- Autres entités de la Terre du Milieu et d'autres lieux
- Le noir parler : une langue pour les gouverner tous
Les Nains sont souvent mis à l’honneur chez Tolkien : qu’il s’agisse de son Seigneur des Anneaux ou du Hobbit, il n’est pas rare d’en croiser un ou deux ― voire treize .
Nous allons donc décrire l’histoire et les caractéristiques de la langue naine, avant de nous intéresser au travail de Tolkien et de ses successeurs.
Ifridî !
Il est extrêmement conseillé d’avoir lu le chapitre sur les écritures runiques avant de commencer celui-ci.
- Généralités linguistiques
- Le khuzdul de Tolkien
- Place au(x) néo-khuzdul(s) !
- Pour aller plus loin (et sources)
Généralités linguistiques
L’existence du langage nain, appelé khuzdul ("khouzdoul" avec un h aspiré, /khuzdul/) ou khuzdûl, remonte au Premier Âge, lorsque le Vala forgeron, Aulë, crée les Nains : les instruisant, il confectionna cette langue pour eux. Depuis, les Nains conservent précieusement cette langue comme un don divin : pour cette raison, le khuzdul parlé a peu évolué depuis l’enseignement d’Aulë.
On peut soupçonner que cette langue ait, lors de sa création, subi des influences de la part du valarin, la langue maternelle d’Aulë, mais la faible densité des corpus de khuzdul et de valarin nous empêche de confirmer cette hypothèse.
Pour plus de détails sur la création des Nains, voyez la vidéo ci-dessous :
En présence d’étrangers, par élitisme et par défiance, les Nains se refusent à parler le khuzdul, préférant plutôt parler la langue de leur interlocuteur : ils vont même jusqu’à porter des noms d’autres races pour que leur vrai nom soit tenu secret1. Ainsi donc, le khuzdul n’a pu être appris que par un nombre très limité d’étrangers, comme les Elfes Curufin et Pengolodh. Et donc, de facto, les échanges et emprunts avec d’autres langues ont été réduits, quoique réels : le khuzdul a influencé la langue de la maison de Hador, avec qui les Nains ont lié une amitié longue et profitable, cette influence se retrouve dans les sonorités l’adûnaic, langue de Númenor.
Du fait de cette conservation linguistique (trop ?) minutieuse, le khuzdul est devenu une langue savante durant le Troisième Âge, surtout utilisée pour les savoirs spécialisés et la communication entre peuples nains, ainsi qu’à quelques autres occasions (cris de guerre, etc.).
Le khuzdul s’écrit en runes, en Angerthas Moria et/ou Erebor. Une langue des signes, l’iglishmêk, a également été mise au point, afin de communiquer discrètement entre Nains. Elle est cependant beaucoup plus variable que la langue orale, les signes de l’iglishmêk différant selon les peuples nains et les époques.
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Ainsi donc, Gimli ne s’appelle pas vraiment Gimli, ni Balin, Balin, etc. En fait, seuls les Nains bannis, appelés Petits-Nains, s’autorisent à révéler leurs vrais noms.
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Le khuzdul de Tolkien
Pour confectionner le khuzdul, Tolkien s’est beaucoup inspiré des langues sémitiques (arabe, hébreu, etc.), sous bien des rapports. Au-delà des simples similarités civilisationnelles entre Nains et peuples sémitiques1, les sons utilisés sont assez indicateurs de cette ressemblance.
Autre ressemblance entre khuzdul et langues sémitiques, c’est l’utilisation de racines consonantiques pour former les mots. En fait, chaque concept est désigné par un groupe de consonnes, appelé racine : ces racines regroupent le plus souvent 3 consonnes (comme les langues sémitiques), appelées alors racines trilittères. Par exemple, la racine F-L-K désigne le fait de creuser et tout ce qui s’y rapporte, B-R-K les haches, Kh-Z-D tout ce qui a rapport aux nains2. C’est ensuite en intercalant des voyelles entre ces consonnes que l’on obtient des mots avec un sens précis : ainsi, « felak » (schéma 1E2A3 : la première consonne est suivie par un E, la deuxième par un A) désigne la pioche, « khuzd » (1U23) le nain, « khazâd » (1a2â3), etc. À cela, on rajoute certains préfixes ou suffixes, comme le suffixe « -ul » qui indique la provenance, comme dans « Balin Fundinul » (Balin, [fils] de Fundin).
Et ça s’arrête là.
Quoi ? C’est tout ?
Oui et non. En faisant la somme de tous les mots khuzduls, on obtient un lexique d’une cinquantaine de mots, principalement composé de noms propres (personnes, toponymes, etc.). Vous pouvez donc consulter ledit lexique, légèrement différent selon les sites : lexique de Fauskanger, lexique de Åberg (traduit par le Tolkiendil <3), lexique des Chants de Fer, celui d’Eldamo, etc. Mis à part l’épitaphe de Balin, les seules phrases originales en khuzdul sont celles issues du cri de guerre lancé par Gimli à la bataille du Gouffre de Helm : « Baruk Khazâd ! Khazâd ai-mênu ! ».
Mais à partir de ce point, plus rien ne fait l’unanimité. C’est-à-dire que tous n’analysent pas les mots existants de la même manière, menant à des conclusions diamétralement opposées sur les règles du khuzdul. Dans le désordre, voici quelques références diverses et variées :
- En Français, par les Chroniques des Chants de Fer ;
- En Français, Åberg via le Tolkiendil (version plus complète mais anglophone) ;
- En Anglais, par Fauskanger ;
- En Anglais, sur Quasi-khuzdul ;
- En Anglais, sans source, sur Wikipédia.
Bref, on n’arrive à un tel niveau d’interprétation qu’il ne s’agit plus vraiment de khuzdul, selon des règles édictées par Tolkien lui-même, mais bien de néo-khuzdul ! Nous allons justement examiner ça plus en détail.
Vous pouvez apprendre, si vous le voulez, les mots khuzduls écrits par Tolkien sur ce cours Memrise. Ce ne sera pas très long .
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Comparez un instant l’exil des Nains d’Erebor avec celui des peuplades juives, l’intérêt que les Nains ont pour l’argent avec les caricatures de Juifs, le fait qu’un seul Dieu prenne soin quasi-exclusivement d’un seul peuple. Pour prendre un aveu de la plume même de Tolkien : les Nains et les Juifs sont tous deux « à la fois natifs et étrangers à leurs lieux de résidence, parlant les langues du pays, mais avec un accent dû à leur propre langue » (Lettre 176, source).
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La racine Kh-Z-D se rapporte aussi au chiffre 7, car les Nains sont tous nés de 7 pères, crées par le Vala Aulë.
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Place au(x) néo-khuzdul(s) !
Pas question, bien sûr, de faire ici la liste exhaustive de tous les néo-khuzduls inventés, mais je tâcherai de détailler un peu chaque version, en donnant des liens d’approfondissement.
Néo-khuzdul de David Salo : le plus connu
Le travail de David Salo sur le khuzdul est considérable, car c’est grâce à lui qu’ont vu le jour toutes les phrases et inscriptions naines des films de Peter Jackson : Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit. C’est de fait l’un des néo-khuzduls les plus répandus et étudiés actuellement. Les sources sont assez diverses, mais la plus précieuse est Miðgarðsmál, le blog de David Salo lui-même, qui n’est plus tenu à jour mais comporte un certain nombre d’éléments primordiaux ; certaines analyses ont été publiées également sur Elvish.org et Les Chroniques du Chant de Fer.
Phonologie
Commençant par le commencement, Salo a repris le corpus de khuzdul déjà existant, et en a déduit les sons possibles en khuzdul :
- Voyelles : a (et â), e (et ê), i (et î), o, u (et û) ;
- Consonnes : b, d, g, t, th, k, kh, ʔ, f, s, ʃ, z, h, m, n, l, r.
Son choix a été de se limiter volontairement à ses sons, et de ne pas prendre tous ceux indiqués dans l’Angerthas Moria, qu’il considère comme un simple remaniement des runes elfiques. En fait, il n’a ajouté que le coup de glotte (ʔ), absolument caractéristique du khuzdul.
Cette démarche pourra vous paraître être un détail, mais elle a pu révéler quelques points étonnants. Deux exemples : la voyelle « o » n’est utilisée qu’une seule fois dans tout le corpus, et sa version longue (« ô ») n’est pas du tout utilisée ; le son « p » n’est jamais utilisé, phénomène que Salo a expliqué par la suite.
Schémas et déclinaisons ?
Connaissant l’architecture des mots (décrite ici), basés sur les racines consonantiques, David Salo a pu extraire un certain nombre de racines, ainsi que de schémas d’organisation. Par exemple :
Racine\Schéma | 1u23 | 1a2â3 |
---|---|---|
Kh-Z-D | khuzd (Nain) | khazâd (Nains) |
R-Kh-S | rukhs (Orc) | rakhâs (Orcs) |
Autre exemple, avec plus de racines et de schémas :
Mot khuzdul | Signification du mot | Racine | Signification de la racine | Schéma | Signification du schéma |
---|---|---|---|---|---|
Aglâb | Langage | G-L-B | Parler | a12â3 | Action ou abstraction |
Felak | Outil à tailler la pierre | F-L-K | Taille de pierre | 1e2a3 | Outil ou instrument |
Mazarb | Archive, enregistrement | Z-R-B | Écrit | ma1a23 | Participe passé |
Uzbad | Seigneur | Z-B-D | Fait de gouverner | u12a3 | Agent |
Khizdîn | Habitation des Nains (?) | Kh-Z-D | Nain | 1i23în | Endroit (de, appartenant à) |
Le travail d’extraction a quelquefois été plus compliqué, car les configurations étaient quelquefois compliquées. Par exemple, les mots « baraz » (rouge) et « narag » (noir) semble avoir le même schéma 1a2a3 : chouette ! Ce doit être un schéma propre aux adjectifs, et peut-être spécifiquement à ceux qui désignent une couleur . Mais, non : « zahar » (excavation) présente le même schéma, sans pour autant être un adjectif. Et ainsi de suite, notamment pour les préfixes, généralement peu représentés dans le corpus existant, etc.
Je n’ai rien trouvé concernant de possibles déclinaisons, si ce ne sont quelques flexions, par-ci par-là.
Tout d’abord, le suffixe « -ul » indique la provenance ou l’appartenance, comme nous l’avons déjà dit (« Fundinul », de Fundin ; « Khuzdul », du Nain).
Attends, dans l’épitaphe de ce même Balin, on lit « Uzbad Khazaddûmu » (Seigneur de Khazad-dûm) : le suffixe est alors « -u », pas « -ul » …
Absolument, tout comme on observe ce même suffixe dans « Khazâd ai-mênu » (Les Nains sont sur vous) ! En fait, le suffixe « -u » marque ce qui subit l’action : Khazad-dûm est gouverné, donc Khazaddûmu ; dans le cri de guerre, les interpelés subissent l’assaut des nains, donc « mênu », etc.
Mais ce sont les seuls marqueurs flexionnels que j’ai pu trouver ― il y a quelques doutes sur certaines formulations, comme « Baruk Khazâd » (Les haches des Nains), où l’on se demande si la possession est sous-entendue ou si elle est marquée par le schéma 1a2u3, mais Salo ne semble pas avoir fait grand cas de ce doute.
Il existe enfin un marqueur de l’accusatif défini (c’est-à-dire quand le COD a déjà été mentionné auparavant), mais je vous laisse consulter l’article de Salo sur la question, si ça vous intéresse.
Verbes et conjugaisons
À nouveau, les langues sémitiques ont servi de source d’inspiration pour David Salo, et particulièrement l’arabe. En effet, les verbes sont formés à partir d’une racine, et le mode de conjugaison détermine la nuance du verbe. Salo prend l’exemple suivant (parfaitement adaptable en français) : les mots « concevoir », « décevoir », « recevoir », etc. viennent d’une même racine et ont des significations et nuances différentes, simplement en raison de leurs préfixes. Là, c’est à peu près la même chose.
Dans la pratique, notre linguiste a repris la distinction entre parfait et imparfait : ce sont deux modes de conjugaison qui ont des significations différentes. Le parfait est utilisé pour décrire quelque chose de toujours vrai, c’est-à-dire un fait passé, une vérité générale, ou un futur certain (la Lune se lève chaque nuit, le Soleil se lèvera demain, etc.). L'imparfait désigne quelque chose de visible, d’immédiat, quelque chose que l’on a quasiment en face de soi : c’est un temps parfait, par exemple, pour décrire un combat dans le passé (Gimli abattit sa hache sur le cou de l’Orc) ou une action en train de se dérouler (Je suis en train d’écrire).
Tout comme en Arabe, l’imparfait est un temps plus complexe que le parfait (avec des suffixes, des préfixes, etc.), comme vous pouvez le constater :
Personne/Nombre | Singulier | Pluriel |
---|---|---|
1ère | zarabmi | zarabmâ |
2ème masculine | zarabsu | zarabsun |
2ème féminine | zarabsi | zarabsin |
3ème masculine | zaraba | zarabôn |
3ème féminine | zarabai | zarabên |
Personne/Nombre | Singulier | Pluriel |
---|---|---|
1ère | azrabi | mazrabi |
2ème masculine | sazrabi | sazrabîn |
2ème féminine | sazrabiya | sazrabiyan |
3ème masculine | tazrabi | tazrabîn |
3ème féminine | tazrabiya | tazrabiyan |
Petite remarque avant de passer à la suite : la distinction féminin/masculin existe également en arabe pour les 2ème et 3ème personnes. En khuzdul, le masculin est le genre par défaut, dans le sens où il contient également le genre neutre.
Création de lexique
Dis-moi, depuis le début du chapitre, tu n’arrêtes pas de nous parler d’inspirations sémitiques, et les runes sont elles-mêmes très semblables à celles nordiques… Ça fait beaucoup de choses pompées du monde réel ça, non ?
Eh bien… Oui. Mais Tolkien ne s’est jamais défendu de faire beaucoup de liens entre le monde réel et le sien : par exemple, le mot « Smaug » vient du Proto-Germanique, « Sméagol » de l’Anglo-Saxon, etc. C’est une sorte de private joke, surtout accessible aux initiés.
L’existence de ces références a poussé David Salo à ne pas chercher une langue pure de toute influence réelle, mais plutôt de prendre conscience de ces inévitables influences pour les assumer (ou les refuser), en restant dans la lignée de celles utilisées par Tolkien lui-même : d’où l’utilisation assez intensive des langues sémitiques pour ébaucher les règles du khuzdul.
Bien sûr, au-delà de cette perméabilité entre monde réel et Terre du Milieu, il y a aussi de nombreux échanges entre langages de ladite Terre du Milieu, quoique limités par le conservatisme linguistique des Nains. Ainsi donc, Salo s’est inspiré du mot elfique « pendi » pour créer la racine désignant les elfes : F-N-D (le « p » n’existant pas).
Sur le processus de création lui-même
Il faut que vous reteniez quelque chose en plus de toutes ces informations : l’ambition de David Salo n’a pas été de reconstituer un langage tout à fait fonctionnel, de faire une merveille d’architecture linguistique et un système parfaitement rodé. En fait, son travail s’est surtout fait sur le tas, avec peu de temps pour traduire des textes en anglais, et beaucoup de temps entre chaque demande de traduction, ce qui l’a mené à devoir réviser plusieurs fois son khuzdul, à abandonner/oublier certains mots, etc.
Inévitablement, certaines erreurs et contradictions ont pu être commises par rapport au corpus original de khuzdul tolkiennien, mais Salo est toujours retombé sur ses pattes, quitte à corriger deux-trois détails.
Mais, quelque part, c’est un peu ça, l’histoire d’une vraie langue : beaucoup de contradictions, d’oublis, des erreurs qui deviennent des normes, etc. Ainsi donc, ce travail chaotique, sous certains rapports, rend le khuzdul d’autant plus réaliste.
Pour finir : Glossaire
Le blog de Salo présente une page de glossaire, où il regroupe les mots qu’il a mentionnés dans ses billets (je ne sais pas s’ils sont tous là, je n’ai pas vérifié). Mais vous pouvez examiner les phrases qu’il a rédigées, et l’analyse qu’il en fait sur les pages suivantes :
- https://midgardsmal.com/durins-song-verbs/
- https://midgardsmal.com/questions-and-answers/
- https://midgardsmal.com/further-dwarvish/
- https://midgardsmal.com/continuing-dwarvish/
- https://midgardsmal.com/dwarvish-4/
- https://midgardsmal.com/dwarvish-5/
- https://midgardsmal.com/dwarvish-7/
- https://midgardsmal.com/dwarvish-8/
- Il vous apprend même à souhaiter bon anniversaire en khuzdul : https://midgardsmal.com/til-hamingju-med-afmaelit/ !
Il existe aussi quelques retranscriptions des chansons en néo-Khuzudl utilisées dans les films du Seigneur des Anneaux : Le Pont de Khazad-dûm et Les Fondations de la Pierre (avec une traduction, semble-t-il).
Néo-khuzdul de Dwarrow Scholar : le plus poussé
Je vous parlais il y a quelques lignes d’une « merveille d’architecture linguistique », que Salo n’avait pour projet de mettre en œuvre : c’est en fait l’un des meilleurs qualificatifs que l’on pourrait trouver pour le travail de Dwarrow Scholar.
En fait, Dwarrow Scholar (Roy de son vrai nom) est un fanatique des Nains, que ce soit ceux de l’univers de Tolkien, de les contes germaniques, etc. Il s’est donc ingénié à inventer de nombreuses choses à propos des petits êtres des cavernes, notamment une culture, des pratiques sociales et… une langue.
Mais cette langue, attention, n’est pas à opposer à celle de David Salo : en effet, Dwarrow Scholar a repris les résultats du travail de Salo et les a intégrés au modèle plus large qu’il a construit. Cela ne l’a pas empêché, bien sûr, de critiquer un peu le néo-khuzdul de Salo, qu’il trouve un peu trop elfique, mais bon …
Tout ce que nous avons dit supra est donc toujours valable pour le néo-khuzdul de Dwarrow Scholar.
Avant de décrire brièvement les apports du travail acharné de Dwarrow Scholar, je précise que je n’aborderai que des points très généraux ― les plus importants selon moi ― et que la totalité des cours qu’il a publiés se trouve ici (en anglais). Notez cependant que les cours, quoique numérotés dans un ordre précis, ne me semblent pas correctement ordonnés pour apprendre la langue (par exemple, je mentionnerai en premier le cours n°26).
Phonologie, alphabet(s), prononciation
Reprenant les travaux de David Salo, Dwarrow Scholar a mis au point non pas un, mais trois alphabets, différant selon le lieu d’utilisation (dans la Moria et Erebor, on n’utilise pas les mêmes lettres), modifiant également la prononciation des lettres (r roulé ou pas ?) selon le lieu d’origine.
En plus de cela, il ajoute quelques indications phonétiques sur les sons /ʌ/ et /ə/ (respectivement cours 12 et 13), dont on avait du mal à voir l’utilité jusque là : Tolkien les avait dits fréquents, mais on ne les rencontre quasiment jamais dans son corpus, etc.
Ajoutons, bien sûr, les mécanismes de doublage de consonnes, de crase (contraction), d’élision (autre contraction), les ajouts euphoniques, ainsi que la façon d'emprunter des mots étrangers et de les transposer en Khuzdul (comment dire "Oxford" en Khuzdul ?).
Enfin, n’oubliez pas ― ce serait bête ― qu’il précise la manière d'accentuer les mots : sur quelle syllabe il faut insister, etc.
Racines, schémas et déclinaisons
Fort de ces éléments, il est alors possible de créer de nouvelles racines (répertoriées dans un index) : vous serez donc ravis d’apprendre que le concept de rose correspond au radical L-S-L et la bière à G-R-G .
Les deux font la paire, il a également mis au point plusieurs schémas, certains propres à quelques dialectes nains, d’autres communs. Je note cependant que le document publié ne concerne que les racines à 2 ou 3 lettres (alors que certaines langues réelles, comme l’Hébreu, vont jusqu’à des radicaux de 5 lettres).
Concernant les flexions du nom, on a quelque chose qui ressemble de très loin à une déclinaison, avec 4 états.
- L'état absolu, un nom sans article.
- L'état construit, marqué par le suffixe « -u », dont nous avons déjà parlé : il marque la possession. D’ailleurs, un autre document détaille l’état construit, pas toujours facile à formuler.
- L'état emphatique, qui met en avant le nom dans cet état (il est détaillé sur ce document). Si vous y prêtez attention, vous remarquerez qu’il s’agit du préfixe correspondant à l’accusatif défini de David Salo : c’est au moins une différence entre nos deux compères, qui li attribuent une valeur différente.
- L'état vocatif est utilisé lorsque l’on appelle quelqu’un : cet état est marqué par le préfixe/mot « Yâh », généralement traduit par « Ô ».
Enfin, Dwarrow Scholar a résolu le conflit entre les divers suffixes marquant la possession (« -u », « -ul », mais aussi « -im- »), éclaircissant de fait notre discussion ci-dessus à propos de l’épitaphe de Balin .
Verbes et conjugaison
Comme chez Salo, on retrouve le parfait et l’imparfait, auxquels Dwarrow Scholar rajoute l’impératif et le jussif (correspondant à un conseil, une demande), l’infinitif et le subjonctif (très semblable au jussif, mais plus littéraire), ainsi que les participes présents et futurs et le gérondif.
L’essentiel des conjugaisons est résumé dans un document de synthèse, les types et sous-types de verbes étant précisés dans un autre.
Enfin, il y a quelques spécificités à propos des verbes être et avoir, mais rien de bien méchant.
Tous ces ajouts (en plus d’autres que je ne mentionnerai même pas) permettent de produire des énoncés beaucoup plus nuancés que ne le permettait le néo-Khzudul de David Salo, généralement réservé à de courtes phrases ou de petits textes. Il devient possible d’exprimer l’incertitude, le devoir, l’impossibilité, et de nombreux autres concepts quelquefois plus fins.
D’autres choses encore…
Des adverbes, des adjectifs, des conjonctions, des interjections, etc. De quoi faire un langage utilisable pour la vie courante ! C’est justement l’objet de son dernier document, qui décrit des dizaines de phrases courantes. Vous pourrez également vous intéresser aux formules de politesse, aux expressions, voire mieux : aux insultes . Il y a en une qui a particulièrement ma préférence : « Fanâd duzdnu targ usganul mi mê » (Les Elfes ont une plus longue barbe que toi) :3 .
Vous pouvez trouver toutes ces précieuses ressources sur une page dédiée, des cours bien léchées sur YouTube (épisodes 1, 2 et 3 publiés à ce jour), ainsi qu’un certain nombre de leçons sur Memrise.
Le blog de Dwarrow Scholar peut également vous réserver beaucoup de surprises, notamment l’article calculant la population naine au Troisième Âge, les conventions concernant les noms nains, etc. Bref, c’est comme une mine : il y a plein de trésors à en extraire !
C’est là que vous voyez qu’il faut (au moins) une vie pour parfaire une langue …
Quasi-khuzdul : le marginal
Après la cathédrale linguistique de Dwarrow Scholar, le travail de Quasi-khuzdul pourra vous sembler un peu léger : mais ne vous y trompez pas. En effet, si le Quasi-khuzdul est certes moins poussé que le néo-khuzdul que l’on vient de présenter, il est extrêmement minutieux, et analyse avec détail chaque parcelle du corpus de Tolkien pour en tirer les conclusions les plus foisonnantes. Ainsi donc, chaque choix est toujours justifié, avec des comparaisons avec les langues réelles (sémitiques) ou internes au monde de Tolkien (notamment l’Adûnaic) : ses constructions prennent alors une tout autre direction que les néo-khuzdul de Salo et de Dwarrow Scholar, mais une direction qui n’en est pas moins légitime.
Bref, c’est un travail d’érudit, mais n’hésitez pas à consulter son site, c’est très informatif et toujours intéressant ! J’ai cependant peur qu’il ne soit plus mis à jour.
Autres versions ?
Mis à part les interprétations différentes du khuzdul de Tolkien que j’ai indiquées dans la section précédente, je n’ai pas trouvé d’autres tentatives de reconstruction du khuzdul, si ce n’est un cours Memrise, issu d’une reconstruction de la communauté Lord of the Rings Online (MMORPG sur le Seigneur des Anneaux), qui a été "corrigé" par Dwarrow Scholar lui-même :3 .
Pour aller plus loin (et sources)
La première chose à faire pour approfondir ce sujet, c’est de suivre les liens que j’ai semés tout au long de chapitre . Vous pourrez apprendre beaucoup de nouvelles choses sur le khuzdul et les néo-khuzduls.
Cependant, j’ai deux liens à vous partager :
- En français, l’histoire du khuzdul en quelques lignes
- Les Chroniques des Chants de Fer, un site francophone portant sur les Nains de Tolkien. Vous aurez de nombreux détails sur la façon de vivre des Nains (la barbe, tout ça :D), de manière plus factuelle que celle de Dwarrow Scholar.
Cela a été un peu long, mais nous avons fait le tour du khuzdul et de ses successeurs . Notez cependant qu'aux dires de C. Hostetter, qui a vu un certain nombre d’écrits inédits de Tolkien, il reste encore certains éléments de khuzdul non-publiés !
Que diriez-vous de voir, dans le chapitre suivant, la langue de Sauron et des Orcs ?