Si les tengwar sont plus connus, les runes de la Terre du Milieu ne sont pas moins répandues : elles sont utilisées, elles aussi, pour écrire de nombreuses langues. Nous allons voir, comme pour les tengwar, l’évolution de cette écriture ; et, à nouveau, vous serez capable, à la fin, de lire des inscriptions de cet acabit :
Alors, prêts ?
Préfigurations des Angerthas
Fuþork
Les runes existent réellement : il s’agit, à la base, d’un alphabet utilisé pour écrire les langues nordiques (comme le norrois, ou l’anglo-saxon). De par sa carrière d’universitaire et son étude approfondie des langues germaniques, Tolkien a été souvent exposé à ce système d’écriture.
La première apparition des runes remonte à la carte de Thror (un nain) dans Le Hobbit, où plusieurs mots sont écrits en runes anglo-saxones (aussi appelées fuþork) :
Comme Le Hobbit semble n’avoir été rattaché à la Terre du Milieu que par la suite, la question se pose de savoir si de telles runes appartiennent vraiment au monde imaginaire de Tolkien ou non. Ce qui est sûr, cependant, c’est l’influence des langues germaniques sur les inventions de Tolkien − influence dont il ne s’est pas caché, d’ailleurs, puisqu’il a repris les runes réelles pour faire les siennes.
Si vous êtes curieux, un bref article compare les cartes médiévales à celle de Thror, non seulement au niveau de l’écriture, mais aussi du style graphique.
Les runes de Gondolin
Assez tôt dans la conception de son monde, Tolkien a mis en place un système de runes qu’il semble avoir abandonné par la suite1. Ce système d’écriture est si fugace que l’on n’en a quasiment aucune trace, si ce n’est une petite feuille, photocopiée par C. Tolkien :
Vous pouvez remarquer beaucoup de similarités (quoique pas beaucoup de correspondances exactes) avec les runes anglo-saxones.
L’épée dessinée en bas de l’alphabet est une épée trouvée dans Le Hobbit, originaire d’une cité elfique du continent englouti au Premier Âge : Gondolin. Cette épée est nommée Glamdring, et elle sera possédée par Gandalf, un illustre Maia, qui combattra avec durant la guerre de l’Anneau, au Troisième Âge.
Skirditaila
Dans certains brouillons de Tolkien (History of Middle-Earth, tome 7, p. 455), on peut retrouver la mention du/des skirditaila, système runique utilisé par des hommes, vraisemblablement au Premier Âge. Cependant, on n’a aucun document plus précis sur ces runes, qui ont apparemment été abandonnées par la suite.
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D’après Tolkien Gateway, dans la ré-écriture du Hobbit en 1960, Tolkien avait déjà abandonné l’idée des runes de Gondolin.
↩
Différents modes des runes
L’origine des runes est une question assez épineuse, puisque plusieurs versions semblent se contredire entre elles. Ce dont on peut être sûr, c’est que ce système d’écriture a été mis au point par les Elfes de la Terre du Milieu pour graver dans des matières solides, comme le métal, le bois ou la pierre ; on sait aussi que Daeron, ménestrel elfe du Premier Âge, va jouer un grand rôle dans la création/organisation des runes.
Runes primitives
Certaines sources, attestent d’un alphabet runique existant avant le travail de Daeron. Je ne m’étendrai pas beaucoup dessus, car les renseignements sont assez rares sur ce sujet, mais vous pouvez toujours trouver la table de correspondance sur Wikipédia. Notez bien que des sons très utilisés dans les langues elfiques, comme le /a/, ne figure pas dans cette table de correspondance.
Certhas Daeron
Les « Certhas Daeron » ("kerþas daéron", /kɛrθas daeron/) constituent le premier système de runes qui fait l’unanimité.
Table de correspondance
Certains suggèrent que cet alphabet a été inspirée des tengwar, et certains vont même jusqu’à faire une correspondance quasi-parfaite entre le mode générale des tengwar et les Certhas Daeron :
Comme vous voyez, une double boucle dans les tengwar correspond à un trait doublé, etc. Cela situe donc la mise au point de cet alphabet après que les Elfes venus d’Aman sont revenus en Terre du Milieu. Cependant certaines valeurs du tableau ci-dessus ne sont pas acceptées par tous. La table de correspondance la plus plausible (en recoupant mes sources) est donc la suivante :
Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
/t/ | /p/ | /k/ | /r/ | |||||||
/d/ | /b/ | /g/ | /r̥/ | |||||||
/θ/ | /f/ | /x/ | /l/ | |||||||
/ð/ | /v/ | /ɣ/ | /ɬ/ ou /l̥/ | |||||||
/ʍ/ | /n/ | /ŋ/ | /s/ | |||||||
/m/ | /mh/ ou /ṽ/ | /h/ | /sː/ (double s) | |||||||
/i/ ou /j/ | /u/ | /ɛ/ | /ɔ/ | |||||||
/uː/ | /ɛː/ | /ɔː/ | ||||||||
/w/ | /a/ | /œ/ | ||||||||
/y/ | /aː/ |
Un seul détail : le point médian (⋅) peut servir à marquer une séparation entre deux mots − c’est donc l’équivalent d’une espace. Je l’utiliserai de temps en temps pour que vous vous fassiez à cette notation.
Exercices
Comme les modes runiques sont plus nombreux que pour les tengwar, les exercices seront moins fournis que pour le chapitre précédent.
Alphabet latin → Runes
Transcrivez simplement les mots « Certhas Daeron » en runes.
Corrigé :
Runes à alphabet latin
Transcrivez les mots suivants :
« Elu sindacollo »
Il s’agit du nom du roi de Daeron, Elwë Gris-Manteau, à l’époque où ce dernier a inventé son système de runes.
Angerthas Eregion (ou Angerthas Daeron)
Les runes ont été perfectionnées par les Elfes de la région d’Eregion (royaume du Deuxième Âge, non loin du royaume nain de la Moria), et nommée « Angerthas Daeron » en l’honneur de Daeron : cependant, je préfère utiliser l’appellation « Angerthas Eregion », pour ne pas confondre ce mode avec les Certhas Daeron. Certains sons, spécifiques aux langues étrangères, ont été rajoutés dans ce mode.
Table de correspondance
La plupart des runes de Daeron − pour ne pas dire toutes − sont reprises à l’identique : les différences par rapport aux Certhas Daeron sont mises en gras.
Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
/t/ | /p/ | /k/ | /r/ | |||||||
/d/ | /b/ | /g/ | /r̥/ | |||||||
/θ/ | /f/ | /x/ | /l/ | |||||||
/ð/ | /v/ | /ɣ/ | /ɬ/ ou /l̥/ | |||||||
/ʍ/ | /n/ | /ŋ/ | /ndʒ/ | |||||||
/m/ | /mh ou /ṽ/ | ou | /s/ | /sː/ (double s) ou /z/ | ||||||
/tʃ/ | /ʃ/ | /kw/ | /xw/ | |||||||
/dʒ/ | /ʒ/ | /gw/ | /ɣw/ | |||||||
/ŋgw/ | /ŋw/ | /ŋg/ | ou | /nd/ | ||||||
/h/ | ||||||||||
/i/ ou /j/ | /u/ | /ɛ/ | /ɔ/ | |||||||
/uː/ | /ɛː/ | ou | /ɔː/ | |||||||
/w/ | /a/ | ou | /œ/ | |||||||
ou | /y/ | /aː/ |
Exercices
Alphabet latin → Angerthas Eregion
À nouveau, je vous demanderai simplement de transcrire « Angerthas Eregion » :
Corrigé :
Depuis les Angerthas Eregion
Solution :
« Daeron o Doriaþ », c’est-à-dire : Daeron de Doriath (la ville où il a vécu).
Pour les curieux, Doriath était une cité elfique du Premier Âge qui avait la particularité d’être cachée, tout comme les deux autres cités elfiques de Gondolin et de Nargothrond : elles sont tombées sous les coups de Noir Ennemi du Monde. La chute de Gondolin a été l’un des premiers récits de Tolkien sur la Terre du Milieu.
Angerthas Moria
Je vous l’ai dit ci-dessus (et ce n’était pas innocemment), Eregion se trouvait tout près du royaume nain de la Moria, avec lequel les Elfes avaient des relations commerciales : les Angerthas eurent donc tôt fait d’être adoptées par les Nains et réadaptées à la sauce de ces derniers. Cela a donc donné naissance à l’Angerthas Moria, utilisé en toutes circonstances par les Nains : pas seulement pour des surfaces dures et difficiles à graver, mais aussi sur du papier.
En fait, Tolkien a lui-même reconnu que les plus grands admirateurs et utilisateurs des runes de Daeron étaient les Nains et non pas les Elfes…
Table de correspondance
Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
/t/ | /p/ | /k/ | /dʒ/ | |||||||
/d/ | /b/ | /g/ | /ʒ/ | |||||||
/θ/ | /f/ | /x/ | /l/ | |||||||
/ð/ | /v/ | /ɣ/ | /ɬ/ ou /l̥/ | |||||||
/ʍ/ | /ʀ/ ou /ʁ/ | /n/ | /z/ | |||||||
/m/ | /mh/1 | /ʔ/ | /h/ | |||||||
/tʃ/ | /ʃ/ | /kw/ | /xw/ | |||||||
/dʒ/ | /ʒ/ | /gw/ | /ɣw/ | |||||||
/ŋgw/ | /ŋw/ | /nd/ | ou | /ndʒ/ | ||||||
/n/ | /s/ | /ŋ/ | /ŋg/ | |||||||
ou | /ə/ | ou | /ʌ/ | /h/ additif | Signe & | |||||
/i/ | /u/ | /e/ | /ɔ/ | |||||||
/j/ | /uː/ | /eː/ | ou | /ɔː/ | ||||||
/ç/ | /w/ | /a/ | ou | /œ/ | ||||||
ou | /y/ | /aː/ |
Exercices
Transcrire en Angerthas Moria
Je vous demanderai de transcrire le nom d’un lieu où s’est déroulée une grande bataille pour le Royaume de la Moria, opposant les Nains aux Orcs : « Azanulbizar » (« la vallée aux sombres ruisseaux » en khuzdul, la langue des Nains). La bataille s’est soldé par la victoire des Nains, mais non sans pertes.
Pour en savoir plussur la bataille d’Azanulbizar, je vous conseille la vidéo du Savoir des Anneaux sur Dain Pied-de-Fer. Elle nécessite quelques faibles connaissances préalables sur la Terre du Milieu, mais c’est tout.
Corrigé :
Déchiffrer l’Angerthas Moria
Bon, je vous avoue, je n’ai pas trop dû me fouler pour cet exemple-là, parce que c’est une image très connue du Seigneur des Anneaux, la tombe d’un nain dans la Moria − mais pas de n’importe quel nain ! C’est donc à vous de déchiffrer cette inscription tombale :
Solution :
Angerthas Erebor
L’Angerthas Erebor est simplement une version modifiée de l’Angerthas Moria, avec le temps et les migrations des Nains (peuple qui a vécu de nombreux exils). Mais, chose notable, cette version des runes est également utilisée par les Hommes, pour écrire leurs propres langages.
Table de correspondance
À nouveau, je vous ai mis en gras les différences par rapport au mode précédent.
Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | Rune | Son | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
/t/ | /p/ | /k/ | /g/ | |||||||
/d/ | /b/ | /g/ | /ɣ/ | |||||||
/θ/ | /f/ | /x/ | /l/ | |||||||
/ð/ | /v/ | /ɣ/ | - | |||||||
/ʍ/ | /r/, /ʀ/ ou /ʁ/ | /n/ | /ks/ | |||||||
/m/ | /mb/ | ou | /s/ | /z/ | ||||||
/tʃ/ | /ʃ/ | /kw/ | /xw/ | |||||||
/dʒ/ | /ʒ/ | /gw/ | /ɣw/ | |||||||
/ŋgw/ | /ŋw/ | /nd/ | ou | - | ||||||
/n/ | /h/ | /ŋ/ | /ŋg/ | |||||||
/ps/ | /ts/ | /h/ additif | Signe & | |||||||
/i/ | /u/ | /e/ | /ɔ/ | |||||||
/j/ | /w/ | /a/ | ou | /œ/ | ||||||
/ç/ | ou | /y/ | ou | /ə/ | ou | /ʌ/ |
Vous noterez l’absence de voyelles longues, remplacées par un trait en-dessous de la voyelle à prolonger (c’est ce qu’on appelle un macron souscrit − rangez vos blagues sur le président de la France). Donc, par exemple, le mot « Khazad-dûm », dont le u est long, s’écrit de la manière suivante :
Il y a le même système pour les longues consonnes (circonflexe au-dessus de la lettre concernée) et des signes numériques (un point en-dessous du signe concerné) : en effet, les runes ont aussi des valeurs numériques, dont la plupart nous sont inconnues. Mais cependant on connait les valeurs suivantes :
Enfin, dans le livre de Mazarbul (ouvrage de la Moria écrit en Angerthas Erebor), dont Tolkien a calligraphié quelques pages, il y a quelques signes/abréviations supplémentaires, mais ça ne semble être utilisé que dans des langues humaines. Pour les curieux, vous trouverez la transcription dudit livre ici et ici.
Exercices
Alphabet latin → Angerthas Erebor
Sans originalité, je vous demanderai de transcrire « Angerþas Erebor ».
Corrigé :
Déchiffrage d’Angerthas Erebor
Solution :
« Smaug mamarda », ce qui signifie « Smaug est mort » en néo-Khuzdul − ledit Smaug est un dragon qui a dévasté le royaume Nain d’Erebor pour s’approprier ses richesses (Le Hobbit traite de cette histoire).
Comment déterminer le mode utilisé ?
Concernant l’identification du mode, je n’ai pas d’astuce aussi efficace que pour les tengwar. Vous pouvez simplement chercher :
- un signe unique à un mode en particulier (ou deux) ;
- la langue de l’écrit (s’il vous est possible de la connaître) : s’il s’agit d’un écrit elfique, penchez pour les Certhas Daeron ou l’Angerthas Eregion ; s’il est Nain, prenez Angerthas Moria ou Erebor ; s’il est en Humain, il s’agit à coup sûr de l’Angerthas Erebor.
Vous noterez, dans tous les modes, l’absence totale de ponctuation.
Sources et pour aller plus loin
J’ai beaucoup utilisé les sites de Rogers Dylan, du Tolkien Estate, du TolkienGateway et, bien sûr, de Wikipédia (français et anglais).
Vous pouvez consulter :
- Avant toute autre chose Glǽmscribe, qui transcrit automatique votre texte en runes, avec le mode de votre choix. Ce n’est pas toujours exact à 100%, mais ça marche bien ;
- Un résumé lapidaire de ce que je viens d’expliquer : https://tolkienlanguagediscussion.blogspot.fr/2013/01/writing-with-dwarf-runes.html ;
- Un site en Allemand sur les runes : http://www.cirth.de/ ;
- Le livre WikiBooks sur les systèmes d’écriture chez Tolkien ;
- La liste de Mellanoth Daeron, qui reporte l’usage des runes fait par Tolkien.
Pour apprendre les runes via Memrise, je n’ai pas trouvé beaucoup de cours bien fichus, la plupart étant soit faux, soit partiels, soit mélangés (par exemple, ce cours et celui-ci sont des Angerthas Moria, et non des Angerthas Erebor comme ils le prétendent). Je ne peux vous recommander que celui-ci, qui semble être un Angerthas Moria pur.
Vous pouvez trouver des polices d’écriture de runes pour ordinateur sur : https://tolkienlanguagediscussion.blogspot.fr/2013/05/download-some-dwarvish-fonts.html ainsi que sur : https://dwarrowscholar.wordpress.com/2017/02/20/tds-dwarvish-a-free-new-font-to-make-writing-in-dwarvish-runes-easier/ .
Nous en avons fini avec les runes ! Les modes étaient plus nombreux que pour les tengwar, mais j’ai tâché de faire court et simple, afin de rendre ça digeste.