Mais le plus grave dans le confinement c’est la situation de ceux que ça met en grande difficulté économique, dans une grande incertitude quant à leur emploi, etc. C’est chez eux qu’il y a un grave impact psychologique. Pas mal de gens s’approprient abusivement cette souffrance et prennent leur impatience pour de la détresse psychologique afin de mettre fin aux restrictions et de retrouver leur petite vie normale, sans se soucier des éventuelles conséquences.
Non, ne pas voir ses amis et sa famille en chair et en os et ne pas pouvoir aller au cinéma pendant quelques semaines, ce ne sont pas des raisons sérieuses de se sentir mal. Ne pas trouver de travail et ne pas savoir comment payer son loyer, ne pas savoir comment on va éponger ses dettes et faire survivre son activité, avoir un proche qui déclare un cancer, avoir une zone de combat à quelques kilomètres de sa maison, dormir dans la rue par -5°C, ne pas manger à sa faim, ça oui.
On peut émettre des critiques argumentées, mais c’est indécent de transformer sa contrariété en détresse psychologique parce qu’on ne pense qu’à sa gueule, et de tout oublier dès qu’on déconfine. D’autant plus quand on est jeune, qu’on ne s’intéresse jamais à la politique, et que tout va bien dans notre vie, ce qui constitue une bonne partie des gens que je critique ici.
Je comprends ta logique et je comprends ton agacement, mais malheureusement la psychiatrie et la psychologie ce n’est pas comme ça que ça fonctionne : la détresse psychologique de quelqu’un n’est pas proportionnelle à l’intensité des stresseurs qu’il vit. La résilience - qui est propre à chacun - est également un facteur déterminent et dépend elle-même de nombreux autres facteurs.
Comme je te l’ai dit dans mon précédent message, bien entendu, il existe des gens qui se plaignent pour rien et c’est désagréable de devoir passer du temps à les écouter geindre, mais à côté il y a également des gens pour qui des choses qui paraissent totalement anodines ont engendré une véritable souffrance. Et il est parfois difficile de faire la différence entre les deux sans écouter, sans questionner et sans essayer d’aider. À titre personnel, je préfère perdre mon temps avec quelqu’un qui finalement va bien (même si c’est pénible, on est bien d’accord) plutôt que risquer de passer à côté de quelqu’un qui souffre.
Si l’on prend comme indicateur de la souffrance psychologique les hospitalisations en service psychiatriques et les tentatives de suicide, les personnes qui souffrent le plus de la crise ne sont pas forcément celle que l’on croit.
Typiquement, les personnes sans-abris sont en grande souffrance de manière générale et sont en souffrance encore plus grande depuis le confinement parce qu’il leur a fait perdre tous leurs repères (sans vouloir faire ma propre promotion, j’ai écrit un billet qui parle notamment de ce sujet si ça t’intéresse) mais ce sont des personnes qui ont l’habitude de devoir se débrouiller au jour le jour et qui ont développé des stratégies d’adaptations à la fois au niveau social et psychologique (ces dernières ne sont pas toujours bénéfiques à long terme, mais au moins, à court terme elle leur permettent d’éviter le pire).
Les gens qui ont des difficultés économiques sont en grande détresse psychologique et sociale également. On n’a jamais vu d’augmentation aussi rapide des bénéficiaires de l’aide alimentaire par exemple, c’est catastrophique. Il est probable d’ailleurs que le taux de suicide des classes moyennes qui basculent dans la frange pauvre de la société ou alors des gens qui y étaient déjà augmente mais, d’expérience ce ne sont pas eux qui vont le plus souffrir psychologiquement de cette crise. Je n’ai pas forcément d’explication à donner à leur résilience, c’est probablement une combinaison de facteurs, l’un des plus importants étant pour moi le fait qu’ils sont généralement entourés par une famille.
Enfin, en ce qui concerne les proches qui développent des maladies, j’ai probablement vu ce qu’il y avait de pire à voir en la matière pendant ce confinement : appeler des familles pour leur dire qu’on allait mettre un de leur proche en coma artificiel sans qu’elles puissent venir le voir avant et tout en sachant qu’il y avait des chances pour qu’il ne se réveille jamais… Et rappeler quelques jours plus tard pour annoncer le décès et devoir expliquer que non, ils ne pourront pas voir la personne qui vient de partir et ne pourront lui dire au revoir qu’à travers un cercueil scellé. C’est déchirant à faire (et j’en ai fait des cauchemars) et je n’ose même pas imaginer à quel point c’est déchirant à vivre. Mais pourtant, ces personnes que j’ai eu au bout du fil ne sont pas non plus les plus impactés psychologiquement par cette crise quand bien même faire son deuil dans ces conditions est terrible.
Non, les plus impactés ce sont les gens qui ont des maladies psychiatriques connues mais sans être hospitalisés en permanence (mais bon ça, malheureusement, c’est pas surprenant) mais également des gens qui couvaient sans le savoir un truc qui peut passer inaperçu comme une dépression ou un trouble bipolaire (notamment cyclothymique) qui ont pour certains décompensé de manière extrêmement violente (jusqu’à faire des tentatives de suicides) parce que les stratégies d’adaptations qu’ils avaient développé jusque là (aller voir un proche, un film…) ne fonctionnent plus. C’est peut-être bête à dire, mais des choses aussi anodine qu’aller au cinéma ou au parc, ça peut permettre à des gens d’éviter de s’enfoncer dans un état dépressif. Voir des gens également : si on sort de cadre pathologique, la seconde population la plus impactée ce sont les gens qui souffrent d’isolement social, en particulier les étudiants (et rezemika en parle bien mieux que moi) ou les personnes âgées, notamment hospitalisées en EHPAD qui pour certaines se sont laissées mourir de détresse.
Alors bien entendu, personne n’espère que le PO en soit arrivé à un point où il a des idées aussi noires (et j’espère également qu’il me pardonnera ma longue digression dans son sujet) mais derrière des tourments qui te paraissent futiles, peuvent se cacher une véritable souffrance et c’est pour ça qu’on y fait attention.
C’est pour ça que le choix de la manière de s’exprimer et le tact dans le fait de présenter un problème, ses attentes et les éléments objectifs de son questionnement est important. Et que l’expression d’un problème peut être fait de nombreuses manières différentes, elle est souvent utile en soi car elle aboutit à la communication d’une idée ayant valeur d’information, et d’autres éléments de mise en perspective objectifs (et on ne peut pas reprocher la recherche de ce mécanisme qui est vertueux), mais elle n’est jamais neutre, et elle gagne souvent à être réfléchie et améliorée sur sa forme, autant qu’il le faut.
La théorie que tu développes n’est pas fausse (même si très datée) mais la base de la psychologie (et même du simple soutien moral) c’est de laisser quelqu’un exprimer ce qu’il a envie de dire de la manière dont il a envie de le dire et de faire à partir de ça. C’est plus facile d’adapter son langage quand on est l’écoutant que quand on est l’écouté.
@HerbeQuiBenchEtSquat > Si ton but est de revenir sur les outils qui permettent de construire un réseau amical, je crains malheureusement que nous n’ayons épuisé nos idées dans ton précédent sujet. Le numérique ne peut pas tout faire et si tu veux rencontrer des gens dans ta ville, le mieux à faire c’est probablement de sortir (quand ce sera de nouveau possible), faire du sport en équipe, adhérer à une association…