Il s’agit ici de s’occuper des deux autres maisons des Edain, qui ont eu une descendance linguistique moins prolifique et moins connue : les maisons de Bëor et de Haleth. En passant en revue leur histoire, nous en apprendrons un peu plus sur les langues qu’ils parlèrent, et nous finirons ainsi notre tour d’horizon des langues edainiques, entamé depuis déjà deux chapitres.
Partis pour de nouvelles histoires, des nouvelles langues, et de nouveaux mystères…
Le bëorien, survivance discrète
Histoire de la maison de Bëor
Comme nous l’avons dit dans les chapitres précédents, la maison de Bëor a des origines communes avec la maison de Hador : ce n’est qu’aux abords d’une mer, appelée mer de Rhûn, qu’ils se seraient séparés. Après cette séparation, le peuple de Bëor continua vers l’Ouest et parvint le premier au Beleriand. C’est pourquoi ce peuple est également appelé Première Maison : car ce fut le premier à atteindre le Beleriand, continent où Morgoth et les Elfes se livraient une guerre impitoyable.
Le seigneur Elfe Finrod fut le premier à découvrir les Bëoriens au Beleriand et, comprenant facilement leur langage, il l’apprit rapidement et s’assura l’amitié de la maison de Bëor. En raison du conflit avec Morgoth, cette amitié se mua très rapidement en alliance militaire, si bien que les hommes de Bëor s’illustrèrent au combat, aux côtés des Elfes. Malheureusement, la désastreuse bataille appelée « Dagor bragollach » (sindarin : bataille de la flamme subite) dévasta le peuple de Bëor, déjà initialement peu nombreux, ne laissant sauf que quelques individus.
L’un de ces hommes est Beren, connu pour son histoire d’amour avec l’elfe Lúthien : ce fut sans doute l’un des rejetons les plus connus de la maison de Bëor. Dans sa descendance figure Elwing, qui sera la femme de l’humain Eärendil, dont il a été question dans un chapitre précédent1 : l’un des fils d’Elwing et d’Eärendil devint le premier roi de Númenor. Ainsi, le peuple de Bëor, quoique majoritairement supprimé à la bataille de Dagor Bragollach, perdura par le royaume de Númenor. Sa langue, d’après quelques brouillons de Tolkien, a pu survivre à l’Ouest de Númenor, dans une version rustique.
La langue de Bëor
Comme l’indique son histoire commune avec la maison de Hador, le peuple de Bëor a une langue très proche du taliska hadorien : Tolkien indique que ces langues sont intercompréhensibles, même si la compréhension est quelquefois rendue difficile, du fait des variations de prononciation. Il est aussi dit que, du fait de l’amitié de la maison de Bëor avec des Elfes (des Avari puis des Ñoldor), la langue bëorienne comporte certains éléments rappellant les langues elfiques, notamment le sindarin, adopté par de nombreux hommes de Bëor durant la guerre contre Morgoth.
Encore une fois, on connaît peu sur la langue de ce peuple, même si certains Elfes curieux (comme Finrod ou Lúthien) apprirent cette langue. Il nous reste ceci dit un lexique de quelques mots, dont voici quelques exemples :
- « Bëor » n’est initialement pas un nom propre, mais un nom commun : il signifie « vassal », car Bëor devint le vassal de Finrod. Avant cet évènement, Bëor s’appelait en fait Balan ;
- « Nóm » signifie « sagesse » : c’est un nom que les Bëoriens attribuèrent à Finrod ; ils appelèrent le peuple de Finrod les « Nómin » (les sages) : peut-être « -in » est-il un suffixe pluriel, ou peut-être pas ?
- On connait certains prénoms, comme « Baranor », « Belen », mais on en ignore la signification…
En voilà tout pour la maison de Bëor ! C’est bien peu en comparaison de la maison de Hador, par exemple, qui eut une descendance bien plus large, et tout aussi glorieuse .
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Il est même dit qu’Eärendil, pour convaincre les Valar de reprendre la guerre contre Morgoth, parla non seulement en diverses langues elfiques, mais aussi en hadorien et bëorien. Devant le Vala Manwë en personne, la plus grande autorité après Eru : la classe, hein ?
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La langue de Haleth, à part
La maison de Haleth
Le peuple de Haleth portait initialement le nom de Haladin ; il s’agit du deuxième peuple des Edain, après celui de Bëor. Peu nombreux, peu unifiés et subissant la méfiance de certains Elfes, les Haladin ne connurent pas de débuts prometteurs comme les Bëoriens : ce ne fut qu’à partir des assauts de légions de Morgoth à leur encontre qu’ils se démarquèrent par leur bravoure. Leur chef, Haldad, fut tué au combat, et sa fille, Haleth, prit la tête du peuple. Cette dirigeante, fière, refusa l’amitié et la protection proposée par le Ñoldo Caranthir, préférant continuer à migrer à l’Ouest. Elle installa finalement son peuple à l’Ouest de la forêt de Doriath, contrariant le souverain de ce lieu, Thingol. Ce dernier leur accorda finalement la terre, en échange d’une protection contre les raids des Orcs.
Cette protection fut efficace durant quelques temps, jusqu’à ce que, décimés, ils ne puissent plus contenir les forces de Morgoth. Alors, la lignée de Haleth se dispersa et s’éteint presque, survivant à travers diverses peuplades.
La langue du peuple de Haleth est dite complètement différente de celles de Hador et de Bëor, si bien qu’elle n’est pas intelligible pour ces derniers. Du fait de ces incompréhensions, du peu de relations avec les autres peuples, humains et elfiques (par lesquels les langues sont gardées en mémoire), on a peu d’éléments du halethien, et aucune grammaire. On sait ceci dit que « hal(a) » signifie garder, surveiller et que « halad/haladin » donnent respectivement « gardien »1 au singulier et au pluriel, ce qui suggère un pluriel en « -in ». Ces mots ont d’ailleurs été adoptés en bëoriens, ce qui est un peu curieux − puisque ces peuples ne pouvaient guère se comprendre.
Les Dunlandains
Les Dunlandais ont un lien de parenté avec le peuple de Haleth : mais, contrairement à ce dernier, ils n’ont pas cherché à migrer au Beleriand, à l’Ouest. Ils ont principalement pour habitat les grands bois qui se trouvent à l’Est des Monts Bleus. Lors du Deuxième Âge, quand les Númenoréens ont commencé à coloniser la Terre du Milieu, les Dunlandais ont été forcés de quitter leurs terres, fuyant vers diverses directions : mais d’aucuns fuyèrent à l’Est, dans le pays de Dun (Dun-land). À la création du Rohan, les Dunlandais ont été de nouveau forcés à quitter leur pays, pour laisser la place aux Rohirrim : pour cette raison, les Dunlandais vouèrent une haine farouche aux habitants de Rohan, qu’ils persécutèrent de nombreuses reprises, notamment durant la guerre de l’Anneau, au Troisième Âge. Ils furent finalement défaits à la fin de cet Âge.
On ne connait qu’un seul mot de leur langue : « Forgoil » (Têtes de paille), qui est un surnom qu’ils donnaient aux Rohirrim, dont les cheveux étaient souvent blonds. Il est à craindre que l’on n’en sache jamais plus.
Les pré-númenoréens
L’histoire est à peu près la même pour d’autres peuples qui habitèrent en Terre du Milieu avant les colonisations númenoréennes : on les appelle « pré-númenoréens ». Il ne s’agit évidemment pas d’un peuple unifié, mais plusieurs écrits de Tolkien (comme l’appendice F du Seigneur des Anneaux), suggère un lien de parenté avec les Dunlandais, et donc avec le peuple de Haleth. On ne sait quasiment rien sur l’histoire de ces peuples, mais un récit inachevé de Tolkien, Tal-Elmar (publiée dans le douzième volume de History of Middle-Earth), raconte la colonisation númenoréenne du point de vue des indigènes.
On sait enfin que les Hommes des Montagnes, qui jouent un rôle important dans la victoire militaire de la guerre de l’Anneau, en sont issus. Je vous recommande, sur ce sujet, la vidéo du Savoir des Anneaux sur le sujet :
La langue pré-númenoréenne survit essentiellement par des toponymes, c’est-à-dire des noms de lieux : par exemple « Umbar », « Arnach », « Erech » « Eilenaer », dont l’on a perdu la signification − d’aucuns suggèrent que « eilen(a)- » signifie montagne, mais on ne peut aller plus loin.
L’entreprise Iron Crown Enterprise, à l’occasion du jeu Middle-Earth RolePlaying, a tenté de combler ces lacunes en inventant de nombreuses langues pour ces peuplades : on pourrait appeler cela du néo-pré-númenoréen ― appellation fastidieuse à souhait . La base de toutes ces langues pré-númenoréennes semble être le Daenael, connexe au langage halethien et représenté, comme Tolkien l’a fait pour d’autres langues, par les langues gaéliques : ancien irlandais, gallois, breton, cornique, etc. Ainsi, le vieux gondoréen est représenté par le breton (un peu modifié) ; seul tranche le dialecte d’Umbar, sémitique plutôt que celtique…
Les Drúedain
Les Drúedain sont un cas particulier. Je ne les aurais personnellement pas traités en même temps que les parents de la maison de Haleth. Mais la classification des Elfes les inclut dans le groupe des Edain, et ils ont été plus proches du peuple de Haleth, avec qui ils ont vécu en amitié, que des deux autres.
Les Drúedain sont des Hommes que l’on pourrait appeler « sauvages », petits et larges, à la face disgracieuse, « épais et ramassé[s] » aux dires même de Tolkien. Ils vivent dans les bois et sont d’excellents chasseurs, grâce à leurs sens aiguisés, ainsi que de fins connaisseurs des plantes. Ils peuvent passer inaperçus par leur petite taille, leur patience et leur immobilité légendaire. Ils ont aussi pour habitude de se désintéresser des affaires des autres et de vivre en autarcie, mais plus que tout ils abhorrent les Orcs. C’est pour cette raison qu’ils ont passé un accord avec le Rohan, lors de la guerre de l’Anneau, au Troisième Âge, pour mettre en échec les forces de Sauron. Vous pouvez en apprendre plus sur cette race avec cette autre vidéo du Savoir des Anneaux, notamment sur leur passé (amitié avec le peuple de Haleth, installation puis départ de Númenor, etc.) et leur savoir-faire (leurs fameuses statues) :
Ce que l’on sait de la langue des Drúedain est essentiellement dûe à la discussion entre le roi du Rohan à la fin du Troisième Âge, Théoden, et le chef des Drúedain, Ghân-buri-Ghân (durant les circonstances évoquées plus haut). Cette discussion est en langue commune, mais elle contient quelques mots de Drúedainique.
Les noms propres donnent déjà quelques éléments : Ghân-buri-Ghân est le fils de Ghân. « Buri » doit donc signifier « fils de » (comme « ben » en Arabe, « mac » en écossais, etc.). « Aghan » est un autre nom de Drúadan, donné dans les Contes et Légendes Inachevés, un écrit plus précoce de Tolkien. On sait aussi que les Drúedain s’appellaient eux-mêmes « drughu » (/druɣu/).
Enfin, « gorgûn » signifie « Orcs ».
Il est notable que les Drúedain n’utilisent pas de système d’écriture, mais communiquent par l’usage de tambours, dont le son peut être entendu à grande distance, tout en gardant son sens secret aux oreilles de potentiels ennemis.
Comme pour les langues pré-númenoréennes, Middle-Earth RolePlaying a poussé à étendre davantage la langue de Drúedain, en s’inspirant des langues celtiques, à nouveau. Ils ont inventé plusieurs dialectes du Druguhu, mais le lexique résultant semble assez limité ― une douzaine de mots nouveaux… Et aucune grammaire .
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Ce mot est utilisé comme synonyme de « chef » dans une version des Errances de Húrin, texte non publié
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C’est la fin de ce chapitre sur les deux autres maisons des Edain : celles de Bëor et d’Haleth ! Même si l’on en connaît beaucoup moins que sur les langues de Hador, les histoires de ces deux peuples ne sont pas moins intéressantes et mystérieuses .
Nous avons donc, au terme de ces trois chapitres, fini de passer en revue les langues edainiques : il ne reste donc plus que les langues non-edainiques.