Loin d'Aman : le sindarin et le nandorin

Vu le nombre de références qu’il sera fait aux peuples et langues des Noldor et des Teleri, il est préférable de savoir qui sont ces deux peuples (par exemple, en ayant lu les deux derniers chapitres :-° )

Pour terminer ce tour d’horizon sur les langues elfiques, il est nécessaire de parler de ces peuplades elfes qui ont entamé le voyage vers Aman (à la différence de Avari) mais qui l’ont finalement abandonné, préférant s’installer en Beleriand, par exemple. Les langues de ces Elfes peuvent être réparties en deux troncs, que l’on va allègrement explorer dans ce chapitre !

Les langues et dialectes explorés lors de ce chapitre
Les langues et dialectes explorés lors de ce chapitre

Le sindarin : présentation, dialectes et développements

Un peu de contexte

Histoire externe

Contrairement au quenya ou au telerin, le sindarin a subi un développement pour le moins compliqué. Tolkien l’a initialement (c. 1917) pensé comme le langage des Ñoldor, qu’il imaginait être… des Gnomes (?!) : cette langue a été alors nommée « goldogrin ». Vers les années 1930, dans le traité linguistique des Étymologies, le nom « noldorin » sera préféré au premier. Enfin, vers les années 1950, les Ñoldor (maintenant des Elfes \o/) auront finalement pour langue le quenya, et l’ex-noldorin deviendra « sindarin ». Le lexique a lui aussi varié en conséquence de ces étapes, comme le montre l’étude des mots traduisant « et » en goldogrin/noldorin/sindarin…
Malgré ces revirements, le sindarin est considéré comme l’une des langues elfiques les plus importantes du legendarium de Tolkien, en raison de sa présence importante dans le Seigneur des Anneaux (le nom des lieux, le portail de la Moria, A Elbereth Gilthoniel, le linnod de Gilraen, etc.), de son importance en Terre du Milieu (cf. ci-après) et de la densité de son lexique. Enfin, le sindarin est l’une des langues qui a le plus frappé l’imagination du public tolkienophile : demandez à quelqu’un de vous saluer en "elfique", il y aura de grandes chances qu’il se fende d’un « Mae g’ovannen » (ou d’un « Je sais pas » :p ).

Pour finir sur les aspects externes de cette langue, on dit généralement que le gallois a beaucoup inspiré le sindarin, mais c’est également vrai pour d’autres langues germaniques, comme le norrois ou l'anglo-saxon.

Histoire interne

Les Sindar (Gris-Elfes) sont issus des Teleri et, avant leur séparation d’avec ces derniers, en constituaient la plus grande part. C’est en traversant le Beleriand que les Sindar ont posé leur baluchon (parce que leur roi est allé folâtrer avec sa bien-aimée), tandis que les autres Teleri ont continué leur route. Ce rapide portrait permet de comprendre pourquoi le sindarin appartient donc à la branche telerine des langues elfiques, et qu’il est le fruit d’un long développement, décrit depuis 3 chapitres et étudié ici plus en détail (anglais). D’aucuns parlent, à ces temps de débuts, de vieux sindarin, mais cette appellation n’est pas attestée de la plume de Tolkien1.
Le retour des Ñoldor en Terre du Milieu ne constitue aucunement un obstacle au développement de cette langue, puisque leur langue (le quenya) sera partiellement interdite à la suite de leurs méfaits : pour cette raison et pour d’autres, les Ñoldor exilés adopteront majoritairement le sindarin comme langue d’usage, qu’ils modifieront un peu à cause de leurs anciennes habitudes (déformations, emprunts, etc.).
Une autre influence extérieure est celle des Nains, dont la langue a laissé quelques marques dans le lexique sindarin, comme « heledh » (verre), issu de « kheled ».

À cette époque, c’est-à-dire durant le Premier Âge, on distingue usuellement 4 dialectes différents :

  • Le mithrimin est aussi appelé « Sindarin du Nord ». C’est le premier langage usité par les Ñoldor après leur retour d’Aman ― un mélange entre le quenya ñoldorin et ce dialecte donnera lieu au parler dit « fëanorien », du nom de celui qui guida les Ñoldor en Terre du Milieu. Ce dialecte est cependant éphémère, puisqu’il diminue d’influence sous les assauts de Morgoth, et semble trépasser lors de la submersion du Beleriand, à la fin du Premier Âge. Pour en savoir plus sur ce dialecte, vous pouvez lire le document de R. Derdzinski sur le sujet (en anglais) ou l’étude (un peu poussée) des caractéristiques linguistiques de ce dialecte (en français).
  • Le falathrin, est parlé sur la côte Ouest du continent. Contrairement au dialecte précédent, il survit à la submersion du Beleriand, mais reste marginal. Peut-être est-ce pour cela que nous avons peu de traces spécifiques de ce dialecte (quelques mots à peine).
  • Le gondolinien, conformément à son nom, est le dialecte en vigueur dans la cité cachée de Gondolin. Fondée par un Ñoldo, on y parlait originellement le quenya ñoldorin : mais la forte densité de Sindar au sein de cette cité ainsi que le rejet des méfaits des Ñoldor poussa à l’adoption du sindarin. Ainsi, les noms originellement quenya ont été sindarisés, comme le nom de même de Gondolin (le Roc chantant), mélange entre « Ondolindë » (quenya) et « Goglin » (forme sindarine possible, non attestée). Les noms des deux épées trouvées dans Le Hobbit, Glamdring (marteau à ennemis) et Orcrist (pourfendeuse d’Orcs). Vous vous rappelez sans doute que Tolkien a un temps associé un système de runes à ce dialecte ;) .
  • Enfin, le doriathrin est la langue parlée à Doriath. Cet endroit est la résidence de nombreux Sindar et, leur servant de refuge et de citadelle, il a développé des caractéristiques très conservatrices. L’autre caractéristique importante du doriathrin, c’est qu’originellement, il n’avait aucun lien avec le langage maintenant appelé sindarin. Ce n’est que tardivement que Tolkien a fait de cette langue un dialecte du sindarin (parmi d’autres), remaniement conceptuel qui a entraîné pas mal de changements.

Lors de l’effondrement du Beleriand, certains Sindar se réfugient en Aman, d’autres en Terre du Milieu, où ils importent leur langage, pour en faire l’une des langues dominantes en Terre du Milieu pour le Deuxième et Troisième Âge, au détriment des langues locales (cf. plus bas, avec le nandorin).

Pour finir, le sindarin a également été appris par les Hommes, et fréquemment utilisés par eux ― voir par exemple le récit de Dírhavel « Narn i-chîn Húrin » (les enfants de Húrin). Par la suite, au Deuxième Âge, il sera utilisé par à Númenor et dans les colonies númenoréennes, même après avoir été proscrit par le roi númenoréen Ar-Gimilzôr. Notamment pour ces raisons, il sera encore d’usage dans les Royaumes post-númenoréens (Arnor, Gondor) durant le Troisième Âge.

Ainsi donc, cette domination linguistique du sindarin, durant les trois premiers Âges, explique le grand nombre de noms propres sindarins, par exemple pour qualifier des lieux ou des personnes : Gondor, Mordor, Mithrandir, Cirith Ungol, Minas Tirith, Barad-Dûr, etc.

Phonologie et transcription

Le premier système d’écriture utilisé pour transcrire le sindarin a été le système runique de Daeron, mais les tengwar, inventés et importés par les Ñoldor, de sorte que ces derniers ont supplantés les runes. Cependant, les deux alphabets permettent de se faire une idée des sons employés en sindarin : c’est pourquoi je vous invite à consulter la table de correspondance du mode général en tengwar, ainsi que celles des deux premiers modes en runes.
Qu’observe-t-on ? Principalement, l’apparition de nouvelles consonnes : certaines consonnes faciles à prononcer ( /ð/ et /ʒ/), d’autres un peu moins faciles… comme ɬ, /r̥/, et /l̥/, réminiscences de la phonologie galloise. À noter la présence d'autres sons en ancien sindarin, comme le /ṽ/ ou le /ɣ/. Le coup de glotte (/ʔ/), quant à lui, n’est pas attesté en sindarin, et semble plutôt un import d’autres langues. Enfin, la voyelle /ɛ/ voit le jour :D .

La transcription du parler sindarin en alphabet latin pose quelques difficultés, en raison de tous ces sons étrangers, et il est fort prudent d’y jeter un coup d’œil attentif (ici, par exemple). Par exemple :

  • /ð/ est transcrit de diverses manières : « dh », « ðh » ou « ð » ;
  • La lettre f correspond au son /f/ que nous lui connaissons, sauf en fin de mot, où elle marque un /v/. De même, le digramme ph correspond au son /f/ ;
  • /x/ est écrit « ch » ;
  • La lettre u se lit /u/ ("ou"), bien entendu ;
  • Le digramme « ll » transcrit quelquefois le son ɬ, d’autres le son /lː/ (/l/ prolongé), selon la fantaisie de l’auteur… Sur ce sujet, lisez le billet de C. Hostetter (en anglais) ;
  • /r̥/ et /l̥/ sont notés respectivement « rh » et « lh » ;
  • Etc.

Les différents livres publiés par Christopher Tolkien (Le Silmarillion, par exemple <3) contient une annexe dédiée à ce thème, donc n’hésitez pas à la consulter si vous le pouvez.

Les mutations consonantiques : fuyez, pauvres fous !

Les mutations consonantiques sont un point important de la langue sindarine, car elles en sont une spécificité. Comme c’est un grand morceau, je n’expliquerai pas tout en détail, mais juste l’idée principale.

Les mutations consonantiques (sandhi en jargon technique), c’est la modification des consonnes d’un mot en fonction de son contexte. Ce que cela veut dire, c’est que, selon ce que l’on met avant ou après, un mot se prononce et s’écrit différemment. Pour donner un premier exemple, le mot « perian » (Hobbit, semi-Homme) deviendra « pherian » lorsque l’on appose un « i » devant : « i-pherian » (les semi-Hommes) 2. Comme vous le voyez, seule la consonne (p) en contact avec l’élément modificateur (i, en l’occurrence) est modifiée : le reste ne change pas. Le principe, c’est ça.

Le problème, c’est qu’il existe 3 à 5 types de mutations (voir ci-après), apparaissant à des occasions différentes :

  • La mutation douce (aussi dite « lénition »), apparaissant certaines prépositions (« ab », « ath »), adjectifs, C.O.D., etc. Dans une telle situation, on observe les correspondances suivantes :
Son de base Son résultant
/b/ /v/
/c/ /g/
/d/ /ð/
/f/ /f/
Et ainsi de suite pour les mutations douces…

Ainsi, on peut reconstruire « après la nuit » à partir des mots « ab » (après3) et « dú » (nuit) et de ce tableau : « ab-ðú ». Vous noterez que certaines lettres (comme le f) ne changent pas.

  • La mutation dure est attestée lorsque le mot suit la préposition « o » (originaire de, venant de) et suggérée pour d’autres prépositions. Le début du tableau :
Son de base Son résultant
/b/ /b/
/c/ /x/
/d/ /d/
/f/ /f/
Mutations dures d’après R. Derdzinksi
  • La mutation nasale apparaît après certains mots, comme « in » (les), généralement réduit en « i », ou « an ». L’exemple plus haut, avec « perian » illustre ce phénomène.
Son de base Son résultant
/b/ /m/
/c/ /x/
/d/ /n/
/f/ /f/
Mutation nasale
  • Deux autres mutations, liquide et mixte, sont attestées en noldorin (c’est-à-dire le "sindarin des années 1930"), telles que décrites dans le Parma Eldalamberon n° 13 et par D. Salo (voir 1.3.2 en anglais).

Bien sûr, toutes ces mutations ne sont pas encore vérifiées dans les écrits originaux de Tolkien et prêtent donc à débat… Enfin, vous commencez à connaître la chanson :D .
À noter que ces mutations sont assez fréquentes dans les langues celtiques, comme le gallois.

Éléments de grammaire

Noms

Les noms varient en nombre. Point.

Ce que cela veut d’abord dire, c’est que les noms n’ont pas de genre (ou en tous cas ne semble pas en avoir) : il n’y a donc apparemment pas de distinction masculin/féminin, etc.

Ce que cela veut dire, ensuite, c’est qu’il n’y a pas de déclinaison, puisque les noms ne varient pas en cas. La fonction d’un mot se manifeste en fonction de sa position par rapport aux autres mots : par exemple, on exprime la possession en juxtaposant deux mots (« Ennyn Durin », les portes de Durin). En complément de cela, on utilise aussi des prépositions pour détailler le type de relation : ainsi, « an » indique un C.O.I. (ce qui correspond au cas datif : « je donne le livre à mon ami »), « o » la provenance (« Celebrimbor o Eregion », Celebrimbor originaire d'Eregion), etc. Bien sûr, vous vous en doutez, c’est un peu plus compliqué que cela (il y a plusieurs moyens d’exprimer une même relation), mais vous pouvez en lire plus sur cet article (en français), qui est très bien fait. À noter que le doriathrin, même dans sa version tardive, dispose de certains cas, comme le génitif exprimé par une terminaison en « -a » : « Dagnir Glaurunga » (Fléau de Glaurung).

Ainsi donc, nous l’avons dit, les noms varient en nombre. Le sindarin dispose d’un singulier et d’un pluriel général et disposait, dans le passé, d’un duel (concerne les objets allant par paire : yeux, oreilles, chaussons, etc.).
Le pluriel général en sindarin est intéressant, car il ne consiste pas en l’apposition d’un suffixe (comme en français, où il suffit généralement d’ajouter un « -s » pour former le pluriel). Un peu comme dans certains mots en anglais, le pluriel est souvent marqué par un changement de voyelles. Par exemple, en anglais, « foot » (pied) a pour pluriel « feet » : là, c’est la même chose. « Adan » (homme) donne « Edain » au pluriel. Vous pouvez consulter le tableau (en anglais) décrivant la formation du pluriel : par exemple, quand la lettre « a » est dans la dernière syllabe, elle devient « ai » ; mais quand elle n’est pas dans la dernière syllabe, elle devient « e » ; ainsi de suite. Cela constitue un autre point commun avec les langues germaniques (gallois, norrois, etc.).
Certains mots n’obéissent cependant pas à cette règle, et marquent le pluriel par l’ajout d’une terminaison (en -i, généralement). Par exemple : « el » (étoile) devient « elin ». On dit que ces mots sont imparisyllabiques, et ils ont été davantage détaillés dans cet essai intéressant (en anglais). À noter que le doriathrin semble disposer exclusivement de cette manière de marquer le pluriel.
Il existe aussi d’autres manières de former le pluriel en sindarin, notamment le pluriel collectif, par les suffixes « -rim », « -ath » ou « -hoth ». Ce que cela signifie, c’est qu’un mot comportant l’une de ces terminaisons désigne un peuple, un ensemble de gens : par exemple, les « Rohirrim » (gens aux chevaux), peuple d’humains ; ou les « Balrogath» , monstres au service de Morgoth ; ou encore la cohorte des étoiles, « elenath ».
Pour approfondir davantage cette question du pluriel, consultez cette revue systématique ― certes un peu vieille et en anglais, mais qui a le mérite d’exister.

Verbes

Il est difficile d’avoir beaucoup de certitudes sur le sujet des déclinaisons en sindarin, car aucun document de Tolkien, expliquant spécifiquement ce point, n’a été publié à ce jour.

Ce qui semble à peu près légitime, cependant, de faire la distinction entre deux classes de verbes : les verbes simples, dérivant directement d’une racine (par exemple, « ped- », parler4) et les verbes complexes (par exemple, « adbed », reformuler, issu de « ad » et « ped »). Cette distinction se révèle utile pour la formation de certains temps, comme le passé simple, décrit ici dans une étude détaillée. Pour les verbes simples, il s’agit plutôt de modifier quelques voyelles et consonnes du verbe ― un peu comme pour le puriel : par exemple, « car » (fabriquer) devient « agor ». Pour les verbes complexes, on utilise plutôt la terminaison « -nt » : « teitha » (tracer) devient « teithant ».
Mais gardez à l’esprit que ce n’est pas si simple. Typiquement, un verbe peut avoir plusieurs formes au passé : « dag » (tuer) donne à l’envi « aðag » ou « aðanc », etc.

Il existe bien entendu des reconstructions des conjugaisons en sindarin, mais il faut être prudent avec. Il doit assurément exister certains écrits inédits de la main de Tolkien qui chambouleront notre conception, et il doit sans doute exister des irrégularités dans la conjugaison. Appliquer les reconstructions sans réfléchir reviendrait à écrire « chevals » parce que, c’est bien connu, « -s » est le marqueur du pluriel. Vous pouvez consulter (en anglais) :

Pronoms

Pour les pronoms, nous avons un peu moins de mal à reconstituer les choses.
Ce qui apparaît clairement, c’est que, comme en quenya, le pronom peut expliquer en tant que mot à part entière (« le » pour vouvoyer), ou en tant que suffixe à un verbe (« -l », toujours pour vouvoyer). Les pronoms détachés sont généralement utilisés pour insister sur leur signification, ou pour empêcher toute ambiguïté.
Par ailleurs, les pronoms non-détachés peuvent être quelquefois agglutinés à un autre mot, comme une préposition : « an » (pour) et « men » (nous) forment « ammen », comme le latin « cum » (avec) et « me » (moi) donne « mecum », l’espagnol « con » et « yo » « conmigo », etc.

Partant de ce principe, on peut discuter certains points, comme la présence du vouvoiement, originellement inexistant en sindarin, importé par les Ñoldor ; la présence ou non de versions inclusives et exclusives du « nous » (c’est-à-dire incluant ou nous l’auditeur dans ce pronom) ; le lien entre ces pronoms et ceux en eldarin commun (merci R. Derdzinski) ; la présence d’un système pronominal (en français)… Je vous invite à fouiller tous ces liens, si ça vous intéresse, et à jeter un coup d’œil à la reconstitution de R. Derdzinski, très complète.

Et après ? Comment aller plus loin

Le sindarin ne se limite pas, vous le croirez bien, à un lexique et à un épais, quoique lacunaire, manuel de grammaire : des aspects plus complexes de la langue, comme la syntaxe (voir cette étude, un peu copieuse, en français), la poésie, etc.
Bref, il y a matière à approfondir le sindarin, et vous disposez d’outils pour cela.

De nombreux "cours d’elfique" existent sur Internet, mais méfiez-vous-en, comme dit en annexe. La plupart sont des cours de néo-sindarin (cf. ci-après) et ne respectent pas la rigueur qui est due.
Il existe plusieurs livres pour apprendre le sindarin (aucune en français, à ma souvenance), notamment le A Gateway to Sindarin de D. Salo, publié en 2004, après le succès des films Le Seigneur des Anneaux. Le lire n’est pas une mauvaise initiative, mais il ne faudra pas prendre toutes les paroles de l’auteur pour parole d’évangile : ses cours comportent certaines reconstitutions, et de plus récentes découvertes ne figurent pas dans ce livre.

Alors, que faire, si l’on veut mieux connaître le sindarin ?
Tout d’abord, le meilleur moyen est d’étudier les textes de Tolkien en eux-mêmes : le poème A Elbereth Gilthoniel, la lettre du Roi (le plus long texte attesté en sindarin), etc. Vous pouvez apprendre aussi un peu de vocabulaire de base.
Par ailleurs, des revues spécialisées ont publié des numéros sur cette langue : il s’agit de Parma Eldalamberon et Vinyar Tengwar. Ces revues ne sont pas données, mais elles comportent des écrits de Tolkien inédits à ce jour, qui permettent d’approfondir la connaissance des langues de Tolkien, et notamment le sindarin. J’attire tout spécialement votre attention sur le Parma Eldalamberon n°17, souvent cité dans les études sur le sindarin, en raison des éléments qu’il comporte. Ce numéro n’est plus imprimé, mais vous pouvez toujours remettre la main dessus en fouillant sur les sites de revente et/ou sur les forums dédiés à Tolkien (JRRVF, Tolkiendil, Tolkiendrim, etc.).

Par ailleurs, de nombreux lexiques sindarins existent sur Internet, et l’on peut en trouver certains de bonne qualité :

Je terminerais en indiquant l’existence d’un traducteur automatique, plus pour l’amusement que pour le recommander. S’il semble à peu près respecter le lexique proposé par Tolkien, il ne semble pas tenir compte des modifications consonantiques, et peine à reconstituer les formules issues de la main de Tolkien. Par ailleurs, la traduction sindarin→anglais est assez défectueuse (problèmes avec le clavier en tengwar, etc.). Cependant, ce module de traduction est encore en alpha, ce qui peut expliquer ces défauts.
Il faut cependant admettre qu’un traducteur automatique vers le sindarin semble plus difficile à réaliser que, par exemple, en quenya, étant donné les tendances agglutinantes et les mutations consonantiques du sindarin, bien moindres voire inexistantes en quenya.

Contributions au néo-sindarin

Le sindarin de Tolkien a eu une grande popularité, au point qu’il est généralement considéré comme la langue elfique par excellence, au détriment des autres. De nombreuses personnes ont tenté de combler les lacunes lexicales et grammaticales du sindarin tel qu’il est connu : ces contributions sont quelquefois indépendantes les unes des autres, d’autres fois mutuellement inspirées, ce qui rend les choses difficiles à exposer.
Malgré cela, je vous propose de faire un tour d’horizon (rapide, à défaut d’être exhaustif) de ces contributions :) .

Travaux de D. Salo

David Salo a été embauché pour travailler sur les 6 films de P. Jackson, c’est-à-dire les trilogies du Seigneur des Anneaux et du Hobbit : sa tâche a été de traduire des dialogues, paroles de chants, inscriptions, etc. en telle ou telle langue de Tolkien. Or, la trilogie du Seigneur des Anneaux utilise le sindarin à de nombreuses reprises, avec des tournures et du vocabulaire qui n’existent pas chez Tolkien. Il a donc fallu inventer une certain nombre d’éléments linguistiques pour permettre la traduction. Voici le résultat :

Paroles en sindarin, traduites par D. Salo, sur la musique d’H. Shore (<3). Vidéo de trancesephar.

Toutes les paroles du Seigneur des Anneaux sont retranscrites et traduites (en anglais) sur le site de Gwaith-i-Phethdain 5 : c’est vraiment une mine d’or, qui permet de mieux et mieux apprécier le travail de D. Salo.

Je n’ai malheureusement pas trouvé d’analyse approfondie du néo-sindarin de Salo, ni même de description sur son blog Miðgarðsmál, mais certains aspects de son néo-sindarin sont contestés : non seulement à cause des informations qu’un travail aussi vieux (2001) ne prend pas en compte, mais aussi pour certains choix qu’il a posés. Je vous laisse lire à ce sujet C. Hostetter (à partir de « Malheureusement, un excellent exemple… »). D’autres propositions tentent de rattraper le coup, comme ici, avec le verbe « anna- » : le problème, c’est que ce verbe existe déjà et signifie « donner », ce qui met l’auteur dans une position toute aussi délicate.

Vous pouvez bien sûr approfondir la vision que Salo a du sindarin en lisant le livre mentionné plus haut, A Gateway to Sindarin.

Travaux de R. Derdzinski

Je n’ai cessé de le citer tout au long de ce chapitre, mais Richard Derdzinski a abattu un beau travail concernant le sindarin. Tout d’abord, comme dit plus haut, une reconstitution des pronoms en sindarin à partir de l’eldarin commun, mais aussi et surtout une grammaire concise et pourtant assez complète du sindarin (en anglais). Tout ce qu’il expose là n’est pas bien sûr de son propre fait (il cite souvent Salo ou Fauskanger), mais l’effort de compilation doit être salué.

Par ailleurs, il a également proposé un dictionnaire de néo-sindarin regroupant ses néologismes et ceux d’autres personnes. Il y a assez peu d’entrées, mais elles sont documentées avec soin.

Travaux de T. Renk

Thorsten Renk a publié un cours de néo-sindarin appelé « Pedin Edhellen » (Je parle l’elfique), traduit ici par Ambar Eldaron. Ce cours a eu une grande popularité, il y a quelques temps, au point d’avoir un écho dans la sphère francophone et plusieurs leçons équivalentes sur Memrise (ici et ici).

Pour le dire sans ambages, je vous déconseille ce cours, autrement qu’à titre de curiosité. Sans prendre en compte les quelques problèmes dûs à la traduction d’Ambar Eldaron, ce cours est un peu vieux (2008) et ne prend donc pas en compte certains apports des revues spécialisées. Par exemple, il utilise « dan » (signifiant initialement « contre ») pour dire « mais », tandis que le Vinyar Tengwar n°50 (2013) a révélé l’existence de « ach ».
Par ailleurs, on observe beaucoup d’approximations : par exemple, le mot « galu », issu du noldorin des années 1930, et signifiant « augmentation », est déformé en « bénédiction » et utilisé pour saluer (« Galu ! »). Vu le nombre d’imprécisions, le résultat est très incertain, et peu fiable. Pourquoi ne pas préférer « Mae g’ovannen », attesté, ou à la rigueur « Suilad » (salutation) ? On observe d’autres points dérangeants, comme « mae » (bon, bien) utilisé pour dire « oui », ou la formule de présentation « Im Aragorn, im adan » (littéralement « Moi Aragorn, moi homme »)…
À noter aussi que Renk use et abuse des reconstructions à partir du quenya, ce qui n’est certes pas déraisonnables (racines communes, influence mutuelle), mais ne doit pas être excessif.

T. Renk utilise sa théorie néo-sindarin pour rédiger des poèmes et des fictions en Sindarin.

Cours d’A. Shaw (Gildor Inglorion)

Le cours d’Aaron Shaw est proposé en anglais sur CouncilOfElrond et traduit en français toujours par Ambar Eldaron − D. Giraudeau y a consacré une partie de sa critique.

Je dirai peu dessus, car il s’agit d’une version à la fois plus ancienne et plus courte que le cours de T. Renk, avec des approximations comiques de ce genre :

M. Derdzinski liste les pronoms et adverbes suivants dans son “ Pronoms Sindarin Reconstruits ”. Si ceux-ci sont corrects ou non, je ne peux pas l’affirmer, mais je suis sûr que Derdzinski a un processus de dérivation logique derrière ceux-ci. Jusqu’à ce que j’aie ma propre reconstruction, ceci suffira.

Travaux de J.-M. Carpenter (Xandarien)

J.-M. Carpenter est rentrée assez récemment dans la danse, avec son site Sindarin Lessons ouvert en 2013 6. Elle propose un cours gratuit de sindarin (notez, comme chez les autres, l’absence du préfixe "néo-"), rédigé en anglais, et fréquemment mis à jour. Ces cours, eux aussi connaissent une certaine popularité (voir ce cours Memrise, celui-ci, celui-là et cet autre). Enfin, J.-M. Carpenter propose également des cours payants via Discord (25£ le cours).

On observe, dans son cours, certaines convergences avec T. Renk (les mots « amman », « athan », « mar »), indices permettant de savoir de quels cours elle s’inspire. Cependant, même si certains points sont corrigés par rapport à Renk (ajout du mot « ach »), certains problèmes subsistent, comme le maintien de la salutation « Galu ! ». De même, certaines innovations par rapport à Renk, comme l'enseignement du dialecte doriathrin, ne tiennent malheureusement pas compte de toutes les données existantes, comme l’absence totale de mention de la terminaison génitive « -a », pourtant doublement attestée.

À noter enfin que Carpenter diverge néanmoins de Renk sur certains points (exemple aléatoire : les suffixes possessifs), indiquant peut-être un travail de reconstruction mené personnellement.

Travaux de F. Jallings (dreamingfifi)

Le site de F. Jallings, RealElvish, existe depuis 2007, mais ce n’est que l’année dernière (en 2017) qu’elle a publié son livre : A Fan’s Guide to Neo-Sindarin. Curiosité significative : alors que le nom de son site insiste sur la réalité de l’elfique qui est enseigné, elle est le seul auteur vu jusque-là à se réclamer ouvertement du néo-sindarin. Le livre de Jallings semble prendre en compte les dernières découvertes des Parma Eldalamberon et Vinyar Tengwar.
Sur son site, elle ne propose rien de moins que des cours académiques, semblant délivrer des certificats dont j’ignore la valeur.

N’ayant pu accéder à aucun cours (sur inscription), je n’ai pas pu contrôler la qualité de ce qui y est enseigné. La seule page intéressante disponible semble être ce rapide lexique, composé en partie de créations personnelles, et compilant par ailleurs certaines inventions d’autres personnes (comme D. Salo).

Autres trésors des Internets

Bien sûr, les personnes nommées ci-dessus ne sont pas les seules à s’adonner au néo-sindarin, puisque le Net regorge d’inventions de cet acabit. Ainsi, vous pourrez trouver :


  1. Il faut être d’autant plus méfiant que H.K. Fauskanger fait le lien entre cette notion de « vieux sindarin » et celle de « sindarin mature », appellation controversée car classifiant et hiérarchisant arbitrairement les différents éléments de sindarin proposés par Tolkien.

  2. La phrase originale est « Ernil i-Pheriannath » (Prince des semi-Hommes), mais j’ai enlevé le suffixe en fin de mot (-nath) pour rendre l’exemple plus clair.

  3. C’est un mot reconstruit, mais ce sera suffisant pour l’exemple.

  4. Rappelez-vous, la racine pour le mot « parler » est KWEN, mais le sindarin est issu du telerin commun : il a donc subi la modification de kw en p, donnant en fin de course ledit « ped- ».

  5. Ce nom signifie « Peuple des faiseurs de mots », et vous observez la mutation nasale du mot « pethdain », qui devient « phethdain », tout comme « perian » devient « i-pherian ».

  6. Source.

Le nandorin et ses descendants

Histoire externe

Cette famille de langue a été assez peu développée par Tolkien, par rapport à d’autres (quenya, telerin, sindarin, etc.), et les sources principales que nous avons pour les travailler sont :

  • Les Étymologies (c. 1938) qui, comme dit plus tôt, ont le désavantage de ne pas correspondre à l’arbre des langues elfique tel que présenté ici ;
  • Les quelques noms propres du Seigneur des Anneaux que l’on peut soupçonner d’être d’origine nandorine, sans pouvoir déterminer l’importance des influences sindarines (cf. plus bas).

Pour cette raison, il est assez difficile de déterminer une grammaire des langues nandorines : mais, d’un autre côté, cela laisse l’opportunité à d’autres de développer davantage ces langages ― lesdits autres s’en sont donné à cœur joie !

Histoire interne

Les Nandor sont issus du clan Teleri, mais s’en sont séparés au moment de passer les Monts Brumeux1 : plutôt que de faire marche à l’Ouest, comme les autres, ils ont préféré aller au Sud. Comme ils ont suivi un certain elfe appelé Dan (alias Lenwë), leur langue est aussi appelée danien.
Avec le temps, cette langue unique, le nandorin, s’est scindé en 2 dialectes :

  • L’ossiriandrin (ou ossiriandais, ossiriandeb, etc.), parlé par les Nandor qui ont malgré tout continué à aller vers l’Ouest, jusqu’à arriver au Sud du Beleriand : c’est donc la version occidentle du Beleriand. Ce dialecte est quelquefois appelé « nandorin ». Un seul mot d’ossiriandrin est clairement attesté : « laur » (or, doré)
  • La version orientale est appelée leikvien (ou, anciennement, telerien) : il est notoire que cette langue a influencé les langues humaines, tant au niveau oral qu’écrit2. Au Troisième Âge, ce dialecte est renommé elfique sylvain, car il est particulièrement en usage chez les peuples elfiques vivant dans la forêt (Lórien, royaume de Thranduil dans le Rhovanion).

Ces dialectes se portent bien pour un temps, jusqu’à la submersion du Beleriand, à la fin du Premier Âge. Non seulement cet évènement marque la fin de l’ossiriandais (puisque c’est par définition le nandorin parlé au Beleriand), mais aussi la régression du dialecte leikvien fasse à l’afflux des réfugiés sindarins depuis le Beleriand. Ainsi donc, durant le Troisième Âge, à l’époque du Seigneur des Anneaux, l’elfique sylvain ne survivra guère que dans le royaume de Thranduil (où se parle également le sindarin) et dans quelques noms propres de la forêt de la Lórien, adaptés au sindarin.

Caractéristiques linguistiques

En tout et pour tout, nous n’avons qu’une trentaine de mots nandorins, issus pour la plupart des Étymologies. Ils ont été analysés en détail par H.K. Fauskanger : nous ne soulignerons ici que les caractéristiques essentielles.

Certaines lettres originellement présentes au début d’un mot, comme le d, le g ou le b, sont sauvegardés, à la différence d’autres langues ― le quenya, par exemple, où l’apparition de d ou de g est assez réglementée. Ainsi, on peut par exemple contraster le sylvain « galad » (arbre) avec le quenya « alda ».
Le mot « Lindi » (chanteurs), nom que les Nandor se donnaient à eux-mêmes, révèle un probable pluriel en « -i », comme en telerin et (en partie) en quenya : cela est, bien sûr, à attribuer à la terminaison plurielle « -ī » en quendien primitif.

Les autres informations que l’on peut déduire sont issues d’un corpus de mots arrangés à la mode sindarin, comme « Lothlórien » (fleur de rêve, d’après la traduction sindarine), issu en fait du nandorin « Lindóri(n)and » (Val de la terre des Chanteurs). De même, l’étymologie du prénom « Legolas » (Vertefeuille), longtemps débattue, pourrait être un mélange d’elfe sylvain et de sindarin. Enfin, « Caras Galadhon » (Cité des Arbres) utilise des tournures sindarines (utilisation de « galadh » et non « galad »), sans pour autant être purement sindarin : Tolkien a précisé que, dans le cas contraire, son nom serait « Caras (i)Ngelaidh ».
Ce dernier exemple révèle une probable terminaison en « -on » pour le génitif, à rapprocher à celle du quenya : cela indique donc la présence de déclinaisons dans les langues nandorines, sans que l’on puisse en savoir.

Néo-nandorins

Quoiqu’il eût été possible de le faire, P. Jackson ne semble pas avoir voulu user de langues nandorines dans ses deux trilogies : contrairement au sindarin, il n’a donc été question de les développer pour les porter à l’écran. Malgré cette occasion manquée, le nandorin a été repris et retravaillé !

Comme pour les langues avarines, le jeu de l’entreprise Iron Crown Enterprises, Middle-earth Role Playing, a été l’occasion de revisiter les langues peu développées par Tolkien. Et parmi elles, bien sûr, la famille nandorine. Vous trouverez sur ce site (en anglais) un arbre plus détaillé des peuplades nandorines (avec la création de tribus, comme les Elfes des neiges), ainsi qu’un lexique lapidaire de 60 mots, apparemment inspirés des sonorités de l’Estonien.

Il est intéressant de comparer cette version du nandorin à la proposition de néo-sylvain par… David Salo (le monde est petit, non ?), dans le magazine Others Hands, consacré… au jeu Middle-earth Role Playing (je vous ai dit que le monde était petit ?). Cette proposition est des plus précises, puisqu’elle décrit la phonologie de la langue, sa grammaire (déclinaisons, conjugaison des temps simples et composés), prend le temps de la comparer à d’autres langues elfiques (quenya, sindarin, dialectes nandorins) et propose un dictionnaire d’une dizaine de pages (inspiré de langages abandonnés, proposés par Tolkien dans les Étymologies).
Il est bien sûr impossible de comparer la grammaire de ce néo-sylvain audit néo-nandorin, mais on peut toujours remarquer une certaine proximité au niveau du lexique : par exemple, pays se dit « dóri » en néo-nandorin et « dor » en néo-sylvain. Ces ressemblances peuvent s’expliquer par deux hypothèses non-exclusives :

  • Les écrits de Tolkien eux-mêmes suggèrent cette ressemblance, puisque la racine primitive pour « pays » est NDOR ;
  • Il n’est pas impossible que D. Salo ait développé le néo-sylvain à partir du néo-nandorin d'Iron Crown Enterprises, ayant en tête qu’il s’agit d’un dialecte de ce dernier. C’est extrêmement probable, mais rien dans son article ne permet de vraiment le confirmer.

  1. C’est bien à l’Est du Beleriand, la chaîne de montagnes sous laquelle se trouve la Moria. À l’Est de ces monts se trouve la forêt de Grand’Peur (Mirkwood) et la Lórien.

  2. Tolkien se contredit sur la maîtrise de l’écriture par les Elfes sylvains : il dit un temps qu’elle existe, un autre qu’elle n’existe pas.


Nous en avons fini d’avec le sindarin et le nandorin, terminant ainsi notre tour de l’arbre des langues elfiques. Je vous invite à approfondir ces langues car, comme vous le voyez, il y a matière à cela !

Et c’est beau ;) .