Le corps humain est une machine extraordinaire, fruit de millions d’années d’évolution1. Au fur et à mesure de notre histoire, la nature a sélectionné pour nous les caractéristiques qu’elle estimait les plus importantes à notre survie et a laissé de côté les autres. Alors, pourquoi parmi tous les mécanismes dont l’utilité n’est plus à prouver — notre pouce opposable ou bien l’insertion du rachis à la base de notre crâne par exemple —, a-t-on également conservé la douleur ?
Quand on a mal, c’est juste désagréable et ça n’apporte a priori aucun avantage. Ne vivrait-on pas mieux si on ne ressentait plus du tout la douleur ?
Dans cet article, nous allons tenter de répondre à ces questions. Pourquoi a-t-on mal ? Quelle en est l’utilité d’un point de vue survie ? D’un point de vue médical ? Comment utiliser la douleur ? Comment la traiter ?
Mais au-delà de cette discussion purement théorique, je souhaiterais vous montrer que la compréhension de la douleur peut avoir un impact concret dans notre vie de tous les jours. En particulier, il existe certaines douleurs spécifiques qui peuvent mener sur la voie de détresses graves. Nous allons apprendre à les reconnaître et vous verrez que ces notions assez simples vous permettront, un jour peut-être, de sauver une vie.
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Pour plus d’informations, je vous renvoie vers le livre La théorie de l’évolution : une logique pour la biologie, écrit par Patrice David et Sarah Samadi, paru aux éditions Flammarion. Et je remercie @Blackline pour cette découverte !
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- Pourquoi a-t-on mal ?
- La douleur d'un point de vue médical
- Douleur et diagnostic
- Prendre en charge la douleur
Pourquoi a-t-on mal ?
Définissons la douleur
Il y a fort à parier que si je vous demandais de donner une définition de la douleur, là, maintenant, vous seriez bien embêté. Nous la connaissons tous comme un concept assez évident qui fait partie intégrante de notre condition d’être vivant, mais difficile de mettre des mots dessus, pas vrai ?
Il y a de l’idée, mais ça reste assez flou. Quand on reçoit un coup, qu’est-ce qui fait que c’est douloureux ou non ? Est-ce une simple question d’intensité ? Mais alors pourquoi face à un même coup certains auront mal et d’autres non ? Ne serait-on donc pas tous faits pareil ? Ou alors y aurait-il une dimension psychologique de la douleur ?
La dimension psychologique, parlons-en justement ; que dire d’une souffrance purement psychologique1 - c’est-à-dire qui n’est reliée à aucun stimulus physique (qu’il soit interne ou externe au corps humain) ? Est-ce réellement une douleur ? Et la souffrance émotionnelle ? Peut-on parler de douleur quand on éprouve une sensation authentique de cœur brisé alors que l’on vient de subir une rupture ?
Bref, vous conviendrez que définir la douleur, ce n’est pas une mince affaire. Mais il en faut bien plus que ça pour nous arrêter ! Et même si notre conception de la douleur a fortement évolué au cours de notre histoire, nous sommes arrivés à un consensus sur la définition que voici :
Cette définition, qui date de 1986, a le double avantage d’être assez large et en même temps de répondre à toutes les questions que nous nous sommes posées plus haut. La douleur est nécessairement accompagnée d’une lésion tissulaire, mais celle-ci peut-être potentielle. Il y a deux conséquences importantes à cela :
- premièrement, il n’y a pas besoin de trouver la lésion tissulaire en question pour considérer que le patient a mal. Le patient est expert de sa propre douleur. S’il vous dit qu’il a mal, alors il faut le croire, même si on ne voit rien et même si ce qui provoque la douleur vous paraît tout à fait bénin2.
- deuxièmement, il n’est pas nécessaire qu’il y ait de lésion du tout. Les souffrances psychologiques et émotionnelles sont reconnues comme des douleurs à partir du moment où elles donnent l’impression d’une lésion tissulaire. Si votre stress vous fait ressentir une boule au ventre, on parlera de douleur, même si la boule en question n’existe pas réellement. En revanche, si la souffrance que provoque votre stress n’est pas rattachable au corps (une sensation de tristesse par exemple), on parlera plutôt de mal-être.
On fait ainsi une différence entre avoir mal et être mal.
Quand les médecins nous font mal
Quand on commence une prise en charge médicale, on sépare les douleurs en deux catégories selon leur origine :
- les douleurs liées à la maladie,
- les douleurs liées aux soins.
Dans ces dernières, on retrouvera trois types différents :
- les douleurs provoquées ; ce sont des douleurs que le médecin cause de manière volontaire parce qu’elles apportent des informations utiles au diagnostic (exemple : palpation de l’abdomen pour une appendicite).
- les douleurs induites ; ce sont des douleurs prévisibles, de courte durée, provoquées par un examen ou une thérapeutique. En revanche, elles ne sont pas particulièrement souhaitées et il est parfois possible de mettre en place des solutions afin de les prévenir (exemple : séances de kinésithérapie avec manipulations douloureuses pour lesquelles un médecin peut prescrire un antalgique parce qu’il sait à l’avance qu’il y a une possibilité de douleur).
- les douleurs iatrogènes ; quelque chose est iatrogène quand il s’agit d’un effet secondaire de survenue aléatoire et non prévisible lié à examen ou une thérapeutique (exemple : les statines qui sont des médicaments de prévention de l’hypercholestérolémie3 sont particulièrement connues pour provoquer des douleurs musculaires4).
Il y a de nombreux cas dans lesquels la douleur est un indicateur clé pour poser ou orienter un diagnostic (et nous aurons l’occasion d’en reparler). Seulement, si c’était là son seul rôle bénéfique, nous aurions beaucoup de mal à répondre à la question posée en introduction : pourquoi la sélection naturelle nous a-t-elle fait garder le mécanisme douloureux ? Alors pour cela, nous allons changer d’approche et adopter le raisonnement suivant : que se passerait-il si nous ne ressentions aucune douleur ?
Une fracture ? Même pas mal !
Il existe plusieurs pathologies qui rendent un patient insensible à la douleur. Parmi celles-ci, penchons-nous sur le cas particulier de l’insensibilité congénitale à la douleur, aussi appelée analgésie congénitale. C’est une pathologie extrêmement rare dont les causes - le plus souvent génétiques - sont encore assez mal comprises et pour laquelle il n’existe le plus souvent aucun traitement curatif (en réalité, il existe des traitements pour certains types d’analgésies, mais c’est souvent un traitement à vie).
Et ce qui semble au premier abord une condition enviable cache en réalité une vie difficile et remplie de contraintes. Pour vous faire une première idée des contraintes en question, je vous propose de regarder un passage de la série Dr House. Il est extrait de l’épisode 14 de la saison 3 dans lequel le Dr House traite une patiente atteinte de ce type de pathologie et l’un des échanges qui en résulte est très révélateur :
(En anglais, je vous mets la traduction en français en dessous.)
En gras les répliques qui concernent les conséquences de la maladie.
Hannah : Je veux voir ma mère.
Dr House : Rebonjour ! Je pourrais être moins condescendant pour vous dire ce qui va suivre mais ça vous donnerait la fausse impression que je vous respecte. Donc, vous êtes une gosse. Une gosse qui essaye de gagner du temps, une gosse qui a peur.
Hannah : J’ai peur de rien, j’ai jamais eu peur de rien.
Dr House : (Rires.) C’est bien les gosses ça. Vous êtes insensible à la douleur, il vous reste que le plaisir. Racontez-moi le bonheur que c’est.
Hannah : C’est l’horreur.
Dr House : C’est mieux que d’avoir mal tout le temps. Bon, asseyez-vous.
Hannah : Tous les matins je dois regarder mes yeux au cas où je me serais écorché la cornée dans mon sommeil.
Dr House : Oh arrêtez, je vous en supplie, j’en peux plus là, je suis en larmes.
Hannah : Je peux pas pleurer.
Dr House : Moi pareil. Tous les matins, je regarde si mes yeux indiquent une jaunisse au cas où la Vicodin aurait réussi à me flinguer le foie.
Hannah : Dès que je cours un peu je dois vérifier que mes orteils n’ont pas doublé de volume.
Dr House : Courir, je peux pas.
Hannah : Les garçons peuvent pas m’enlacer trop longtemps parce que je risque la surchauffe.
Dr House : Les filles ne peuvent pas m’enlacer trop longtemps parce que je les paye que pour une heure.
Hannah : Je suis obligée de faire sonner ma montre pour me rappeler d’aller aux toilettes. Avant de penser à faire ça, vous savez combien de fois je me suis payé la honte ?
Dr House : Les toilettes sont à 15m de mon bureau, à chaque verre d’eau je pèse le pour et le contre.
Hannah : Dès que j’ai fini de faire un truc, je dois tout vérifier : bouche, langue, gencives, pas de coupures ? Est-ce que j’ai toutes mes dents ? Température, doigts, orteils, articulations pas trop enflées ? Est-ce que j’ai des bleus quelque part ?
Dr House : On m’a tiré dessus !
Hannah : (Pause) À trois ans, je me suis assise sur une plaque électrique. Vous voulez voir les marques ?
Dr House : Oui.
Hannah : Vous me croyez pas ?
Dr House : Vous croyez que je veux juste regarder votre tuchus5 comme on dit en yiddish ?
(House pique Hannah et elle tombe inconsciente.)
Dr House : Mettez-la dans le fauteuil et faites-lui l’examen. Si jamais elle remue encore, oxyde d’azote.
Dr Cameron : Si on vous a tiré dessus, c’est pas parce que vous souffrez, c’est parce que vous êtes un pauvre type.
Dr House : Y’a peut-être un lien de cause à effet.
Ce thème est également traité de manière superficielle dans les tomes 3 et 4 de la série l’Héritage (plus connue sous le nom de son premier tome : Eragon). Attention, léger spoil.
Certains des soldats de l’Empire sont la cible d’un enchantement permettant de supprimer toute sensation douloureuse. On constate alors qu’ils se battent en négligeant tout instinct de survie et en riant de leurs blessures, pourtant graves.
Dans cette scène s’affrontent deux personnages qui ont des relations à la douleur parfaitement opposées. D’un côté, nous avons le Dr. Gregory House qui souffre d’une douleur persistante à la jambe, de forte intensité et ce depuis plusieurs années. Pour traiter cette douleur il est sous Vicodin6 ce qui entraîne de très forts effets secondaires et notamment un mécanisme de dépendance. De l’autre côté, nous avons Hannah Morgenthal, une jeune fille qui n’a jamais connu la notion même de douleur puisqu’elle y est insensible depuis sa naissance.
Au premier abord, le point de vue d’House paraît le plus logique : ne pas ressentir de douleur du tout, ça semble être un véritable bonheur, particulièrement pour lui qui a mal en permanence et qui est accro aux antalgiques. Cette douleur empoisonne sa vie. Sa dernière remarque est particulièrement révélatrice : « Y’a peut-être un lien de cause à effet. » Ce serait cette douleur incessante qui, de façon insidieuse, aurait petit à petit remodelé son caractère faisant de lui un « pauvre type ». De son point de vue, la douleur est néfaste.
Mais au fil de la discussion, le sort d’Hannah qui pouvait sembler enviable se révèle finalement ne pas être une sinécure : sa pathologie lui impose tout un tas d’examens, de vérifications et de contraintes diverses qui lui font courir de graves risques si elle ne s’y plie pas. Elle lui a d’ailleurs déjà valu d’être blessée gravement et d’avoir subi des humiliations publiques. Pour elle, la douleur est nécessaire.
Alors, des deux personnages aux conceptions radicalement opposées, lequel a raison et lequel a tort ?
Si nous ne sommes pas capables de nous mettre à leur place et donc d’imaginer quelle pathologie est la plus difficile à vivre, nous pouvons en revanche affirmer que les deux conceptions sont justes. La douleur est nécessaire autant qu’elle peut être néfaste. Tout dépend de la façon dont elle se manifeste. Et si nous reparlerons à la fin de cet article des douleurs persistantes — dont souffre House —, concentrons-nous pour le moment sur la douleur immédiate.
L’épisode met ici en exergue l’un de ses rôles les plus importants : le rôle d’alarme. La douleur est là pour nous informer que quelque chose va mal dans notre corps. Et ce rôle est absolument primordial pour notre survie. Le mécanisme qui permet cela se nomme le mécanisme nociceptif.
Sans la douleur, nous pouvons nous blesser dans notre intégrité physique, parfois très gravement, et ne pas nous en rendre compte : ça peut être chuter et ne pas sentir un traumatisme crânien, marcher sur un objet pointu et ne pas le voir nous transpercer le pied ou tout simplement poser la main sur une surface chauffante et ne pas s’apercevoir qu’elle brûle.
Ces accidents isolés - souvent mineurs - s’accumulent pour former des lésions irréversibles, particulièrement au niveau osseux et au niveau articulaire, ce qui peut occasionner des déformations ainsi que des handicaps sévères (personnes qui boitent notamment).
Seulement, une fois n’est pas coutume, la réalité dépasse la fiction. En effet, la douleur a un rôle absolument essentiel dans le développement de l’enfant. Elle lui apprend notamment à anticiper le danger ainsi qu’à connaître son corps et ses limites. C’est pour cela que beaucoup d’enfants atteints de cette pathologie présentent un retard mental important.
La douleur : de la peau au cerveau
Le cerveau, les nerfs et tout le reste
Nous l’avons vu : sans la douleur, notre survie à très court terme est menacée. Ce n’est qu’avec de lourdes adaptations et une vigilance de tous les instants que nous parvenons à assurer aux enfants atteints d’insensibilité congénitale à la douleur une vie à peu près normale.
Je vous ai dit plus haut que nous n’avions pas de traitement pour cette maladie (ou alors dans de rares cas), mais pourquoi ? Dans une société où l’on implante des cœurs artificiels à des patients7, où on lutte contre le cancer en modifiant le fonctionnement des cellules immunitaires8, pourquoi n’est-on pas capable de réparer le mécanisme nociceptif ? Qu’est-ce que le système nerveux a de si complexe que l’on ne soit pas en mesure de le traiter ?
Un début de réponse à ces questions se situe dans les questions elles-mêmes : la nociception est liée au système nerveux. Ce système nerveux, on le sépare habituellement en deux parties :
- le système nerveux central, composé de l’encéphale (cerveau, tronc cérébral et cervelet) ainsi que de la moelle spinale (anciennement moelle épinière) contenue dans la colonne vertébrale ;
- le système nerveux périphérique qui contient tout le reste et en particulier les nerfs.
Les nerfs innervent l’ensemble des tissus du corps humain. Leur rôle est de transmettre un signal. Il existe deux types de nerfs différents :
- les nerfs qui transmettent un signal depuis le SNC jusqu’aux tissus, ce sont les nerfs moteurs (voie efférente) ;
- les nerfs qui transmettent un signal depuis les tissus jusqu’au SNC, ce sont les nerfs sensitifs (voie afférente).
Notons que la plupart des nerfs sont dotés d’une voie afférente et d’une voie efférente. L’information douloureuse emprunte la voie afférente : on la transmet depuis le tissu d’origine jusqu’au SNC. Les tissus, et notamment la peau (mais pas uniquement), contiennent beaucoup de récepteurs différents chargés de diverses fonctions. On peut citer le toucher, la proprioception9, la sensibilité à la température, la sensibilité à la douleur, etc.
Que se passe-t-il quand on se fait mal ?
Il est important de comprendre que la douleur ne résulte pas d’une sur-activation des récepteurs liés au toucher ou à la température mais bien d’une activation de récepteurs spécifiques à la douleur. Ces récepteurs sont appelés nocicepteurs. Il en existe de plusieurs types et ils sont sensibles à trois principales informations : mécanique (un coup par exemple), thermique (comme une élévation de la température) et chimique (par exemple, une toxine). Pour que le signal soit déclenché, il est nécessaire que l’une de ces informations dépasse une certaine intensité : c’est ce que l’on appelle l’effet de seuil.
Quand le signal est généré, il est tout d’abord transmis jusqu’à la colonne vertébrale et à la moelle spinale. Celle-ci va alors solliciter les motoneurones (des nerfs moteurs) qui contrôlent la partie dont provient la sensation douloureuse afin d’éloigner le corps du danger. C’est ce que l’on appelle le réflexe de retrait. Comme tous les réflexes, c’est une réaction inconsciente à un stimulus ; il ne fait pas intervenir le cerveau. Dans notre cas, le réflexe naît directement de la moelle spinale, c’est un réflexe spinal ou médullaire.
C’est donc le premier temps de notre réaction au message nociceptif. Dans un second temps, le message va transiter dans le SNC depuis la moelle spinale jusqu’au cerveau qui va en faire l’analyse. C’est de là que va naître la sensation douloureuse. C’est également grâce au cerveau que les enfants vont commencer à associer inconsciemment les sources de douleurs (comme le feu) avec la notion de danger.
Voilà globalement comment fonctionne le circuit de la douleur. Maintenant, si vous êtes motivé, on peut essayer d’aller un peu plus loin dans notre compréhension de la nociception, particulièrement sur deux points.
Premièrement, vous devez savoir qu’il existe plusieurs types de nocicepteurs et par conséquent plusieurs types de messages, mais également - et c’est un peu plus surprenant -, plusieurs vitesses de transmission. Certains stimuli transitent plus rapidement que d’autres. En particulier dans le cas des nocicepteurs, nous avons essentiellement deux types de récepteurs :
- les nocicepteurs A10, à transmission rapide et qui donnent une douleur brève, aigüe et précise ;
- les nocicepteurs C, à transmission plus lente et qui donnent une douleur plus longue, sourde et diffuse.
Vous vous êtes probablement déjà aperçu en vous cognant que vous étiez de prime abord la cible d’une douleur intense, très localisée, puis qu’elle était rapidement remplacée par une douleur plus sourde et plus diffuse. Eh bien en voici l’explication !
Le deuxième point est encore plus étonnant, mais si vous allez constater que, de la même manière que pour le premier, nous en avons déjà une connaissance instinctive. Les nocicepteurs ne sont pas les seuls à transmettre des informations jusqu’au SNC, nous en avons déjà parlé : il y a des nerfs chargés de l’information de température, de la proprioception, du toucher, etc. Toutes ces informations sont transmises au même moment jusqu’au SNC et elles se livrent à une sorte de compétition : certaines informations sont capables d’inhiber les autres. C’est un mécanisme que l’on nomme l’effet portillon (gate control en anglais). Tout se passe comme si les portes d’entrée des signaux du SNP vers le SNC avaient un débit maximum et qu’une fois celui-ci dépassé, les autres signaux étaient bloqués.
Le fait est que les signaux relatifs au toucher semblent avoir la priorité sur les signaux nociceptifs. Par conséquent, le fait de stimuler les récepteurs du toucher dans une zone douloureuse permet de diminuer la douleur ressentie dans cette zone. Eh bien vous savez quoi ? C’est exactement ce que vous faite quand vous frottez une zone douloureuse : vous activez les récepteurs du toucher dans cette zone ce qui rend plus difficile la propagation de l’information nociceptive et réduit la douleur ressentie. N’est-ce pas incroyable ?
Comment fonctionne la transmission ?
Question d’importance si nous avons la prétention - comme discuté un peu plus haut - de vouloir réparer le système nerveux. Les signaux dans le système nerveux sont de type électrochimique. Autrement dit, sur tout le chemin que va parcourir le signal dans le système nerveux, il va faire une partie du chemin sous la forme d’un influx électrique et l’autre partie du chemin sous la forme de réactions chimiques. Et, autant la partie électrique se conçoit assez bien (et encore, il y a pas mal de subtilités), autant pour la partie chimique, ça devient très rapidement compliqué à suivre.
Les biomolécules chargées de transmettre les signaux nerveux sont appelées neurotransmetteurs ou neuromédiateurs et il y en a plein (plus d’une centaine). Les neuromédiateurs sont spécifiques de certains éléments du système nerveux voire de certains sous-systèmes (e.g. l’adrénaline, que vous connaissez probablement de nom, est un des neurotransmetteurs les plus importants du système orthosympathique11). Nous allons simplement en retenir deux dont nous reparlerons plus tard : les prostaglandines et la substance P.
Ces neuromédiateurs - comme la plupart des biomolécules du corps humain - sont perpétuellement détruits pour former d’autres substances et synthétisés de nouveau dans un gigantesque ballet biochimique qui fait intervenir nombre de substrats, d’enzymes, de cofacteurs…
Pouvoir reproduire ces mécanismes afin de développer des nerfs artificiels est à la pointe de la recherche actuelle : il n’est pas impossible que dans quelques années ou dizaines d’années nous sachions comme réparer des nerfs endommagés.
Toutefois, les nerfs ne sont malheureusement pas les seules zones à pouvoir dysfonctionner : une insensibilité à la douleur peut également provenir de la moelle spinale ou bien de la zone du cerveau dédiée à la douleur. Dans le cas de l’insensibilité congénitale, ces anomalies sont le plus souvent d’origine génétique, ce qui en rend la compréhension et l’éventuel traitement encore plus délicats.
Pour plus d’informations sur le fonctionnement du système nerveux dans sa globalité, je vous renvoie sur le tutoriel Les neurosciences de zéro.
D’autres mécanismes douloureux ?
Ce que nous venons de décrire, c’est le mécanisme nociceptif. C’est le type de douleur le plus fréquent mais pas le seul. Il existe deux autres types de mécanismes, plus rares :
- la douleur neuropathique. Elle est liée à une lésion du système nerveux. Contrairement aux lésions des tissus périphériques (et donc à la douleur nociceptive), cette lésion n’est pas captée par des récepteurs, mais elle entraîne une distorsion du message douloureux.
- la douleur dysfonctionnelle. Elle est liée à la modulation anormale de la douleur par les aires cérébrales en charge de sa gestion. Cela peut-être une douleur qui n’est associée à aucune lésion, on parlera alors de douleur psychologique. On peut également avoir une douleur provoquée par un stimulus normalement non douloureux (comme l’eau de la douche sur la peau), on parlera alors d’allodynie. Cela peut également être une réponse exagérée à un stimulus normalement douloureux (comme par exemple une douleur extrême lors d’une perfusion, un geste qui n’est censé provoquer qu’une douleur faible à modérée), on parlera dans ce cas d’hyperalgésie.
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Aussi appelée psychalgie.
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Dans le cadre de certains gestes médicaux, nous pouvons être tentés d’ignorer des douleurs mineures en nous disant que le patient est simplement douillet, mais c’est un piège dans lequel il ne faut pas tomber. La douleur est une expérience éminemment subjective. C’est particulièrement vrai dans les gestes impliquant des aiguilles (mesure de la glycémie capillaire12, vaccin, prise de sang, ponction pleurale13…) dans lesquels la dimension psychologique joue un rôle très important.
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Taux de cholestérol sanguin au-dessus de la norme. Ceci mène notamment à une pathologie que l’on nomme l’athérosclérose dont on reparlera par la suite.
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Ou myalgies.
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Désigne les fesses.
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La Vicodin est un médicament à base de paracétamol et d’hydrocodone, un dérivé de l’opium. Il n’est pas commercialisé en France.
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Vous avez probablement déjà entendu parler du cœur artificiel Carmat, premier cœur artificiel total au monde, issu d’une entreprise française et dont la première pose a eu lieu en 2013 à l’Hôpital Européen George Pompidou (à Paris) par le Pr Latrémouille. Pour plus d’informations.
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Il s’agit d’un traitement de pointe extrêmement prometteur dont le but est d’apprendre au système immunitaire d’un patient à reconnaître les cellules cancéreuses afin qu’il les détruise. Pour plus d’informations.
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C’est la capacité que nous avons à percevoir la position des différentes parties de notre corps, même inconsciemment.
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est la lettre grecque delta minuscule, A se lit donc « A delta ».
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Le système orthosympathique (parfois appelé « système sympathique » ou « système adrénergique ») est une partie de notre système nerveux autonome. Le système nerveux autonome est la part de notre système nerveux que nous ne sommes pas capables de contrôler consciemment. Le système orthosympathique est chargé d’induire des modifications physiologiques nous permettant de nous battre ou bien de fuir en cas de danger (e.g. augmentation de la fréquence cardiaque et de la fréquence respiratoire). Son neuromédiateur le plus important est l’adrénaline (aussi appelée épinéphrine) d’où l’expression « poussée d’adrénaline ». Il existe un autre système ayant des effets inverses aux effets orthosympathiques : le système parasympathique.
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La glycémie, c’est le taux de glucose dans le sang (tout comme l’alcoolémie est le taux d’alcool, raison pour laquelle on ne dit pas « taux d’alcoolémie »). Le mot capillaire ne fait pas référence aux cheveux mais aux capillaires sanguins, de tous petits vaisseaux qui imprègnent tous les tissus du corps humain afin d’y apporter du dioxygène, des glucides, etc. La glycémie capillaire est un test à destination des personnes qui ont un trouble du métabolisme glucidique, notamment les diabétiques (des patients qui, pour des raisons diverses, ont une glycémie très élevée quand ils ne suivent pas le traitement approprié ; on parle d’hyperglycémie). Ce test consiste à se piquer le bout du doigt avec une aiguille spécifique et à prélever une goutte de sang pour la déposer dans un appareil qui va l’analyser et afficher la glycémie.
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La ponction pleurale est une technique dans laquelle on enfonce une aiguille dans le dos d’un patient pour extraire le liquide (on parlera d’hémothorax si ce liquide est du sang par exemple) ou bien le gaz (et on parlera alors de pneumothorax) venu se loger dans la plèvre. La plèvre est une membrane de protection qui entoure les poumons. Une ponction pleurale se fait normalement sous anesthésie locale à des fins de confort, mais il est possible pour diverses raisons que cette anesthésie soit inefficace ou ne soit pas possible.
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La douleur d'un point de vue médical
Nous savons maintenant pourquoi la douleur existe, pourquoi l’évolution nous a fait la conserver ainsi que l’importance qu’elle revêt, tant dans notre vie de tous les jours que dans le développement infantile. La douleur est donc inévitable alors autant s’en servir ! Sauf que contrairement à une ecchymose ou à la fièvre, la douleur n’est ni observable, ni mesurable, que ce soit à l’œil nu ou bien avec un appareil médical : c’est une sensation purement subjective que le patient est le seul à éprouver. Nous voilà un peu coincés…
De l’importance de la douleur dans le diagnostic
Bon, visiblement, essayer de comprendre à quoi ressemble la douleur d’un patient, c’est plutôt compliqué. Alors pourquoi insister ? Après tout, la douleur n’est qu’un symptôme parmi tant d’autres et en plus elle est plus difficile d’accès que la fièvre ou la tension artérielle par exemple. Alors pourquoi ne pas simplement l’ignorer et se concentrer sur le reste ?
Je me contenterai d’une simple statistique pour répondre : la douleur est l’origine de 40 à 60% des consultations médicales ; c’est le symptôme le plus fréquent en médecine. C’est un symptôme qui est à la fois extrêmement handicapant pour le patient et à la fois extrêmement instructif pour le médecin : sa localisation nous indique la partie du corps malade, son type et son intensité peuvent nous indiquer le type de pathologie, etc. De plus, comme discuté en introduction, certaines douleurs sont spécifiques de pathologies parfois très graves et le simple fait de les identifier permet de conduire vers un certain diagnostic.
On ne peut tout simplement pas ignorer la douleur. Sa prise en compte est tellement cruciale qu’en 2004, elle est devenue le cinquième critère cardinal de l’OMS. Il s’agit des constantes du patient les plus importantes qui doivent être relevées quotidiennement (voire même plusieurs fois par jour) dans tous les hôpitaux de tous les pays du monde :
- le poids,
- la température,
- la tension artérielle,
- la fréquence cardiaque,
- la douleur.
Un compte-rendu hospitalier qui ne fait pas une description précise de la douleur n’est pas valable.
Qualifier la douleur
Bon, la douleur est donc un symptôme important que l’on ne peut pas ignorer. Super.
Mais ça ne résout pas du tout notre problème initial. Comment on passe d’une sensation totalement subjective à une description objective ?
La réponse est la plus simple qui soit : en posant des questions. En demandant au patient de nous décrire sa douleur et en faisant correspondre cette description à des critères précis, on va parvenir à avoir une bonne idée de ce qu’il ressent. Bien entendu, la douleur est soumise à une très forte variabilité interindividuelle (deux personnes face à des atteintes identiques ne ressentiront peut-être pas la même douleur ou ne la décriront peut-être pas dans les mêmes termes), il convient donc de rester souple quant aux critères que nous allons utiliser.
Niveau 1 : Citoyens
Bien évidemment, on ne posera pas les mêmes questions que l’on soit professionnel de santé avec plusieurs années d’expérience ou citoyen avec pour seule formation médicale les 3 premières saisons de Dr House1. Du coup, quand on n’y connaît rien, on fait quoi ?
Eh bien figurez-vous qu’il existe une formation qui permet justement de répondre à cette question : le PSC1. Il s’agit d’une formation grand public d’une journée (entre 8 et 9h en général) qui vous apprend à réagir face à plusieurs types de détresses médicales (notamment l’inconscience, l’arrêt cardiaque, etc.). La question de la douleur est abordée dans deux modules2 :
- l’examen, dans lequel son appréciation se limite à deux questions « Avez-vous mal ? Où ça ? »
- le malaise, dans lequel on apprend à reconnaître certaines douleurs caractéristiques d’un malaise grave.
Bon, c’est assez léger, on est d’accord. Mais mine de rien, c’est déjà pas si mal : ça permet dans certains cas de conduire sur la piste d’un diagnostic et le reste du temps, ça nous donne quand même de quoi transmettre à la régulation du SAMU ou des pompiers ; le régulateur et/ou le médecin posera alors d’autres questions qui lui permettront de préciser le diagnostic.
Si vous retenez ça, ce sera déjà bien, mais on va quand même essayer d’aller un petit peu plus loin.
Niveau 2 : Sapeurs-Pompiers et Secouristes
Les sapeurs-pompiers et secouristes bénévoles suivent deux formations (PSE1 et PSE2, qui peuvent être regroupées sous le nom de SAV chez les pompiers) de 5 jours chacune qui leur permettent de monter des postes de secours ou bien d’intervenir à domicile avec du matériel. Au sein de ces formations, un accent particulier est mis sur l’évaluation de la douleur et celle-ci tient en 5 points dont le moyen mnémotechnique est « PQRST » :
- P pour « Provoqué par », il s’agit du mécanisme. De quoi la douleur résulte-t-elle ? À quoi est-elle due ? Est-ce la première fois ?
- Q pour « Qualité », il s’agit du type de douleur. Est-ce que une piqûre ? Une brûlure ? Une sensation d’écrasement ?
- R pour « Région », il s’agit de la localisation. Où se situe la douleur ? Où est-elle ressentie ?
- S pour « Sévérité », il s’agit de l’intensité de la douleur. On demande généralement à la victime de la chiffrer sur une échelle de 0 à 10, 0 étant l’absence de douleur et 10 la pire douleur imaginable.
- T pour « Temps », il s’agit de la durée de la douleur. Depuis combien de temps la victime a-t-elle mal ?
Voilà qui est déjà beaucoup plus révélateur ! Seulement, dans le cadre de certaines douleurs, ce n’est pas encore suffisant. Prêt pour le niveau 3 ?
Niveau 3 : Médecins
En tant que citoyen de sécurité civile (c’est-à-dire titulaire du PSC1) ou bien secouriste, on est dans l’urgence. Notre objectif en quelques questions c’est d’essayer d’orienter le diagnostic et de transmettre les informations aux personnes compétentes.
En médecine, l’objectif va différer selon le type de douleur en présence de laquelle nous sommes :
- nous allons avoir des douleurs soudaines auquel cas, à l’instar des secouristes, nous devons être capables en quelques questions de déterminer la cause afin d’orienter les examens complémentaires et la prise en charge. Ces douleurs peuvent révéler des urgences ou au contraire des pathologies bénignes mais le raisonnement diagnostique va être similaire, seule la vitesse de la prise en charge va différer. Ce sont des douleurs aigües.
- nous allons avoir des douleurs qui durent plusieurs jours, plusieurs semaines, mois, années… Des douleurs dont nous ne parvenons parfois pas à comprendre l’origine et que nous ne sommes pas nécessairement capables de soulager. L’objectif face à ces douleurs va être très différent et le questionnaire bien plus exhaustif. Nous sommes alors en présence de douleurs chroniques et nous en reparlerons à la fin de cet article.
Si nous restons du côté des douleurs aigües (quelques secondes à quelques jours), notre questionnaire ressemble beaucoup au PQRST secouriste, mais enrichi. En voici les éléments principaux :
- le siège de la douleur, c’est-à-dire sa localisation initiale,
- les irradiations. Une irradiation correspond à une douleur qui se propage dans d’autres zones que celle d’origine. Il convient de bien faire la différence entre une douleur qui irradie et deux douleurs différentes,
- l’intensité de la douleur (généralement chiffrée de 0 à 10),
- le type de douleur,
- le mode de survenue. Est-ce spontané ? À l’effort ? Après une chute ou un coup ?
- la chronologie ou le mode évolutif. L’élément de base reste bien sûr la durée, mais on va s’intéresser à beaucoup d’autres informations. Est-ce que la douleur varie ? Si oui, qu’est-ce qui varie ? Le type ? Le siège ? Les irradiations ? L’intensité ?
- Circonstances de variation (diminution ou augmentation de l’intensité notamment). Là, il faut balayer très large : en fonction du type de douleur on peut avoir une augmentation ou une diminution à l’effort, à la prise de médicaments, à certains moments de la journée, etc.
- manifestations associées à la douleur. On sort de la sémiologie3 purement douloureuse, mais on va bien évidemment rester attentifs aux signes qui accompagnent les douleurs (déformations dans le cadre d’une fracture par exemple),
- impact sur la qualité de vie du patient. Sa douleur l’empêche-t-elle de travailler ? De dormir ? Ce point sera un peu moins approfondi dans l’urgence et particulièrement approfondi dans le cadre d’une douleur chronique.
Contrairement aux secouristes qui ont une approche systématique car leur rôle est de transmettre, les médecins ont plutôt une approche adaptative car leur rôle est de comprendre. À ce titre, il est possible qu’ils omettent certains points de la liste (particulièrement les deux derniers) parce que ce n’est pas pertinent vis-à-vis de la douleur ou du contexte. En tant que secouriste, nous ne sommes pas formés à évaluer la pertinence d’un critère par rapport au contexte donc nous devons poser la question de manière systématique, même si elle nous paraît hors de propos.
Quantifier la douleur
Nous l’avons vu : dans la description de la douleur, l’intensité est une grandeur fondamentale. On la chiffre généralement de 0 à 10. Chez les pompiers et les secouristes on utilisait également une échelle de 1 à 4 qui tend à être abandonnée au fil du temps.
C’est très bien tout cela, mais comment on fait quand le patient ne comprend pas le système d’échelle ? Quand il ne parle pas la langue ? Quand c’est un enfant ou un nourrisson ? Une personne âgée non communicante ?
Nous allons avoir besoin d’outils adaptés et ceci va au final se traduire par deux méthodes différentes afin d’évaluer la douleur :
- l’auto-évaluation, le patient est communicant et va évaluer sa douleur de lui-même,
- l’hétéro-évaluation, le patient est non communicant et c’est le soignant qui va évaluer sa douleur.
Les échelles de base
Il existe 3 échelles de base reconnues par la HAS :
- l’échelle visuelle analogique (EVA),
- l’échelle numérique (EN),
- l’échelle verbale simplifiée (EVS).
Échelle visuelle analogique
Elle ressemble à ça :
Elle est composée de deux faces, la face antérieure (en bas sur l’image) présentée au patient et la face postérieure (en haut sur l’image) qui reste du côté médecin. Le patient fait bouger un curseur en fonction de la façon dont il évalue sa douleur et cela permet au médecin d’obtenir un chiffre.
Cette échelle est utile car elle empêche le patient de se focaliser sur un chiffre. Elle est particulièrement utilisée pour les douleurs chroniques dans lesquelles le patient ressortira à chaque fois le même chiffre (par exemple 7/10) quand le médecin le lui demandera parce que dans sa tête, ce chiffre est associé à sa douleur.
On considère toutefois qu’environ 11% des patients ne sont pas capables d’y répondre parce qu’ils ne comprennent pas le concept de bouger le curseur.
L’échelle numérique
Nul besoin d’épiloguer, vous la connaissez déjà : on demande au patient de chiffrer sa douleur entre 0 et 10, 0 représentant l’absence de douleur et 10 la douleur maximale imaginable. Environ 2% des patients se révèlent incapables de répondre à une échelle numérique (personnes qui n’ont pas appris les chiffres par exemple).
L’échelle verbale simplifiée
Si le patient ne parvient à utiliser aucune des échelles précédentes, on lui demande d’évaluer sa douleur avec des mots : pas mal, un peu mal, moyennement mal, très mal, horriblement mal… Tous les patients communicants sont capables de répondre à une EVS.
Enfant
Chez l’enfant de plus de 6 ans, on va procéder à une auto-évaluation avec des techniques adaptées : cela peut être une EVA avec un vocabulaire simple (pas mal du tout vs très très mal) et un triangle qui aide à percevoir la notion d’intensité, une échelle avec des smileys ( / ; on utilise en général 6 visages) ou encore un système de jetons (pas de jeton signifie pas mal, plein de jetons signifie très mal), etc.
Chez l’enfant de moins de 6 ans, on va procéder à une hétéro-évaluation. Il existe pour cela plusieurs échelles différentes, parmi lesquelles :
Ces trois échelles reposent sur des grilles avec des critères associés à un coefficient. L’addition des différents coefficients donne une valeur finale qui est une indication de la douleur ressentie par l’enfant.
Je vous propose un tableau pour découvrir l’échelle DEGR qui est particulièrement complète :
↓ Item - coefficient → | 0 (absence du signe) | 1 (doute sur la présence du signe) | 2 (signe présent mais discret) | 3 (signe évident) | 4 (présence massive du signe) |
---|---|---|---|---|---|
1. Position antalgique au repos | Absence de position antalgique : l’enfant peut se mettre n’importe comment. | L’enfant semble éviter certaines positions. | L’enfant évite certaines positions mais n’en paraît pas gêné. | L’enfant choisit une position antalgique évidente qui lui apporte un certain soulagement. | L’enfant recherche sans succès une position antalgique et n’arrive pas à être bien installé. |
2. Manque d’expressivité | L’enfant est vif, dynamique, avec un visage animé. | L’enfant paraît un peu terne, éteint. | Au moins un des signes suivants : traits du visage peu expressifs OU regard morne OU voix marmonnée et monotone OU débit verbal lent. | Plusieurs des signes du coefficient 2 sont nets. | Visage figé, comme agrandi. Regard vide. Parle avec effort. |
3. Protection spontanée des zones douloureuses | L’enfant ne montre aucun souci de se protéger. | L’enfant évite les heurts violents. | L’enfant protège son corps, en évitant et en écartant ce qui pourrait le toucher. | L’enfant se préoccupe visiblement de limiter tout attouchement d’une région de son corps. | Toute l’attention de l’enfant est requise pour protéger la zone atteinte. |
4. Plaintes somatiques | Pas de plainte : l’enfant ne dit pas qu’il a mal. | Plaintes « neutres » : sans expression affective (dit en passant « j’ai mal ») OU et sans effort pour le dire (ne se dérange pas exprès). | Au moins un des signes suivants : a suscité la question « qu’est-ce que tu as, tu as mal ? » OU voix geignarde pour dire qu’il a mal OU mimique expressive accompagnant la plainte. | En plus du coefficient 2, l’enfant a attiré l’attention pour dire qu’il a mal OU a demandé un médicament. | C’est au milieu de gémissements, sanglots ou supplications que l’enfant dit qu’il a mal. |
5. Attitude antalgique dans le mouvement | L’enfant ne présente aucune gêne à bouger tout son corps. Ses mouvements sont souples et aisés. | L’enfant montre une gêne, un manque de naturel dans certains de ses mouvements. | L’enfant prend des précautions pour certains gestes. | L’enfant évite nettement de faire certains gestes. Il se mobilise avec prudence et attention. | L’enfant doit être aidé, pour lui éviter des mouvements trop pénibles. |
6. Désintérêt pour le monde extérieur | L’enfant est plein d’énergie, s’intéresse à son environnement, peut fixer son attention et est capable de se distraire. | L’enfant s’intéresse à son environnement, mais sans enthousiasme. | L’enfant s’ennuie facilement, mais peut être stimulé. | L’enfant se traîne, incapable de jouer. Il regarde passivement. | L’enfant est apathique et indifférent à tout. |
7. Contrôle exercé par l’enfant quand on le mobilise | L’enfant se laisse mobiliser sans y accorder d’attention particulière. | L’enfant a un regard attentif quand on le mobilise. | En plus du coefficient 1, l’enfant montre qu’il faut faire attention en le remuant. | En plus du coefficient 2, l’enfant retient de la main ou guide les gestes du soignant. | L’enfant s’oppose à toute initiative du soignant ou obtient qu’aucun geste ne soit fait sans son accord. |
8. Localisation de zones douloureuses par l’enfant | Pas de localisation : à aucun moment l’enfant ne désigne une partie de son corps comme gênante. | L’enfant signale, uniquement verbalement, une sensation pénible dans une région vague sans autre précision. | En plus du coefficient 2, l’enfant montre avec un geste vague cette région. | L’enfant désigne avec la main une région douloureuse précise. | En plus du coefficient 3, l’enfant décrit, d’une manière assurée et précise, le siège de sa douleur. |
9. Réaction à l’examen des zones douloureuses | Aucune réaction déclenchée par l’examen. | L’enfant manifeste, juste au moment où on l’examine, une certaine réticence. | Lors de l’examen, on note au moins un de ces signes : raideur de la zone examinée OU crispation du visage OU pleurs brusques OU blocage respiratoire. | En plus du coefficient 2, l’enfant change de couleur, transpire, geint ou cherche à arrêter l’examen. | L’examen de la région douloureuse est quasiment impossible, en raison des réactions de l’enfant. |
10. Lenteur et rareté des mouvements | Les mouvements de l’enfant sont larges, vifs, rapides, variés, et lui apportent un certain plaisir. | L’enfant est un peu lent, et bouge sans entrain. | Un des signes suivants : latence du geste OU mouvements restreints OU gestes lents OU initiatives motrices rares. | Plusieurs des signes du coefficient 2 sont nets. | L’enfant est comme figé, alors que rien ne l’empêche de bouger. |
Les coefficients sont additionnés item par item pour obtenir un score final. Le score maximal est 40. On considère qu’à partir de 10, il est nécessaire de prescrire des antalgiques.
Cette échelle est très longue à remplir, aussi il en existe une version simplifiée : HEDEN7.
Nouveau-né
Chez le nouveau-né jusqu’à 18 mois, on va utiliser l’échelle Neonatal Facial Coding System. Elle est beaucoup plus simple et rapide à remplir que les échelles enfants :
Items | Oui | Non |
---|---|---|
Sourcils froncés | 1 | 0 |
Paupières serrées | 1 | 0 |
Sillon nasolabial accentué | 1 | 0 |
Bouche ouverte | 1 | 0 |
Langue tendue creusée | 1 | 0 |
Menton tremblant | 1 | 0 |
Bouche étirée en hauteur | 1 | 0 |
Bouche étirée en largeur | 1 | 0 |
Lèvres faisant la moue | 1 | 0 |
Protrusion de la langue8 | 1 | 0 |
Il en existe une version simplifiée qui se contente des quatre premiers critères.
Personne âgée non communicante
Les deux échelles de référence pour la personne âgée non communicante sont Algoplus et Doloplus.
Voici comment se compose Algoplus :
Item | Description | Oui/Non |
---|---|---|
Visage | Froncement des sourcils, grimaces, crispation, mâchoires serrées, visage figé. | |
Regard | Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant, pleurs, yeux fermés. | |
Plaintes | « Aie », « Ouille », « J’ai mal », gémissements, cris. | |
Corps | Retrait ou protection d’une zone, refus de mobilisation, attitudes figées. | |
Comportements | Agitation ou agressivité, agrippement. |
Puis on compte le nombre de « Oui ».
L’échelle Doloplus9 est similaire quoique plus longue à remplir.
Comment évaluer les autres critères de la douleur chez le patient non communicant ?
Eh oui, depuis le début de cette partie, on se focalise essentiellement sur l’intensité de la douleur, mais quid des autres critères ?
Pour ce qui est du siège, il y a plusieurs possibilités :
- le patient peut éventuellement donner une indication physique (frotter la zone douloureuse, se plier en deux en cas de douleur à l’abdomen, éviter d’appuyer ou de mobiliser la zone douloureuse…),
- on peut recourir à la palpation dans certains types de douleur,
- on peut utiliser des schémas corporels sur lesquels certains patients, même non communicants, parviennent à indiquer où ils ont mal.
En revanche pour le reste… c’est plus compliqué. Il n’existe pas d’outil ou de méthode toute faite. Il faut savoir improviser et parfois malheureusement se passer de certaines informations.
Il existe une dernière échelle que je vous mentionne pour référence : il s’agit de l’échelle DN410. Elle permet de déterminer si un patient souffre d’une douleur neuropathique ou pas, il doit pour cela obtenir un score supérieur ou égal à 4/10.
-
J’aime beaucoup Dr House (vous l’aurez compris), mais il faut bien avouer que médicalement parlant on est sur une autre planète…
↩ -
En fait, ça dépend de l’organisme qui vous fait passer la formation. Le contenu minimum à transmettre est indiqué dans un référentiel national édité par la DGSCGC mais ensuite les organismes arrangent la formation à leur sauce et rajoutent souvent des informations complémentaires. Bien entendu, l’état doit valider les référentiels de chaque organisme ainsi que leurs techniques de formation avant que ceux-ci ne soient autorisés à former du public.
↩ -
Littéralement, l’étude des signes.
↩ - ↩
- ↩
-
Lien vers une grille San Salvadour.
↩ - ↩
-
Mouvement de langue vers l’avant, jusqu’entre les lèvres.
↩ -
Lien vers une grille Doloplus..
↩ - ↩
Douleur et diagnostic
Nous y voilà. Je vous ai parlé tout au long de cet article de douleurs particulières qui sont fréquemment le signe de pathologies spécifiques, eh bien nous allons les voir ensemble.
C’est la partie Santé Publique de l’article, et je trouve que c’est un message important. Les douleurs dont nous allons parler sont simples à repérer et pour la plupart indicatrices d’une pathologie grave qui doit nécessiter une hospitalisation en urgence. En apprenant à les reconnaître on peut faire gagner de précieuses minutes dans la prise en charge d’un patient et possiblement sauver une vie.
Douleurs thoraciques
L’angine de poitrine
Douleur extrêmement classique s’il en est. Mais qu’est-ce qu’une angine de poitrine ?
L’angine de poitrine (ou angor) c’est l’affaiblissement ou l’arrêt de la vascularisation (c’est-à-dire de l’apport en sang) d’une partie du tissu cardiaque. Les causes peuvent être très variées, mais la plus fréquente c’est celle qui est connue du grand public sous le nom de cholestérol.
En médecine, on appelle cela l’athérosclérose, mais c’est le même principe. La paroi d’une artère1 est formée de plusieurs couches : l’intima (à l’intérieur, au contact du sang), la media (au milieu) et l’adventice (à l’extérieur). Certaines molécules de cholestérol (le fameux « mauvais cholestérol ») ont des propriétés qui leur permettent de se glisser entre l’intima et la media ce qui a pour effet de faire gonfler la paroi de l’artère vers l’intérieur et donc de réduire la lumière de l’artère, c’est-à-dire la taille du conduit qui permet le passage du sang2. Voici une image qui résume le principe (c’est en anglais, mais je pense que ça se comprend assez bien quand même).
Il se trouve qu’il y a certaines artères qui sont connues pour être des cibles particulièrement prisées de l’athérosclérose et parmi celles-ci, on peut citer les artères coronaires qui sont les artères qui vascularisent le cœur. Quand les coronaires sont touchées par l’athérosclérose, on peut parler de maladie coronaire, syndrome coronaire ou bien encore coronaropathie3.
En dessous de 50 à 70% de réduction de la lumière artérielle dans les coronaires, il n’y a pas de douleur pour le patient. C’est au-dessus de ce seuil que l’effet commence à se faire ressentir et que l’on parle d’angor. Voici le profil de la douleur :
- siège : rétrosternal, c’est-à-dire en arrière du sternum4,
- irradiations : mâchoires, épaules, bras (particulièrement le gauche). Ces irradiations sont classiques mais pas obligatoires,
- intensité : variable, souvent intense,
- type : compressive, le patient décrit souvent la douleur comme s’il avait le thorax serré dans un étau ou comme si on lui marchait dessus
- mode de survenue : à l’effort ou au repos,
- chronologie : peut durer de quelques instants à plusieurs minutes (si plus de 20 minutes, on parle d’angor prolongé).
- circonstances de variation : sur un angor d’effort, l’arrêt de l’effort peut amener à une diminution de la douleur. Sinon, on parvient à diminuer la douleur avec certains médicaments (trinitrine5 notamment).
L’angor d’effort n’est pas une urgence absolue : si vous ressentez ce type de douleur à l’effort et que ça se calme en cessant, il faut consulter, mais vous avez le temps de prendre rendez-vous chez votre généraliste qui vous redirigera probablement vers un cardiologue. (Toutefois, personne ne vous en voudra si vous appelez le 15 pour avoir un avis médical, ils sont aussi là pour ça.)
L’angor au repos est une urgence absolue : il faut contacter le 15 ou le 18 ou bien aller aux urgences le plus rapidement possible. Un angor non traité peut rapidement devenir un infarctus du myocarde. Il s’agit du stade ultime : les cellules cardiaques sont tellement peu vascularisées qu’elles se nécrosent.
Un infarctus du myocarde peut causer un arrêt cardiorespiratoire (personne inconsciente qui ne respire plus). Si c’est le cas, rappelez le 15 ou le 18 pour signaler l’aggravation, entamez la RCP et mettez en œuvre un défibrillateur s’il y en a un à proximité immédiate. N’hésitez pas à vous faire aider d’un témoin s’il y en a un pour passer l’alerte, aller chercher un défibrillateur voire masser avec vous à tour de rôle (c’est épuisant).
Il existe certains facteurs de risques qui augmentent la probabilité de souffrir de maladies cardiovasculaires (et particulièrement d’athérosclérose) :
- Alimentation (bœuf et mouton notamment),
- Tabagisme, présent ou passé,
- Sédentarité (absence d’activité physique),
- Hypertension,
- Diabète,
- Syndrome métabolique (ensemble de troubles de l’absorption de certains éléments comme les glucides, les lipides…),
- Facteurs psychosociaux (stress notamment),
- Etc.
La dissection aortique
Pour pouvoir comprendre cette pathologie, il faut faire un peu d’anatomie cardiaque. Voici un petit schéma du cœur :
En quelques mots, le cœur a deux fonctions principales :
- amener le sang riche en dioxygène jusqu’aux tissus, c’est le rôle du cœur gauche
- amener le sang pauvre en dioxygène jusqu’aux poumons, c’est le rôle du cœur droit.
En médecine, on parle toujours de la gauche patient et de la droite patient par conséquent, quand le patient est face à nous (ou alors que le schéma représente un patient face à nous), la gauche et la droite sont inversées. C’est le cas sur l’image que je vous propose : le cœur gauche est à droite et inversement.
Intéressons-nous donc au cœur gauche. Le sang oxygéné par les poumons arrive grâce aux veines pulmonaires (en jaune sur le schéma et numérotées 6) jusque dans l’atrium gauche (2) puis dans le ventricule gauche (9) pour être finalement expulsée dans l’aorte (le gros tuyau en rouge, numéroté 4). L’aorte c’est donc cette grosse artère qui sort du ventricule gauche. Toutes les artères du corps humain (mise à part l’artère pulmonaire, numérotée 5 sur le schéma, qui est le vaisseau de sortie du ventricule droit, numéroté 10) naissent directement ou indirectement de l’aorte. L’aorte est tout d’abord ascendante, elle donne naissance à plusieurs artères secondaires qui vont vasculariser le haut du corps (les carotides6 par exemple) puis elle fait un genre de boucle avant de partir dans l’autre sens pour devenir l’aorte descendante qui va vasculariser le bas de corps. Cette boucle se nomme la crosse de l’aorte.
La dissection aortique, c’est la rupture de l’intima et de la media (si l’adventice est rompue aussi on n’est plus sur une dissection aortique mais sur une hémorragie interne). Le sang se déverse alors entre la media et l’adventice créant une poche de sang que l’on nomme faux chenal (en opposition avec le vrai chenal qui est la lumière naturelle de l’artère). Voici un schéma de principe :
Je vous propose une autre image pour ceux qui le souhaitent :
Cette image est un scanner thoracique. Le scanner (ou tomodensitométrie) est une technique d’imagerie qui repose sur l’absorption de rayons X par les tissus du corps (chaque tissu absorbe plus ou moins les rayons, ce qui permet d’avoir différentes nuances de gris).
Un scanner est systématiquement une coupe transversale (c’est-à-dire suivant la profondeur), il n’y a donc ni haut ni bas. Le haut de l’image c’est l’avant du corps (la partie antérieure et donc le thorax dans notre cas) et le bas l’arrière du corps (la partie postérieure, le dos sur cette image). La gauche et la droite sont également inversées, comme expliqué plus haut.
Dans un scanner, pour situer la hauteur de la coupe, on se réfère généralement à la vertèbre traversée par la coupe. Ici c’est un scanner au niveau de T6 (la 6e vertèbre thoracique, qui se situe approximativement à 1/3 de la hauteur du dos en partant du bas du cou). T6 est d’ailleurs visible au niveau de la flèche orange. La flèche verte pointe le tronc artério-pulmonaire (numéroté 5 sur le schéma du cœur, un peu plus haut) et la flèche bleue sur l’aorte descendante.
Les deux flèches qui vont nous intéresser le plus sont les flèches rouge et noir qui pointent toutes les deux sur l’aorte ascendante. Bizarrement, l’artère semble être en deux parties avec une fissure très nette entre les deux. Ceci est dû à la dissection aortique et les deux parties ce sont le faux chenal (a priori la flèche rouge) et le vrai chenal (a priori la flèche noire). Le faux chenal est généralement plus gros que le vrai mais ce n’est pas une vérité absolue. Le scanner nous permet de diagnostiquer la dissection aortique mais pas de savoir quel chenal est le vrai et lequel est le faux.
Voici le profil de douleur pour la dissection aortique :
- siège : rétrosternal et/ou dorsal,
- irradiations : dans le dos et qui descend,
- intensité : extrêmement violente,
- type : sensation de déchirure,
- mode de survenue : spontané,
- chronologie : dure jusqu’à réparation de l’artère,
- circonstances de variation : aucune.
La dissection aortique est une urgence extrême. La survie du patient est menacée à très court terme et il doit être pris en charge dans un service de réanimation ou de chirurgie cardio-vasculaire (suivant le type de dissection) le plus rapidement possible. Malheureusement, malgré des prises en charge rapides, beaucoup de patients ne survivent pas.
La dissection aortique est une pathologie (heureusement) très rare et par conséquent méconnue. Il est courant que les pompiers ou les secouristes passent à côté car la seule douleur thoracique qu’ils savent identifier est la douleur angineuse. C’est pour cela que sur une douleur thoracique, le plus souvent un moyen SMUR7 avec un médecin à bord est engagé.
Les autres douleurs thoraciques
L’angor et la dissection aortique sont probablement les pathologies les plus critiques quand on parle de douleur thoracique, mais il en existe beaucoup d’autres (et je ne peux malheureusement pas tout détailler) parmi lesquelles :
- l’embolie pulmonaire, une pathologie dans laquelle un obstacle (souvent un thrombus8) vient obstruer le tronc artério-pulmonaire (en violet et numéroté 5 sur le schéma du cœur plus haut). C’est également une urgence absolue,
- la péricardite, une infection du péricarde, la membrane qui entoure et protège le cœur,
- l’épanchement pleural, un liquide ou un gaz vient se loger entre les deux parois de la plèvre (la membrane qui entoure et protège les poumons),
- pathologies pulmonaires9 comme la tuberculose,
- traumatisme du thorax (fracture d’une côte par exemple),
- et plein d’autres.
Les douleurs thoraciques sont très nombreuses et variées. Retenez en priorité l’angor ainsi que la sémiologie douloureuse qui lui est associée. Vous pouvez également retenir les signes de la dissection aortique si vous le souhaitez, mais c’est plus rare et la douleur est tellement intense que vous appellerez fatalement le SAMU qui saura la diagnostiquer.
Douleurs à la tête
Les douleurs à la tête sont appelées des céphalées. À l’instar des douleurs au thorax, elles peuvent être révélatrices de pathologies graves.
Accident Vasculaire Cérébral
L’AVC, autre malaise classique s’il en est. Je ne risque pas grand-chose à parier que vous en avez déjà entendu parler, mais savez-vous ce que c’est ? Au même titre que l’angor, l’AVC résulte d’une baisse (ou de l’interruption) de la vascularisation10 non pas du cœur mais cette fois-ci du cerveau.
Il existe deux types principaux d’AVC :
- l’AVC ischémique, dont le mécanisme est la diminution ou l’arrêt d’apport en sang à cause d’un blocage dans les vaisseaux sanguins du cerveau. Il est très généralement dû à un thrombus8,
- l’AVC hémorragique, dont l’interruption d’apport est due à une hémorragie cérébrale, souvent secondaire à une rupture d’anévrisme11 ou à un traumatisme crânien.
L’AVC possède une symptomatologie assez riche (qui varie suivant la zone du cerveau atteinte), quoique plutôt spécifique :
- douleurs à la tête, intenses, inhabituelles, d’apparition soudaine ou progressive et dont la localisation peut varier en fonction de la zone atteinte, parfois accompagnées de vomissements,
- hémiparésie, c’est-à-dire paralysie d’un côté du corps. Pour la mettre en évidence, on peut demander au patient de lever les deux bras, de gonfler les deux joues ou bien de sourire. Il n’y arrivera que d’un côté tout en pensant l’avoir fait des deux,
- perte de la vision d’un œil ou des deux, voile noir ou encore vision floue,
- trouble de la parole, propos incohérents ou incompréhensibles
- trouble de l’équilibre, marche qui ressemble à celle d’une personne alcoolisée, chutes inexpliquées,
- rictus mono-latéral au niveau de la bouche. L’un des côtés sera normal tandis que l’autre formera un rictus (souvent un étirement de la bouche vers l’extérieur et le bas).
Il est important de bien comprendre que ces symptômes ne sont jamais tous présents en même temps : leur apparition dépend de la zone du cerveau qui est atteinte. Toutefois, certains signes sommes le rictus ou l’hémiparésie sont plutôt spécifiques de l’AVC.
Dans l’AVC, il n’y a pas réellement de douleur typique, l’AVC n’est d’ailleurs pas systématiquement douloureux. Si j’en parle quand même c’est parce que c’est une urgence absolue qui est très méconnue du grand public et retarde le contact avec le SAMU, la prise en charge médicale et mène malheureusement à des séquelles voire des décès qui pourraient être évités.
Si vous suspectez un AVC chez quelqu’un, appelez le 15 immédiatement. Si la personne est consciente, faites-la attendre le médecin, allongée et immobile. Si elle est inconsciente mettez-la sur le côté (idéalement en PLS si vous savez la faire), dans une position stable et la bouche ouverte.
Certains AVC disparaissent spontanément. On les appelle alors des AIT. Les AIT doivent tout de même mener à une consultation le plus rapidement possible car ils pourraient se reproduire.
Méningite
La méningite est une inflammation des méninges12 généralement due à un virus (méningite virale) ou à une bactérie (méningite bactérienne), plus rarement à d’autres facteurs.
Voici le profil douloureux de la méningite :
- siège : tout ou partie du crâne, peut s’accompagner de douleurs au niveau de la colonne vertébrale,
- irradiations : suivant le siège de la douleur, elle peut diffuser (synonyme pour irradier) dans l’ensemble du crâne,
- intensité : très intense,
- type : sensations d’à-coups,
- mode de survenue : spontané,
- chronologie : continue avec des exacerbations,
- circonstances de variation : augmentée par le bruit et la lumière, non diminuée par les antalgiques,
- manifestations associées : vomissements, photophobie13, phonophobie14, raideurs de nuque, fièvre, confusion…
- impact : empêche généralement de dormir.
La méningite virale est généralement bénigne tandis que la méningite bactérienne est une urgence absolue. Comme on ne peut pas les distinguer simplement en observant les symptômes, il convient de traiter chaque suspicion de méningite comme une urgence en appelant le 15 ou en allant aux directement urgences. La méningite est une maladie contagieuse, par conséquent, si vous en suspectez une chez un de vos proches, essayez de vous couvrir la bouche et le nez avec un masque ou bien un tissu et lavez-vous les mains le plus souvent possible.
Les autres causes de céphalées
Tout comme pour les douleurs thoraciques, les céphalées peuvent provenir de très nombreuses pathologies :
- hémorragie méningée, il s’agit d’une hémorragie au niveau des méninges, souvent secondaire à une rupture d’anévrisme ou à un traumatisme crânien et qui peut être une cause d’AVC. Les symptômes (mis à part la fièvre) peuvent facilement faire penser à une méningite. C’est une urgence absolue,
- migraine, il s’agit d’une maladie chronique, fréquente, d’origine inconnue, dans laquelle les patients sont la cible de violentes céphalées pouvant durer plusieurs heures ou jours,
- traumatismes crâniens,
- etc.
Voilà qui conclue cette partie sur les liens entre douleurs et diagnostics. Autant les autres parties sont intéressantes d’un point de vue culture générale, autant celle-ci est importante dans la vie de tous les jours. Retenez bien les douleurs associées aux angors et aux méningites ainsi que les signes de l’AVC, même si dans ce cas la douleur est moins spécifique. Le reste (et notamment la dissection aortique), c’est un peu moins important.
-
Les artères sont les vaisseaux sanguins qui amènent le sang riche en dioxygène jusqu’aux tissus périphériques. Les vaisseaux faisant le travail inverse (ramener le sang pauvre en dioxygène jusqu’au cœur), ce sont les veines.
↩ -
Il existe en réalité un second mécanisme qui peut provoquer une ischémie10 à partir de l’athérosclérose. Le mécanisme en question est complexe, mais en quelques mots, la plaque d’athérome (c’est le nom que l’on donne à l’amas de cholestérol qui vient se loger entre l’intima et la media de l’artère) se rompt. À partir de ce moment, il y a deux scénarios. Dans le premier cas, la paroi restante de l’artère est trop fragile et elle se rompt complètement menant à une hémorragie interne et donc une ischémie (le sang se déverse dans l’organisme et ne parvient plus jusqu’aux tissus). Dans le second cas, la paroi résiste et les plaquettes s’agrègent afin de réparer l’artère ce qui peut provoquer l’apparition d’un thrombus8. Le thrombus obstrue la circulation à l’endroit où il s’est formé : c’est une thrombose. Il est également possible que le thrombus se détache et migre pour aller boucher un autre vaisseau que celui d’origine. Il provoque alors une ischémie à distance de son lieu d’origine : c’est une embolie. (Plus rarement, l’embolie peut se produire directement à cause de la plaque d’athérome rompue.)
↩ -
Un point pour vous si vous arrivez à le prononcer à haute voix du premier coup.
↩ -
Le sternum c’est l’os plat que vous avez au milieu du thorax, là où se rejoignent vos côtes en avant (la jonction des côtes en arrière étant la colonne vertébrale).
↩ -
La trinitrine est un médicament de la famille des dérivés nitrés. C’est un vasodilatateur (c’est-à-dire que les vaisseaux sanguins, et particulièrement les artères, se dilatent) à action rapide. Il est utilisé pour les crises d’angor en préventif (chez les personnes qui présentent plusieurs facteurs de risques ou qui ont un historique de la maladie) aussi bien qu’en traitement d’urgence.
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Les carotides sont des artères chargées de vasculariser la tête et notamment le cerveau. À ne pas confondre avec les jugulaires qui sont des veines qui redescendent depuis la tête jusque dans le cœur droit via la Veine Cave Supérieure (numérotée 3 sur le schéma).
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Il faut bien distinguer le SAMU qui est la plateforme départementale qui reçoit les appels et les SMUR qui sont des services hospitaliers qui envoient des moyens (véhicules et équipages) à la demande du SAMU.
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Un thrombus c’est du sang qui a coagulé et forme une masse qui peut venir obstruer les vaisseaux sanguins. C’est ce que l’on appelle généralement (à tort) un caillot sanguin.
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Aussi appelées pneumopathies.
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Une baisse ou une interruption de la vascularisation d’un tissu entraîne un manque de dioxygène dans ce tissu, c’est ce que l’on appelle une ischémie. L’angor est une ischémie du muscle cardiaque (ou myocarde).
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Un anévrisme c’est une partie d’un vaisseau sanguin qui gonfle jusqu’à former une espèce de bulle qui peut éclater à tout moment (rupture d’anévrisme). Ils peuvent se produire un peu partout, mais on les observe particulièrement au niveau du cerveau.
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Les méninges enveloppent le système nerveux central (donc encéphale et moelle spinale). Elles sont organisées selon trois couches (du crâne vers le cerveau) : la dure-mère, l’arachnoïde et la pie-mère. On trouve dans les méninges le liquide cérébrospinal (ou céphalorachidien) qui évacue les déchets du cerveau et amortit les chocs.
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Intolérance à la lumière.
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Intolérance au son.
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Prendre en charge la douleur
Bien, maintenant que nous savons d’où vient notre douleur et que nous avons notre diagnostic, il est temps de traiter. Le moyen le plus évident, c’est de guérir la pathologie associée. Sauf que ce n’est pas toujours possible ou pas toujours immédiat. Dans ce cas, pour soulager la douleur, nous allons avoir recours à une catégorie de médicaments particuliers qui se nomment…
Les antalgiques
On les appelle aussi les analgésiques. Ce sont des médicaments dont le but premier est de soulager la douleur. L’OMS les classe selon 3 catégories :
- Classe 1, les antalgiques non-opioïdes, pour les douleurs faibles,
- Classe 2, les opioïdes faibles, pour les douleurs faibles à modérées,
- Classe 3, les opioïdes, pour les douleurs fortes.
Il existe également des médicaments antalgiques que ne sont pas classés dans cette échelle soit parce que leur effet antalgique est un effet secondaire (c’est le cas de certains anti-dépresseurs par exemple) soit parce qu’ils sont là pour renforcer un autre médicament antalgique (exemple : la prednisone).
Antalgiques non opiacés (classe 1)
Les prostaglandines
Je vous avais promis qu’on en reparlerait et je tiens parole ! Pas de panique toutefois, on ne va pas faire un cours de biochimie, je vais juste en dire suffisamment pour que vous puissiez comprendre les mécanismes d’action des médicaments.
Les prostaglandines sont des biomolécules du corps humain qui ont un nombre très important de rôles parmi lesquels - nous en avons parlé - celui de neuromédiateur. Les prostaglandines sont formées à partir de l’acide arachidonique grâce à une enzyme1 que l’on appelle la cyclo-oxygénase (ou COX).
Les COX, il en existe 3 types :
- la COX-1, dite constitutive, qui participe à la synthèse des prostaglandines intervenant dans l’estomac (notamment dans la protection de la paroi stomacale contre les substances acides contenues dans l’estomac qui pourraient l’endommager), les reins (pour aider à maintenir le flux sanguin) et dans certains autres mécanismes comme la vasoconstriction (c’est-à-dire la contraction des vaisseaux sanguins) ou encore l’agrégation des plaquettes (qui permet de stopper les saignements) ;
- la COX-2, dite inductible, qui participe à la synthèse des prostaglandines intervenant dans les processus inflammatoires2 et douloureux,
- la COX-3, dite centrale (parce que contrairement aux deux autres, elle agit au niveau du cerveau et non pas des organes périphériques), qui participe à la synthèse de prostaglandines impliquées dans les processus de douleur et de fièvre.
Le paracétamol
Il est à la base de très nombreux médicaments : Doliprane, Dafalgan, Fervex… C’est le médicament le plus utilisé au monde, toutes classes confondues. On l’appelle aussi l’acétaminophène.
Il a été découvert il y a plus d’un siècle et pourtant, aujourd’hui encore, on n’est pas bien sûr de savoir comment il fonctionne. D’après des découvertes récentes, il semblerait qu’il ait une action d’inhibition sur la COX-3, ce qui empêche donc la synthèse de prostaglandines impliquées dans les mécanismes de douleur et de fièvre (l’inhibition de la fièvre s’appelle l’effet antipyrétique) directement au niveau du cerveau.
C’est un médicament qui n’a pas d’effet secondaire (ou alors très rarement) et dont l’effet antalgique est faible et soumis à une forte variabilité interindividuelle. Il est utilisé en première intention sur des douleurs faibles et est en vente libre en France. En général vendu sous forme de comprimé oraux (mais existe aussi en intraveineuse), il fait effet entre 30 minutes et une heure après ingestion, et ce pendant une durée courte ce qui impose une prise régulière (mais 4 prises par jour max voire moins dans certains cas).
Et c’est là le risque principal : le surdosage en paracétamol est extrêmement dangereux3. D’autant que, en plus des médicaments dans lesquels il est le principe actif principal, il existe beaucoup de médicaments dans lesquels il est associé au principe actif, ce qui augmente encore le risque de surdosage. Faites donc très attention si vous prenez du paracétamol sans qu’il vous ait été prescrit.
Que se passe-t-il lors d’un surdosage ? Il faut comprendre en premier lieu que suivant son mode d’administration, la part d’un médicament qui va atteindre sa cible thérapeutique et y avoir une action (c’est ce que l’on appelle la biodisponibilité) est plus ou moins grande. Dans le cas de l’administration orale (on dit aussi per os), la biodisponibilité est plutôt faible. Les médicaments sont éliminés par plusieurs voies métaboliques, notamment dans le foie.
C’est le cas du paracétamol qui est éliminé par le foie selon 4 voies métaboliques. 3 de ces voies sont prioritaires et produisent des molécules non dangereuses. Toutefois, ces voies sont saturables et une fois saturées, le paracétamol emprunte la 4e voie métabolique qui produit du NAPQI, une molécule très toxique pour le foie. Dans le cas d’une intoxication au NAPQI, le patient doit être hospitalisé en urgence. Il est possible que, grâce à certains médicaments (notamment la N-acétylcystéine), l’intoxication soit jugulée. Si ce n’est pas le cas, il faudra procéder à une greffe hépatique.
Les Anti-Inflammatoire Non Stéroïdiens
Le nom fait un peu peur, mais vous en connaissez forcément : on retrouve parmi eux l’aspirine, l’ibuprofène, le kétoprofène et beaucoup d’autres.
Ces médicaments agissent sur la COX-1 et la COX-2 (et donc directement au niveau de la lésion, contrairement au paracétamol qui a une action centrale) en les inhibant :
- l’inhibition de la COX-2 est responsable des effets recherchés de ces médicaments, à savoir l’effet antalgique et l’effet anti-inflammatoire (pour le coup, les AINS n’ont pas d’effet antipyrétique),
- l’inhibition de la COX-1 est responsable des effets indésirables, toxicité gastrique (risques d’hémorragies digestives et d’ulcères4), diminution du flux sanguin rénal, effet anti-aggrégant plaquettaire (ce qui provoque une majoration des saignements)…
Il existe maintenant des AINS n’agissant que sur la COX-2, mais il semblerait qu’ils aient des effets secondaires au niveau cardiaque.
Les AINS sont absolument contre-indiqués chez les femmes enceintes5 car il y a un risque important de toxicité pour le fœtus.
Les antalgiques opiacés (classes 2 et 3)
Les opiacés ont tous le même mécanisme d’action, qu’ils soient de classe 2 ou 3, d’où la mise en commun. Ils inhibent la sécrétion d’un neuromédiateur qui s’appelle la substance P et qui agit dans la transmission de la douleur au niveau de l’encéphale. La substance P intervient également dans d’autres mécanismes ce qui provoque les effets secondaires des opiacés.
Les opiacés, comme leur nom l’indique, sont des molécules dérivées de l’opium. La molécule la plus connue (et vous en avez forcément entendu parler), c’est la morphine. Vous entendrez potentiellement parler du fentanyl et de ses dérivés (sulfentanyl, alfentanyl…), très proches de la morphine mais beaucoup plus puissants et utilisés en anesthésie-réanimation notamment.
Les opioïdes ont de très nombreux effets secondaires parmi lesquels :
- troubles respiratoires, essentiellement par diminution de la fréquence respiratoire,
- effet antitussif ce qui mène à des encombrements bronchiques,
- myosis (contraction de la pupille de l’œil),
- hypotension,
- convulsions,
- tolérance, c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’augmenter les doses avec le temps pour obtenir le même effet (on appelle cela la tachyphylaxie)
- dépendance psychique et physique qui peut se traduire par un syndrome de sevrage chez les toxicomanes comme chez les patients.
Le traitement du surdosage aigu en opioïdes (et particulièrement en héroïne qui est la drogue opiacée la plus répandue) passe par un médicament qui s’appelle la naloxone6 et qui est un antagoniste des opioïdes. Un antagoniste, c’est un médicament qui va occuper les mêmes récepteurs que le médicament d’origine (il va donc en quelque sorte prendre sa place) mais qui n’a pas d’effet. L’action de la naloxone est spectaculaire : une personne dans le coma suite à une telle intoxication peut se réveiller en quelques minutes comme si de rien n’était à la suite d’une prise de naloxone (en général en intraveineuse ou en spray nasal). Toutefois, sa durée d’action est très courte, il faut donc une surveillance médicale. De plus, il induit l’apparition très brutale d’un syndrome de sevrage, il est donc à réserver aux détresses vitales.
Enfin, il existe deux autres médicaments, la codéine et le tramadol, qui sont des opiacés de classe 2. Ce sont des pro-drogues de la morphine, c’est-à-dire qu’ils sont métabolisés par le foie afin de produire de la morphine, les médicaments en eux-mêmes n’ayant quasiment aucun effet. Le souci c’est que ce processus de métabolisation est soumis à une très grande variabilité interindividuelle (d’origine génétique) : il y a les métaboliseurs lents (chez qui le médicament n’aura aucun effet), les intermédiaires, les rapides et les ultra-rapides (chez qui le médicament risque de provoquer une intoxication à la morphine). Ce sont donc des médicaments à prescrire et à utiliser avec le plus grand soin.
Les douleurs chroniques
La prise en charge des douleurs chroniques est très particulière et nécessite bien une partie pour elle toute seule. On parle de douleur chronique lorsqu’une douleur dure plusieurs mois (en général, à partir de 2 mois).
Nous l’avons vu un peu plus tôt, la douleur aiguë (ou nociceptive) est une douleur d’alarme, une douleur utile qui sert à signaler un danger. Le but du jeu pour nous, c’est de soigner la cause pour faire disparaître la douleur en la soulageant éventuellement, si la disparition de la cause n’est pas instantanée (infection par exemple).
La douleur chronique, c’est tout l’inverse. C’est une douleur qui est à la fois inutile et destructrice (notamment parce qu’elle est source de dépression7). Elle peut être nociceptive, mais elle l’est rarement uniquement : elle est souvent accompagnée de composantes psychologiques voire neuropathiques. L’objectif n’est plus curatif (en général on n’en est pas capables) mais réadaptatif. On va essayer de limiter l’impact de la douleur sur la vie du patient afin qu’il puisse vivre le plus normalement possible.
La prise en charge d’une douleur chronique se fait selon le modèle bio-psycho-social. Il s’agit d’un modèle qui prend en compte trois composantes différentes :
- la composante biologique, c’est-à-dire la douleur dans son aspect purement médical,
- la composante psychologique, quel est l’impact de cette douleur d’un point de psychologique ? Sur le moral et le comportement du patient ?
- la composante sociale, quel est l’impact de la douleur sur les relations sociales du patient ? Est-il soutenu ou rejeté par ses proches ? S’est-il isolé socialement ?
Sur la composante sociale, notre action sera malheureusement relativement limitée, mais nous pouvons agir sur les deux autres ! La composante biologique, on connaît déjà bien le processus :
- on évalue la douleur avec les différents critères,
- on essaie de la lier à un diagnostic (avec bien évidemment un examen physique complet, un questionnement du patient et des examens complémentaires),
- on traite. La pathologie si possible, sinon on prescrit des antalgiques pour soulager le patient.
Au niveau de la composante psychologique, il y a un certain nombre d’éléments que nous devons évaluer :
- l’expérience et l’interprétation du patient par rapport à sa douleur. Certains patients vont penser que leur douleur est une punition divine. D’autres qui ont des proches décédés d’infarctus vont penser qu’il leur arrive la même chose en cas de douleur thoracique chronique alors que ce n’est pas forcément le cas. Il est nécessaire de comprendre comment le patient se représente sa douleur ;
- la mémorisation et l’anticipation. Un patient qui déjà fait l’expérience d’une douleur liée à un geste (médical ou du quotidien) risque d’appréhender fortement le geste en question et d’augmenter son seuil de douleur (composante psychologique) alors qu’il peut exister des moyens de le soulager. On peut prendre l’exemple d’un patient lombalgique (souffrant d’un mal de dos chronique) dont le fait de se baisser majore la douleur. Il va probablement refuser de se baisser de nouveau alors qu’il lui est possible de soulager cette douleur en se protégeant le dos ;
- le comportement du patient. Est-ce que son comportement a changé ? (Particulièrement important chez les personnes non communicantes chez qui les modifications du comportement sont parfois la seule manière de communiquer.) Est-ce que ses relations avec son entourage sont restées les mêmes ?
La prise en charge d’une douleur chronique peut dépasser la simple prise en charge médicale et nécessiter une prise en charge psychologique. L’objectif pour les professionnels de santé est d’identifier et de déconstruire les idées fausses qui font peur au patient pour favoriser les conceptions qui améliorent son bien-être. C’est un exercice délicat dans la mesure où il ne faut pas pour autant mentir au patient (en lui assurant par exemple que sa douleur ne résulte pas d’un cancer avant d’avoir fait les tests) ou s’opposer à ses croyances profondes (difficile d’expliquer à un patient qui croit que sa douleur vient d’un ancêtre mécontent que ce n’est pas le cas).
Il faut savoir qu’être malade ou avoir mal vont impliquer pour le patient de passer par un certain nombre de processus cognitifs complexes avec des issues variées. L’enjeu pour les professionnels de santé (médecins, infirmiers, psychologues…) c’est de pousser le patient vers des processus cognitifs qui ont des issues positives.
Par exemple, pour un patient qui doit adapter certains aspects de sa vie pour éviter la douleur, on peut tenter de faire un sorte qu’il vive cela comme un défi plutôt qu’une contrainte. On essaiera également de favoriser le processus de rationalisation de la douleur plutôt qu’un processus centré sur les émotions.
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Une enzyme est une molécule qui permet à une réaction de se dérouler plus vite mais qui n’est pas consommée dans la réaction en question (c’est-à-dire que la quantité d’enzyme est la même au début et à la fin).
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L’inflammation, c’est la réaction du corps face à une agression externe. Généralement, la zone concernée devient rouge, gonflée, chaude et douloureuse.
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C’est d’ailleurs probablement à cause d’une telle intoxication qu’est décédée Naomi Musenga, une jeune femme dont la prise en charge par les régulateurs du SAMU avait fait polémique. Pour plus d’informations.
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Un ulcère est une dégradation d’un tissu. On en trouve fréquemment au niveau de la peau, de l’estomac et des intestins.
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Chez le fœtus, l’oxygénation du sang se fait grâce aux échanges avec la mère. Il existe un canal, qui s’appelle le canal artériel qui permet à la majorité du sang d’éviter la circulation pulmonaire (vu qu’elle ne sert à rien à ce stade). Ce canal se referme peu après la naissance, laissant un reliquat appelé le ligament artériel. Or, il a été prouvé que les AINS avaient un impact sur la fermeture de ce canal. Si une femme enceinte prend des AINS, il y a un risque de fermeture du canal artériel in utero, ce qui peut avoir de graves conséquences sur le cœur ou les poumons du fœtus.
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La naloxone est également un traitement pour un type d’analgésie congénitale, une maladie dont nous avons parlé un peu plus haut (tout est lié !).
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Je vous renvoie à l’épisode 12 de la saison 5 de Dr House (oui, encore ), Le Grand Mal dans lequel un patient tente de se suicider plusieurs fois à cause d’une douleur chronique intense.
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Et voilà qui conclut cet article sur la douleur !
Il contient pas d’informations, mais les plus importantes à mon sens sont les suivantes :
- le profil de la douleur angineuse : douleur au thorax, constrictive, intense, qui peut irradier dans la mâchoire et le bras,
- les principaux symptômes de l’AVC : hémiparésie, rictus mono-latéral, céphalée, troubles de la vision, de la parole, de l’équilibre,
- les principaux symptômes de la méningite : céphalée violente par à-coups, fièvre, raideurs de nuque, photophobie,
- les risques du paracétamol, à savoir l’intoxication du foie et la nécessité de se limiter à 4 prises par jour maximum.
Un grand merci à @Blackline et @rezemika pour leurs précieux retours lors de la bêta ainsi qu’à @qwerty pour ses conseils lors de la validation. Merci à vous également de m’avoir lu jusqu’au bout, j’espère que cela vous aura plu et appris des choses !