Une histoire de référentiel

Ne bougez plus !

Il y a une chose qui n'apparaît pas dans les lois de Newton, et qui pourtant apparait dans leur énoncé actuel : c'est la notion de référentiel galiléen. Qu'est-ce donc ? Pour le comprendre, faisons une expérience toute simple :

Ne bougez plus !

Ca y est ? Vous êtes immobiles ? OK…

En êtes-vous si sûrs ? Si je vous disais que vous êtes actuellement en train de vous déplacer à 30 km/s, vous me croyez ?

Et pourtant, c'est vrai. Par rapport au sol, vous êtes immobiles, mais par rapport au centre de la Terre, vous tournez en rond, et par rapport au soleil, vous avez un mouvement composé d'un mouvement circulaire autour du centre de la Terre et d'un mouvement circulaire autour du Soleil. Bien loin de l'immobilité.... De même, si vous êtes en voiture, vous avancez à une certaine vitesse par rapport à la route, mais vous voyez les arbres reculer par rapport à vous.

Bref, tout cela pour vous dire qu'un mouvement doit être défini par rapport à quelque chose. Ce quelque chose, c'est ce qu'on appelle un référentiel : cela peut être le sol ou le mur du laboratoire (on parle alors de référentiel terrestre), le centre de la terre (référentiel géocentrique), le Soleil (référentiel héliocentrique), …

Galiléen or not galiléen?

Mais alors, existe-t-il des référentiels meilleurs que d'autres pour étudier un problème mécanique ?

Pour répondre à cette question, imaginez-vous à l'intérieur d'un métro en marche, en ligne droite et à vitesse constante (on parle de mouvement rectiligne uniforme). Vous pouvez vous déplacer dans la rame le plus naturellement du monde, et vous pourriez même jongler avec des balles, sans avoir à tenir compte de la vitesse du métro.
Bref, tout se passe exactement comme si le métro était à l'arrêt.
Mais tout ceci n'est plus vrai si le métro se met à accélérer, ou à suivre une trajectoire courbe. Vous seriez déstabilisé et vos balles iraient frapper la tête d'un pauvre voyageur…

Tout cela, Galilée l'avait déjà remarqué. Dans cet extrait assez connu, il présente une expérience de pensée permettant de mettre en évidence cette observation :

" Enfermez-vous avec un ami dans la cabine principale à l'intérieur d'un grand bateau et prenez avec vous des mouches, des papillons, et d'autres petits animaux volants. Prenez une grande cuve d'eau avec un poisson dedans, suspendez une bouteille qui se vide goutte à goutte dans un grand récipient en dessous d'elle.

Avec le bateau à l'arrêt, observez soigneusement comment les petits animaux volent à des vitesses égales vers tous les côtés de la cabine. Le poisson nage indifféremment dans toutes les directions, les gouttes tombent dans le récipient en dessous, et si vous lancez quelque chose à votre ami, vous n'avez pas besoin de le lancer plus fort dans une direction que dans une autre, les distances étant égales, et si vous sautez à pieds joints, vous franchissez des distances égales dans toutes les directions.

Lorsque vous aurez observé toutes ces choses soigneusement (bien qu'il n'y ait aucun doute que lorsque le bateau est à l'arrêt, les choses doivent se passer ainsi), faites avancer le bateau à l'allure qui vous plaira, pour autant que la vitesse soit uniforme [c'est-à-dire constante] et ne fluctue pas de part et d'autre. Vous ne verrez pas le moindre changement dans aucun des effets mentionnés et même aucun d'eux ne vous permettra de dire si le bateau est en mouvement ou à l'arrêt "

Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, 1632

Galilée observe qu'aucune expérience de mécanique (chute d'un corps, mouvement d'un pendule, …) ne permet de distinguer si le navire est immobile ou s'il est en mouvement uniforme. Les lois de la physique sont les mêmes dans les deux cas.

C'est en son honneur que l'on nomme maintenant ces référentiels des référentiels galiléens. Ce sont des référentiels dans lesquels les lois de Newton peuvent s'appliquer. Ces référentiels sont soit immobiles, soit en mouvement rectiligne uniforme.

Mais si vous avez bien suivi jusqu'ici, une question devrait naturellement vous venir à l'esprit :

Ils sont immobiles ou en mouvement rectiligne uniforme par rapport à quoi ?

Hé oui, souvenez-vous qu'un mouvement est toujours défini par rapport à quelque chose, d'où la question. Mais la réponse va vous surprendre :

Un référentiel galiléen est un référentiel immobile ou en mouvement rectiligne uniforme par rapport à un autre référentiel galiléen

Cette réponse est totalement absurde, n'est-ce pas ? Elle illustre malheureusement un postulat physique incontournable : il n'existe aucun référentiel absolu sur lequel on peut s'appuyer et pour lequel on peut dire avec certitude qu'il est au repos absolu. Tous les mouvements sont relatifs.

Attention: nous ne parlons pas ici de la trop fameuse relativité d’Einstein. Le principe que nous avons énoncé ici s’appelle la relativité galiléenne.

Cette impossibilité de définir un mouvement absolu est un peu dure à admettre… D'ailleurs Newton ne l'admet pas. Dans sa théorie, il considère un espace (et un temps) absolus : "Le temps absolu, vrai et mathématique, sans relation à rien d'extérieur, coule uniformément. L'espace absolu, sans relation aux choses externes, demeure toujours similaire et immobile."
On peut donc selon lui définir pour chaque objet un mouvement absolu par rapport à cet espace :

"Ainsi, si la Terre était en repos, le corps qui est en repos relatif dans le vaisseau aurait un mouvement vrai et absolu, dont la vitesse serait égale à celle qui emporte le vaisseau à la surface de la Terre ; mais la terre se mouvant dans l'espace, le mouvement vrai et absolu de ce corps est composé du mouvement vrai de la terre dans l'espace immobile, et du mouvement relatif du vaisseau par rapport à la terre"

Mais retenez que cette notion de mouvement absolu n'existe pas. Cette hypothèse de Newton sera critiquée au XIXè siècle, notamment par Ernst Mach (1838-1916), et des résultats expérimentaux (les expériences de Michelson-Morlay) viendront la remettre en cause. Tout ceci conduira Lorentz, Poincaré et Einstein sur la voie de la théorie de la relativité. Mais ceci est une autre histoire....

Force centrifuges et autres inventions

Pourquoi, dans un métro en marche, tout se passe comme si le métro était immobile ?

À cause de l'inertie des objets (la première loi de Newton). Souvenez-vous, lorsque le métro est en marche, il vous communique une certaine vitesse, et vous conservez cette vitesse puisque aucune force ne vous en empêche. Ainsi, lorsque vous lancez une balle vers le haut, elle continue à suivre le métro, et retombera donc dans votre main, bien que vous ayez avancé de quelques dizaines de mètres.

Mais que se passe-t-il si le métro tourne vers la droite ? Vous vous sentez déporté vers la paroi de gauche, vers l'extérieur du virage. En réalité, c'est toujours l'inertie qui est à l’œuvre ici : votre corps tend à conserver son mouvement rectiligne, alors que le métro va vers la droite. Aucune force ne vous pousse vers la gauche.

Et la force centrifuge ?

Ah oui, tout le monde en a entendu parler. Comme vous vous sentez déporté vers la gauche par rapport au métro, vous imaginez qu'une force vous y pousse. Inconsciemment, vous appliquez en fait la deuxième loi de Newton (un changement de mouvement implique l'existence d'une force).

Mais vous l'appliquez dans le métro en virage, qui N'EST PAS un référentiel galiléen ! La loi de Newton ne peut donc pas s'y appliquer !

La force centrifuge est en fait une force fictive, que l'on ajoute au bilan des forces pour compenser le fait que le référentiel que l'on utilise n'est pas galiléen.
Il en est de même pour la force de Coriolis, que l'on utilise lorsqu'on ne peut pas négliger la rotation de la Terre (qui ne peut plus donc être considérée comme galiléen)
Ces pseudo-forces, qui proviennent de l'inertie des corps, ont reçu le nom de forces fictives ou forces d'inertie.


Pour terminer sur ce sujet, je vous propose une vidéo du Palais de la Découverte sur le sujet des forces d'inertie :
http://www.canal-u.tv/video/cerimes/forces_d_inertie.9173