Ce n’est pas le parlementaire lui-même que l’on veut protéger mais d’autres intérêts. De manière traditionnelle, les immunités parlementaires se déclinent en irresponsabilité, d’une part, et inviolabilité (s’applique à tous les actes non couverts par l’irresponsabilité parlementaire), d’autre part.
Contrairement à ce que l’on pense généralement, le plus problématique n’est pas l’inviolabilité (il y a déjà eu des cas de levée d’immunité, assez nombreux, ce qui est le cas de MLP en raison de l’accusation et de fait, de la procédure de levée d’immunité) mais l’irresponsabilité. C’est ce qui pose aujourd’hui le plus pépin où on a parfois des députés qui disent ou font des choses abjectes, choquantes, voir illégales dans l’exercice de leur fonction et c’est problématique quand un citoyen veut se défendre (cf. l’affaire britannique ci-dessous).
L’irresponsabilité parlementaire empêche le parlementaire d’être poursuivi ou recherché à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions1. Elle s’applique aux opinions et aux votes que les élus expriment dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires, il convient donc que l’acte soit une opinion (ou un vote), peu importe qu’elle soit exprimée oralement ou par écrit, voire par des gestes. En revanche, les actes de violence, tels les coups et blessures, ne bénéficient d’aucune protection constitutionnelle.
Elle a été conçue pour protéger la liberté d’expression des élus de la Nation. Puisqu’originellement on considère que c’est la Nation elle-même qui s’exprime à travers les opinions de ses représentants. Autrement dit, une une telle protection se justifie parce que, lorsqu’un parlementaire s’exprime dans le cadre de ses fonctions, il représente le peuple. C’est le peuple qui s’exprime à travers lui. C’est la raison pour laquelle l’irresponsabilité parlementaire jouit d’une forte légitimité historique. Elle a d’ailleurs des racines qui remontent au Bill of Rights britannique de 1689.
La règle de l’irresponsabilité parlementaire est tenue pour inhérente au système parlementaire lui-même. Comme l’écrit le procureur général Hayoit de Termicourt en Belgique, « le Congrès national a considéré la nécessité de pareille disposition comme si évidente qu’il a jugé superflu de la justifier ».
Mais il ne s’agit pas que d’une protection contre un interventionnisme du pouvoir judiciaire mais aussi de la protection de l’opposition face au pouvoir exécutif, et donc au(x) parti(s) qui gouverne(nt) par le moyen du ministère public.
Petit extrait doctrinal :
« Voilà apparemment un étonnant privilège : celui de faire le mal avec impunité. Mais où commence le mal et où finit le bien et, surtout, qui en jugera ? C’est ici que se dessine le danger. On redoute la pression qu’exercerait le gouvernement par l’intermédiaire des ministères publics sur les membres de l’opposition. Trop facilement on considère une critique comme une calomnie et une opposition comme une injure. Il faut que l’exercice de la fonction parlementaire soit absolument libre ».
Après, ouais, ça pose des questions…
Dans l’arrêt A c. Royaume-Uni du 17 décembre 2002, la CEDH avait à connaître d’une requête introduite par une ressortissante britannique qui avait été citée, de manière injurieuse et diffamatoire, dans un discours tenu à la Chambre des communes par un député de sa circonscription. L’immunité dont jouissent les parlementaires britanniques ne lui avait pas permis de mettre en cause la responsabilité du député devant les tribunaux. La requérante voit dans le caractère absolu de l’immunité qui a protégé les propos tenus à son sujet une violation de son droit d’accès à un tribunal garanti par l’art 6 §1 CEDH.
La Cour commence par rappeler que l’immunité en question, si elle est une limitation du droit à un tribunal, n’en poursuit pas moins des buts légitimes : « la protection de la liberté d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire » (§77). Est-elle pour autant proportionnée ? Selon la Cour, qui s’en tient ici à sa jurisprudence antérieure, « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts » (§79).
Par ailleurs, « dans une démocratie, le Parlement ou les organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique », de telle sorte qu’« une ingérence dans la liberté d’expression exercée dans le cadre de ces organes ne saurait donc se justifier que par des motifs impérieux ». Et la Cour d’ajouter « qu’une règle de l’immunité parlementaire qui rejoint et reflète des règles généralement reconnues au sein des Etats signataires, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne ne saurait, en principe, être considérée comme imposant une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’art 6 §1 » (§83).
Par conséquent, « l’application d’une règle consacrant une immunité parlementaire absolue ne saurait être considérée comme excédant la marge d’appréciation dont jouissent les Etats pour limiter le droit d’accès d’une personne à un tribunal » (§87).
Dans une opinion concordante, le juge Jean-Paul Costa se demande si l’évolution des rapports entre les Parlements et le monde extérieur n’impose pas aujourd’hui d’aménager ce principe « sacro-saint » de l’irresponsabilité parlementaire : « Il ne s’agit plus, seulement ou principalement, de protéger leurs membres contre le souverain ou l’exécutif. Il s’agit aussi d’affirmer l’entière liberté d’expression des parlementaires mais, peut-être, de la concilier avec d’autres droits et libertés respectables ».
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Ainsi, la Cour de cassation française, dans un arrêt du 7 mars 1988, a jugé que n’étaient pas couverts par l’irresponsabilité parlementaire, des propos tenus à la radio par un membre de l’Assemblée nationale relativement à une décision de justice condamnant un responsable politique de Nouvelle-Calédonie du chef d’atteinte à l’intégrité du territoire. ↩