de l'informatique, elle est remplie d'automates mécaniques, qu'on passe en électrique par la suite, puis qu'on miniaturise avec le transistor…

En général, on a une idée irréalisable sur le coup, qui le devient 10/20/30/40 ans après suite à de nombreuses petites améliorations espacées dans le temps.

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Tu aurais un ou deux exemples ? J'aimerais juste être sûr de quoi tu parles avant de décider si oui ou non je suis d'accord.

On invente de nouveaux médicaments potentiels tous les jours, on travaille sur des bétons plus résistants et moins sujets aux pathologies (et adaptés à différents usages), on améliore les techniques d'analyses chimique sans arrêt, on sort des GPU de plus en plus performants à une fréquence mensuelle, on fait des progrès sur la connexion entre les prothèses et le système nerveux des patients tous les jours, on met régulièrement au point des trucs complètement dingues (hoverboard, google glass, self-driving car) etc, etc. Il suffit de se tenir au courant sur le moindre canal d'information un peu technique pour s'en rendre compte.

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Penses-tu que les innovations de rupture passées présentées par l'auteur apparaissent telles quelles parce qu'il n'a pas vu ces petits gains, n'étant pas né/intéressé par la question à cette époque ? C'est une vraie question.

Rockaround

Oui, je pense qu'on ne voit les ruptures technologiques qu'à postériori.
Pour s'en convaincre, il faut essayer de se mettre dans la peau de quelqu'un qui a vécu à ces époques. Je pense qu'il pourrait avoir le même discours que l'article, bien qu'il soit en plein dans ce qu'on considère nous comme une rupture.

Pensons à l'électricité. Les gens à l'époque en auront entendu parler bien avant que ça se démocratise. Ils auront entendu parler des expériences de laboratoire, des premiers alternateurs,… Puis par petites améliorations successives, les alternateurs grossissent et alimentent des usines entières. Meme le premier qui aura l'électricité dans son usine, il considerera surement que c'est une rupture dans son activité économique, mais pas comme un bond scientifique. Puis les gens verront les lampadaires à gaz des villes remplacés par des ampoules electriques, puis quelques riches auront l'électricité chez eux. Quand enfin ça arrivera chez l'homme du peuple, il sera déjà habitué à l'idée, pour lui l'électricité n'aura été qu'une suite d'améliorations successives. Pourtant pour nous, c'est une des 3 révolutions technologiques, avec la machine à vapeur et la révolution informatique.

Même chose pour nous avec les smartphones, les écrans plats, internet, et plus tard les voitures autonomes (ça aura fait 20 ans qu'on aura entendu parler des google cars), la thérapie génique,…

Personnellement, j'en parlais dans le rubrique chaîne culturelle et scientifique je regarde FUTUREMAG sur youtube, ils sont bien d'actualité et citent de bonnes sources, ils nous montrent les progrès assez foufou qui commencent à devenir accessible. Arduino, Les tétraplégiques qui commandent des bras à distance, les prothèses à moindre cout, les compostages à grande échelle pour mieux recycler, et j'en passe.

Le progés précédent notre génération était "phénoménale", radioactivité, grand concept de chimie et physique, on en parlait, on l'enseigne. Mais aujourd'hui les avancées sont bien souvent trop pointu pour qu'on en parle autant. Adrien l'a bien souligné : Des nouveaux médicaments potentiels apparaissent chaque jours (dans le but de mieux soigné avec des effets secondaires amoindri, de belles évolutions). Mais effectivement ce rendre compte que l'uranium ça tue, c'était dans l’intérêt publique d'en parler…

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Mouais, entre les années 70 et aujourd'hui au boulot je suis passé de ça :

Avec les résultats des analyses du week-end sous la forme 200m papier à ramasser devant l'appareil le lundi matin, à découper et à peser à la balance pour interpréter car les intégrateurs électroniques c'était pas accessible … et encore, ça c'est si tu avais un passeur ce qui était à la limite de la science-fiction quand même à l'époque, sinon, à la seringue, échantillon par échantillon comme le mec sur la photo, bonjour la productivité … et sans parler de la chimie avant d'utiliser l’appareil

à ça :

… un bouton on/off, tellement simple qu'on est au passage passé de plusieurs utilisateurs par appareil à plusieurs appareils par utilisateurs.

Des innovations majeures, on peut en donner un certain nombre, rien que l’impression 3D c'est quelque chose de révolutionnaire. Si tu as écouté les infos hier soir, un cœur artificiel à été greffé avec succès. On a découvert les Quasi-cristaux en 82, les fullerènes en 70,, on a inventé la RMN multidimensionnelle en 72, développé la tomographie d’impédance électrique en 84 et la tomographie par ablation laser il y a 2 ans. Le graphène à été isolé en 2004 et on a découvert le boson de Higgs il n'y a pas si longtemps. L'IRM aussi, utilisé pour a première fois sur un humain en 77 … des avancés on en manque pas.

Bref, l'auteur de cet article n'est pas très objectif … La plus part de ses exemples sont discutables et un peut hasardeux. A commencer par l’évolution de l'aviation, prendre l'exemple d'un des domaines les plus réticent à l'évolution n'est pas très judicieux … d’autant que c'est une erreur, le 21è siècle voit apparaitre les appareils autonomes et leur démocratisation, les drones professionnels les moins chers sont plus accessibles que la dernière tablette en vogue. Ensuite pour le cancer … il prends le problème à l'envers … les humains meurent en majorité du cancer ou d'un accident cardiaque, ce n'est pas l'évolution du taux de mortalité qu'il faut observer, mais du taux de survie, je doute fortement qu'on avait plus de 50% de chances d'être en vie 5 ans après le diagnostique d'une leucémie comme aujourd'hui.

ça me rappelle un congrès en cosmétique … une partie attaquait un industriel qui présentait sa gamme de crème solaire en émettant des doutes sur l'utilité d'une crème avec un indice très élevé avec comme argument que par rapport à l'indice inférieur, la quantité d'UV absorbée était négligeable. C'est exactement le même raisonnement : par rapport au rayonnement incident, oui, c'était inférieur à 1% … par contre dans l'autre sens, le rayonnement transmis et donc la dose d'UV prise par le consommateur était en réalité 50% plus faible … rien à faire des rayons absorbés, ils ne sont pas dangereux ! Là c'est pareil, c'est pas le nombre de mort qu'il faut compter, c'est horrible à dire mais on ne pouvais rien pour eux, mais le nombre de personnes sauvées. Et ces deux nombres ne sont pas égaux, dire "your chances in 2014 are not much better than they were in 1974" est totalement faux, c'est une grosse erreur de raisonnement/interprétation des chiffres.

Par la suite il enchaine sur des sujet qui par nature sont extrêmement difficile à développer … l'opposition à tout ce qui touche au manipulations génétiques est énorme clonage d'organe, thérapie génique, cellules souches … dès que tu fais ce genre de recherche ne serai-ce que sur de plantes, tu reçois des menaces de mort, sur de animaux, on brûle tes labos … alors sur des humains … Quand au décryptage du génome humain contrairement à ce qu'il dit, il y a des applications qui en découlent notamment une nouvelle discipline : la metagenomique qui entraine un fort développement des recherches dans les biocarburants et a permis des avancés dans la surveillance de l'environnement et de son évolution face à un polluant.

Selon lui il n'y a pas d'innovation dans les matériaux … Mouais, il oublie juste le graphène et plus généralement les matériaux bidimensionnels, rien de grave -_- …

La physique se serait arrêter mise à part le boson de higgs … Et le supercontinuum, la conversion d'énergie lumineuse en énergie mécanique par chromocapillarité, les avancées sur les boites quantiques …

Personne n'a d'idée pour mettre la théorie des cordes à l'épreuve, aucune idée d'où il sort ça puisque ça fait quand même un moment qu'on attend que les programmes du LHC soient finis pour le pousser à bout et vérifier l'existence ou non de particules superpartenaires

Bref, plus je le lis, plus je me dit qu'en fait il croit que les avancées se retrouvent dans no salon le lendemain de leur découvertes … quand je vois "And nobody has been to the Moon for 42 years" j'ai envie de rire et de lui demander : "pour y faire quoi ?", mais bon selon lui c'est pas la raison. J'ai l'impression qu'il n'a en réalité aucune idée de ce qu'il raconte, c'est en grande partie le discours d'un homme moyen pris au hasard dans la rue, y'a deux trois passage bien et d'autre franchement bizarre le tout dans un brouillon pas possible.

Le sujet peut être intéressant, mais la source l'est beaucoup moins

EDIT : Mouais, j'avais pas fait attention … c'est soit disant un journaliste scientifique, mais il a écrit pour The sunday times et the daily telegraph … autant s'attendre à des articles scientifiques de qualité dans 20 minutes ou métro xD

+6 -0

Je viens mettre mon grain de sel, même si visiblement le débat est déjà clos.

Il semble ressortir de l'article une idée selon laquelle les innovations scientifiques devraient être rapides (« mettre 15 ans entre le début du projet et le premier vol »). Je ne sais pas si c'est vrai ou pas, mais surtout je me demande en quoi ce serait une mauvaise chose si c'était vrai ?

Élaborer ou enrichir une théorie scientifique est un travail de très longue haleine, je ne vois pas ce qu'il y a de choquant à cela. Le grand collisionneur du CERN est probablement un bon exemple. Outre le fait que sa construction même a été une source de progrès, c'est un projet sur plusieurs années. Mais à terme, il ne fait aucun doute que de nouvelles connaissances vont être apportées — c'est déjà le cas, d'ailleurs.

Alors, certes, cela a été long. Mais en même temps, il y a de bonnes chances pour que ça ait valu de coup. J'ajoute que par rapport à il y a disons, 100 ans, on sait bien plus de choses. Il ne paraît donc pas aberrant que des bouleversements majeurs du monde scientifiques apparaissent tous les 10 ans. En conséquence, il en va de même pour les technologies.

Mais le progrès devrait être mesuré continûment, pas ponctuellement.

Je ne pense pas que la critique soit dans le temps que l'innovation prend, mais plutôt dans les raisons de ces lenteurs. Il me semble qu'il critique une opinion publique mal informée, une difficulté à obtenir des financements, des législations plus lourdes que nécessaires etc… En soit, avoir un projet énorme qui prenne des décennie, ce n'est pas une mauvaise chose. Sauf si c'est pour les mauvaises raisons.

Je viens apporter mon grain de sel d'un point de vue plus éloigné, étant pour ma part dans les sciences humaines.

Depuis peut-être dix ans, il y a un mouvement en linguistique historique qui vise à mieux formaliser la discipline, en quelque sorte et à gros traits à introduire une rigueur qui lui manque. C'est un travail colossal et indispensable pour pouvoir continuer à progresser sur de bonnes bases. Vu de l'intérieur, ça a bien l'air d'une avancée scientifique considérable.

La génétique des populations est étudiée depuis des décennies. Mais la masse critique d'informations n'a été atteinte qu'en 2002 avec la constitution du YCC qui a formalisé les découvertes existantes de manière à mieux exploiter les découvertes à venir. Et c'est en 2006 (ou 2004 ? J'ai un doute…) qu'est paru l'article fondateur sur le moyen de calculer l'âge d'une population ayant un ancêtre commun. Article qui commence à être mis en cause, car il semble que ses résultats soient faux pour une population croissante. En bref, c'est encore en plein bouillonnement, mais il y a un truc énorme qui est en train de se mettre en place, parce que, correctement utilisée, la génétique des populations est une source fantastique pour l'étude de la préhistoire.

En histoire, maintenant. Disons-le clairement, ce qu'on enseigne à l'école a cinquante ans d'âge. C'est bien dommage, mais c'est comme ça. Même ce que j'ai appris en prépa ou plus tard correspond dans l'ensemble à des travaux des années 1990. Mais il y a une raison à ça : une conférence sur les dernières avancées de la science en histoire (des travaux qui ont moins de 2 ans), c'est chiant à mourir. « On est pas sûrs… », « On ne sait pas… », « Il faut travailler encore sur ce point… », etc. Les travaux les plus récents, il y en a une bonne partie qui s'avérera obsolète dans quelques années seulement, alors pas la peine d'en faire tout un plat.

C'est ce que je reproche à des revues comme Science et Vie ou assimilées, c'est de faire du sensationnalisme à la moindre avancée ou découverte, comme si chacune allait révolutionner le monde.

Pour finir, je vais vous donner mon avis d'historien sur les innovations de rupture : c'est un avis personnel, qui est loin d'être partagé par toute ma profession, mais qu'il me serait trop long d'argumenter en détail. Il n'y a pas de rupture. Ça n'existe pas. L'évolution sociale, technique, économique, etc. s'inscrit toujours dans une continuité longue, les choses arrivent petit à petit, se mettent en place avec plus ou moins de heurts et finissent pas advenir. Et un beau jour, on se rend compte rétrospectivement que la situation actuelle « n'est plus comme avant », que quelque chose à changé, et on essaye de situer le « point de rupture » sur le chemin parcouru. Mais il n'y a pas eu de rupture, c'est une construction d'historien a posteriori.

Je terminerai sur une citation d'une amie septuagénaire qui, mutatis mutandis, me semble particulièrement bien s'appliquer à ce débat : « On ne se voit pas vieillir. ».

+5 -0

'évolution sociale, technique, économique, etc. s'inscrit toujours dans une continuité longue, les choses arrivent petit à petit, se mettent en place avec plus ou moins de heurts et finissent pas advenir. Et un beau jour, on se rend compte rétrospectivement que la situation actuelle « n'est plus comme avant », que quelque chose à changé, et on essaye de situer le « point de rupture » sur le chemin parcouru. Mais il n'y a pas eu de rupture, c'est une construction d'historien a posteriori.

Je suis plus dubitatif, il y a des évolutions techniques qui ont été un facteur indispensable à une rupture sociale et géopolitique, comme l'écriture, l'imprimerie ou l'Internet. Ces inventions se sont immédiatement suivis d'un progrès des sciences et de la culture de manière importante. La société évolue forcément car le rapport à l'information n'est plus le même. Quand tu vois que Internet concerne une grande partie de la population mondiale moins de 40 ans après son apparition, on peut appeler ça une rupture oui tellement son impact a été fort et ses implications profondes.

De même que la révolution industrielle a été une révolution scientifique, en permettant à une partie de la population de se consacrer aux sciences en faisant de cette activité un métier, on est passé d'un status de scientifique amateurs à celui de professionnel. Ce n'est pas pour rien qu'un siècle plus tard les fondements des sciences modernes tels que les maths ou la physique ont été posées. C'est une rupture qui a un contexte et qui se repose forcément sur le passé, mais il y a bien eu un "avant" et un "après" ce genre d'évènements.

Après pour la question du progrès scientifique, je ne pense pas que dans un premier temps que cela va se tarir mais sur le long terme ça me paraît inévitable. Il arrivera un jour où il faudra pratiquement toute une vie humaine pour assimiler les connaissances nécessaires pour aller plus loin que les connaissances contemporaines dans ce secteur car tout cela sera trop poussé. Mais je pense que nous ne verrons pas de nous même ce stade là.

+2 -1

C'est une rupture qui a un contexte et qui se repose forcément sur le passé, mais il y a bien eu un "avant" et un "après" ce genre d'évènements.

C'est exactement ce que j'explique : c'est en regardant en arrière qu'on se dit que quelque chose s'est produit, qu'on a le sentiment qu'un aspect de la vie a beaucoup changé par rapport à un certain « avant ». Il y a un avant, un après, et une période floue entre les deux où se doute bien que quelque chose a changé mais sans savoir exactement comment.

Prends Internet. À quel moment s'est faite la « rupture » ? En 1961-2 quand les scientifiques ont l'idée d'Internet ? En 1969 quand les premiers nœuds du réseau sont mis en place ? En 1972 quand on invente le courrier électronique ? En 1981 avec la mise sur le marché de l'IBM PC qui a ouvert l'informatique au grand public ? En 1983 quand ARPANET devient Internet par l'adoption de TCP/IP ? En 1989 avec l'invention du logiciel libre ? En 1991 quand Tim Berners-Lee rend publique son idée de Web et de HTTP ? Vers 1997 quand Internet s'ouvre au grand public dans le monde entier ? Vers 2003 avec les premières offres triple play ? En 2005 quand on a franchi la barre du milliard d'internautes ? En 2006 quand Facebook est ouvert à tous ? Vers 2010 avec l'explosion du nombre de smartphones connectés à Internet ? La « rupture » est-elle seulement terminée ? L'incompréhension de nos vieux dirigeants face à Internet laisse à penser que non.

En outre, mis à part le fait qu'un certain nombre d'entre nous avons connu avant et après l'Internet grand public et sommes capables de percevoir la différence, en quoi Internet est-il plus une rupture que, au hasard, la première Guerre mondiale, la découverte de la pénicilline, la télévision, l'électricité, le téléphone, la radio, la téléphonie mobile, le droit de vote des femmes, l'arrivée massive de musulmans en Europe, le cinéma, l'automobile, l'avion, le plastique, l'agriculture chimique, les satellites, etc. ? À ce rythme-là, on a une rupture par décennie… Quels sont les critères objectifs qui déterminent le statut de rupture ? Y en a-t-il seulement ?

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Contrairement à toi, Renault, j'aime bien l'idée que la rupture soit une décision des historiens a posteriori.

L'imprimerie est un excellent exemple. Naturellement, en tant que technologie, elle constitue une grande avancée. Mais le fait qu'elle ait été inventé est en soi le fruit d'un long processus par lequel la société s'est transformée et a vu ses besoins évoluer. L'envie et la nécessité d'une meilleure communication a incité les savants de l'époque à réfléchir et l'imprimerie a été le résultat de leur travail.

De nos jours, le même phénomène se produit avec Internet. On souhaite mieux partager l'information, la connaissance et même la culture. Donc une technologie se développe ; certes, le développement est rapide, mais il est néanmoins continu. Et c'est seulement à l'heure actuelle, lorsque l'on regarde 15 ans dans le passé, que l'on se dit : « Ah ouais Internet ça a quand même révolutionné la société ».

Une rupture ne peut se mesurer qu'après son achèvement, de même que l'âge d'or ou l'apogée ne peuvent se mesurer qu'après le début d'un déclin mesurable. Cela n'entre pas selon moi en contradiction avec ce que vous dites car tout ceci est observable dans un temps potentiellement très court. Prévoir l'avenir étant impossible, il me semble bien dangereux de croire qu'à un moment on pourrait dire "ça va être une rupture", d'où le fait de le constater avant de le déterminer comme tel.

En outre, mis à part le fait qu'un certain nombre d'entre nous avons connu avant et après l'Internet grand public et sommes capables de percevoir la différence, en quoi Internet est-il plus une rupture que, au hasard, la première Guerre mondiale, la découverte de la pénicilline, la télévision, l'électricité, le téléphone, la radio, la téléphonie mobile, le droit de vote des femmes, l'arrivée massive de musulmans en Europe, le cinéma, l'automobile, l'avion, le plastique, l'agriculture chimique, les satellites, etc. ? À ce rythme-là, on a une rupture par décennie… Quels sont les critères objectifs qui déterminent le statut de rupture ? Y en a-t-il seulement ?

On parle de rupture technologique, donc de fait l'imprimerie a sa place quand une Guerre mondiale ne l'aura pas car une guerre mondiale n'est pas un concept technologique. L'Histoire a montré que l'écriture et l'imprimerie ont transformé de manière profonde la société dans son ensemble, de manière si profonde qu'il y a eu un changement de sociétés très important peu de temps après et Internet poursuit ce phénomène. Je t'invite à visionner, notamment, cette excellente conférence de Michel Serres dans le cadre de l'INRIA : https://interstices.info/jcms/c_33030/les-nouvelles-technologies-revolution-culturelle-et-cognitive

Il explique plutôt bien le sujet.

Contrairement à toi, Renault, j'aime bien l'idée que la rupture soit une décision des historiens a posteriori.

Dis comme ça, c'est attribuer à un historien de déterminer ce qui est une rupture ou pas, alors que techniquement tout individu ayant vécu cette période devrait être capable de la décrire aussi. Je pense honnêtement que la plupart des individus d'au moins 40 ans sauront décrire l'invention informatique comme une rupture sociétale majeure.

L'envie et la nécessité d'une meilleure communication a incité les savants de l'époque à réfléchir et l'imprimerie a été le résultat de leur travail.

L'invention est rarement le fruit du hasard, c'est souvent un processus long pour essayer de changer quelque chose ou pour répondre à des questions pratiques. C'est donc évident que ces inventions répondent à des besoins de leurs époques, mais je ne vois pas en quoi ça contredit ce que je présente.

Et c'est seulement à l'heure actuelle, lorsque l'on regarde 15 ans dans le passé, que l'on se dit : « Ah ouais Internet ça a quand même révolutionné la société ».

Comment en 1991 Tim Berners Lee aurait pu penser que son travail aurait un impact majeur dans le monde moderne ? L'intérêt de son travail repose sur le fait qu'il soit populaire, partout et adopté. Et c'est très dur de savoir si un produit va accéder à ce stade, parfois l'invention est née trop tôt par rapport au contexte qui conduira à un rejet, parfois ce n'est pas assez mature pour mériter un tel engouement puis il y a de nombreux facteurs qui peuvent contrecarrer une telle expansion. De fait, il est obligatoire d'attendre pour mesurer les effets pour déterminer si la rupture a eu lieu ou pas. Mais là encore, où est la contradiction avec ce que vous dites et ce que je dis ?

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