Dire que le « peuple » dans sa globalité à un biais cognitif ne veut pas dire qu'un modèle quantitatif est préférable ou meilleur. Le problème d'horizon pour la prise de décision est une dimension encore supplémentaire qui complexifie n'importe quel choix (typiquement, tu cites l'exemple du libéralisme économique et je crois qu'en terme d'échec cuisant des modèles quantitatifs dans certains milieux, qui sont par ailleurs l'expression d'un seul courant de pensé, on a pas meilleur exemple).
Les problèmes que tu cites sont parfaitement vrais dans la situation actuelle mais aussi totalement artificiels et pas nécessairement vrais dans tout système politique, et notamment celui que je défends.
Typiquement, ces expériences ont été faite sur des personnes non-informées, sans choix d'alternatives élaborée dynamiquement avec eux, et sur des échantillons larges de décideurs pour une seule décision.
Et non, ces résultats ne contredisent pas ce que je dis, je m'en sers même beaucoup dans mes travaux, notamment en optimisation (et d'ailleurs, si tu relis bien, et lis les références de mon message d'hier, tu verras que cela se rapproche de ta référence sur un paternalisme libertaire, notamment parce que le rôle de l'Etat – même si je n'aime pas ce qualificatif – est de restreindre à quelques solutions qui sont viables par expertise mais ensuite de laisser la population choisir parmi). Ils montrent que par rapport à des modèles quantitatifs définis et arbitraires, les décisions globales d'une masse peuvent très largement s'éloigner de l'optimum du modèle ; le contraire m'aurait étonné. Ce que je dis à contrario, c'est qu'aucun modèle n'est neutre et que chaque modèle est politique, à commencer par les indicateurs qui interviennent en leur sein ; dès lors, il me parait indispensable et non-négociable que le peuple interviennent directement dans ces choix d'objectifs.
D'ailleurs, ton exemple sur la préférence du chômage bas est très intéressant parce que l'on voit bien les désastres des réformes Hartz sur beaucoup d'autres points. Où situes-tu et où les experts situent la marche à adopter entre l'extrémisme des lois Hartz (autant par leur efficacité sur le taux de chômage que sur la destruction de certains pans de protection sociale) et une politique totalement à l'opposé qui consisterait à rejeter l'ensemble des contrats de travail non-conventionnels (typiquement hors CDI) rehaussés de tous les mécanismes de protections sociales que l'on peut imaginer ? Où places-tu le curseur ? Selon quels objectifs ? Comment as-tu choisis ces objectifs ?
Si les allemands sont très contents de ces réformes (et c'est un grand « si »), en serait-il de même d'autres nations qui ont un passé politique différent et d'autres vues pour le futur ? Non seulement je ne crois pas au peuple « heureux et satisfait » de décisions politiques auxquelles ils n'a aucune prise et d'autre part, je n'en veux simplement pas. Tu peux aller vivre aux USA si tu es tellement adepte des modèles quantitatifs pour la prise de décision sans décision humaine sur le bien fondé du résultat obtenu (expression insécable); cela fleurit dans les sciences humaines, avec des résultats formidables comme le evidence-based sentencing dont Arius sera ravi de te donner quelques sources et éclairages.
L'exemple de la banque centrale est tout sauf pertinent, surtout vu les résultats que le dogme monétariste provoque en Europe et dans les pays qui n'ont rien demandé. Le fait qu'elle soit indépendant d'autres organes de décisions politique ne veut pas dire qu'elle doit être soustraite de modification émanant du peuple.
Si une nation décide qu'un autre équilibre inflation lui est préférable il doit pouvoir se l'imposer, en dépit de ce qui arrange certains. Si c'est pour se retrouver avec des horizons de stabilité dans les 40 ou 50 ans voire 100 ans comme avec l'Union Européenne, c'est non. Sacrifier des générations parce que l'optimum d'un problème d'optimisation est atteint lorsque l'horizon tend vers l'infini, cela m'est impensable et cela se rapproche plus de la religion.
Si une nation décide qu'il lui est préférable de faire de la déflation compétitive, grand bien lui fasse. Mais cela a une contrepartie que d'autres pays ne sont peut être pas prêt à accepter par rapport aux bénéfices et préfère adopter un point de vue un peu différent.
Tu sous-entends il me semble qu'il y a une vérité, une décision meilleure que les autres. Ce qui me fait particulièrement peur c'est l'homogénéisation des politiques économiques et sociales. La pluralité permet à chacun de choisir le système dans lequel il préfère vivre (typiquement, j'estime avoir un meilleur rythme de vie, qualité de vie et un gouvernement et société plus performant et en adéquation avec mes vues dans le pays dans lequel je vis par rapport à la France, et c'est pour cela que je n'y vis plus), et surtout, permet une pluralité intellectuelle nécessaire pour éviter des abus ou une déviance extrême d'un système qui n'est ni parfait ni mauvais à la base.
Etienne Klein, toujours lui, a une belle explication sur le pourquoi la science est objective. Elle n'est pas objective parce que les scientifiques seraient des gens objectifs (ce qui corrobore le message d'elegance), mais parce que la confrontation des idées, la participation de chacun, la relecture et le dynamisme qui en résulte participe à faire naitre un mouvement d'objectivisation.
Or, je constate que la politique, notamment économique, est à l'opposé de cela : ostracisation d'autres courants de pensées, émergence en politique d'un courant global et globalisant qui s'est imposé (la fameuse « alternance qui ne produit aucun effet de changement »), participation de chacun réduite au minimum et de plus en plus par ailleurs, dynamisme inexistant lorsque l'on inscrit des « règles d'or » en matière de politique dans des traités intouchables par quiconque, etc.
Tu suggères qu'il faudrait court-circuiter les politiques, et donc demander aux politiques (élus) d'appliquer sans droit de regard les préconisations des experts (vrais experts ou experts auto-proclamés).
Donc tu expliques que la démocratie, c'est (au moins en partie) inefficace, et qu'il vaut mieux se baser sur un système centré sur des experts.
Personnellement, je n'ai rien contre l'idée. Je ne m'accroche pas par principe à l'idée de démocratie, et si un autre système s'avérait plus efficace, alors pourquoi ne pas essayer, et court-circuiter les politiques. Reste encore à s'assurer que les experts en charge de tels ou tels dossiers soient réellement compétents et préoccupés de l'intérêt général, ce qui n'est pas une mince affaire.
Mais je ne suis pas sûr d'avoir bien interprété ta pensée, et j'ai l'impression ou le vague souvenir que tu soutenais l'inverse il y a quelques jours.
Ce que je définis comme démocratie, c'est l'affranchissement de la représentativité et donc un « peuple » qui prend directement les décisions, sans intermédiaire. L'expression « peuple » n'est pas à comprendre comme « à chaque décision, l'ensemble du peuple donne son avis sur chaque question », ce qui exclu d'office les réferendums d'initiatives populaires comme arme principale de la démocratie (et ce qui fait que je ne considère pas la Suisse comme un exemple de démocratie directe, même si son histoire et ses spécificités font que cet outil marche pas trop mal semblerait-il).
L'idée est de dire qu'avoir des politiciens élus ne présente aucun avantage mais beaucoup de désavantage aujourd'hui dans la prise de décision par rapport à faire participer directement un certain nombres de personnes issus du peuple. Les deux ne sont pas incompatibles et cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir besoin dans certains domaines d'élus, voire même de politiciens de métier en dehors de l'élection (dans le système de Bouricius, il y a des politiciens de métier par exemple).
Maintenant, je considère (et je crois que est assez parlant) que les politiciens élus ne sont pas des experts. Cela se vérifie par le fait qu'ils ont tous des conseillers et de vrais experts qui vont établir des rapports et les aiguiller. De ce point de vue, et par rapport à mes multiples messages avant, je considère l'expert comme indispensable et central dans le processus d'objectivisation et de rationalisation de la décision…
… Mais pas que. Le fait est que de multiples experts arrivent à des conclusions différentes montrent en premier lieu qu'il y a des choix arbitraires qui sont faits ou un manque d'information. Je suis donc plus en faveur non pas de débats en Assemblée par des politiciens mais par les experts directement (ou en complément, puisque ceux-ci ont de même leur utilité ; on peut même imaginé un renversement des rôles : le politicien et juriste sert l'expert)…
… Et ensuite, considérant qu'avoir en dernier lieu un politicien élu qui prend la décision présentent beaucoup de désavantages, je suis en faveur d'avoir, sous modalités, directement des citoyens non-élus mais représentatifs, pour accepter une décision parmi les décisions de compromis issus des débats et travaux d'experts : le travail d'objectivisation ayant normalement permis de faire émerger des solutions plus intéressantes que si chaque expert travaille dans son coin et d'écarter les solutions non-pertinentes (par biais idéologique ou simplement par une erreur / manque d'expertise – peu importe la raison).
Ce système a déjà été testé. Par exemple, en Irelande, pour l'écriture de la nouvelle Constitution, un conseil formé de 100 personnes, 33 politiciens élus et 66 citoyens tirés au sort, a guidé le processus d'écriture. C'était certes un conseil consultatif, contrairement à l'expérience islandaise, mais il a eu de très bons impacts. Notamment, et sans considération sur le choix fait par la société irelandaise, c'est ce conseil qui a statué sur une révision du mrriage homoxesuel. Dans ses délibération, il a statué qu'étant donné l'évolution de la société, il serait intéressant de revenir sur la définition du mariage civil mais que, s'agissant d'un choix de société, il était préférable pour l'acceptation d'une telle réforme, de la soumettre à l'ensemble de la société par referendum. On a tous vu aux média que le peuple irelandais à dit oui, on a moins dit que l'initiative venait d'un conseil majoritairement populaire.
Ce conseil a également changé des modalités du système électoral irelandais, notamment augmenter la taille minimum des circonscriptions électorales afin que chaque comté dispose d'au moins 5 représentants à la chambre basse (l'équivalent de l'Assemblée Nationale), et le changement des modalités d'élection des députés (proportionelle partielle vers vote unique transférable).
EDIT:
Politique monétariste ? Je ne savais pas que la BCE suivait la règle des k-pourcents de Friedman et contrôlait la masse monétaire… J'étais persuadé qu'elle avait un objectif de ciblage de l'inflation via les taux d’intérêt !
La politique monétariste ne se définit pas par les outils qu'elle emploie mais par les objectifs qu'elle se fixe. La règle des k-pourcents est toujours appliquée en réalité, mais comme barrière : la BCE considère que dépasser 4.5% de création monétaire impliquerait une inflation supérieure à 2%. Ce qu'elle va donc chercher à éviter. La contrôle de l'inflation par le taux d'intérêt est juste un actualisation des outils monétaristes : contrôle les taux d'intérêt permet de contrôler la masse monétaire ce qui permet de contrôler l'inflation.
Je dis actualisation car en 1960, lorsque Friedman énonce la règle des k-pourcents, on n'a pas une création monétaire pratiquement uniquement faite par les banques privées, pas la fin de Bretton Woods, et surtout on a pas +95% de masse monnaie en compte à vue, et titres liquides. Le contrôle par les taux d'intérêt est juste une extension permettant de prendre en compte les changements opérés depuis les années 70.