Pour ce dernier chapitre sur les langues humaines, nous allons nous intéresser aux langues de ceux qui ne furent pas des Edain, c’est-à-dire ceux qui ne migrèrent pas à l’Ouest durant le Premier Âge. De ce fait, ils eurent un destin plus sombre et plus méconnu que celui des Edain, car ils ne se firent pas connaître par leurs exploits héroïques contre les forces de Morgoth. En fait, c’est même plutôt le contraire : les Hommes non-edainiques s’illustrèrent surtout en tant que serviteurs des forces du Mal, et antagonistes récurrents des Edain .
Nous allons donc voir l’histoire de ces peuples et ce que, au détour d’une anecdote ou d’une autre, on peut apprendre sur leurs langues !
Harad, le Sud sauvage
Tous les peuples vivant au Sud de la Terre du Milieu sont appelés Suderons, ou Haradrim (sindarin, avec « harad », le sud, et « -rim » le suffixe pour caractériser des peuples). Ce sont des Hommes à la peau, aux cheveux noirs et crépus, avec des habits brillants, souvent de pourpres, noirs et dorés. Par les Hommes de la Terre du Milieu, ils sont généralement décrits avec des termes déshumanisants, puisque leurs voix sont comparées à des hurlements de bêtes et de charognards ; ils sont quelquefois appelés « semi-trolls », tant ils paraissent monstrueux aux yeux des Hommes de Terre du Milieu.
Comme dit plus haut, leur histoire est méconnue, et surtout marquée par leur asservissement au pouvoir des Seigneurs des Ténèbres. En l’occurrence, on fait connaissance avec eux au Deuxième Âge, lors de la montée en puissance de Sauron, qui les soumet afin de s’y faire adorer comme un roi et comme un dieu. À l’instar d’autres peuplades autochtones, les Haradrim ont été soumis et oppressés par les Númenoréens : certains de ses derniers, à la chute de l’Île, dirigèrent des Haradrim aux ordres de Sauron. Ils furent alors défaits à la fin du Deuxième Âge, lorsque Sauron fut vaincu. Au Troisième Âge, ils s’illustrèrent dans le conflit frontalier avec le Gondor, par lequel ils furent vaincus à plusieurs reprises (par les rois Hyarmendacil I et II, dont le nom signifie « vainqueur du Sud » en quenya).
De leur langue, on connaît peu, bien entendu ; il existe d’ailleurs plus qu’une seule langue pour toutes ces peuplades du Sud, mais on n’en a pas trace. Les seuls mots réellement attestés sont passés dans l’usage commun en westron : il s’agit de « mûmak » (pluriel « mûmakil »), désignant les oliphants, sortes d’éléphants géants utilisés par les Haradrim en guerre. Cette partie du corpus indique un pluriel marqué en « -il » (au moins pour certains mots).
On connait aussi le surnom de Gandalf, Maia très puissant, dans cette partie du monde : « Incánus ». Mais Tolkien a hésité à en faire un mot suderon : il a tardivement indiqué qu’il s’agit d’un mot quenya… Nous n’avons donc que les mûmakil pour nous aider .
Iron Crown Entreprise a inventé plusieurs branches de langages néo-suderons à l’occasion de son jeu Middle-Earth RolePlaying : ils sont décrits comme les descendants du parler des Narnerim, adorateurs de la lune, habitant dans des grottes et se livrant à l’élevage. Le vocabulaire qu’ils ont pu développer pour ces langages néo-suderons est inspiré de langages africains ― ce qui est logique, puisque Tolkien lui-même a donné une saveur très africaine à ces peuples ― notamment du swahili, langue d’Afrique du Sud-Est.
À l'Orient, les envahisseurs venus de loin
Les peuples non-edainiques venant de l’Est de la Terre du Milieu sont indistinctivement appelés Orientais : cette appellation rassemble donc en un seul terme certaines peuplades qui n’ont quelquefois rien à voir les unes avec les autres. Mais on les décrit généralement comme assez petits, basanés et se déplaçant en hordes.
On les connait dès le Premier Âge : certains d’entre eux arrivèrent au Beleriand après les Edain et servirent, comme ces derniers, les seigneurs Elfes contre Morgoth : si certains furent fidèles jusqu’à la mort, comme Bór, d’autres trahirent leurs serments pour servir Morgoth. Ils ne furent, malgré leur utilité au Seigneur des Ténèbres, que peu récompensés : il ne leur fut donnée qu’une petite région, appelée Hithlum, où ils asservirent et pillèrent les Edain qui y habitaient. Lors de la submersion du Beleriand, quelques-uns d’entre eux parviennent à se réfugier en Terre du Milieu, mais l’on n’en sait pas plus.
Au Deuxième Âge, les peuples situés à l’Est de la Terre du Milieu (qui ne sont donc pas nécessairement les mêmes que ceux indiqués dans le paragraphe précédent) sont soumis par le pouvoir de Sauron, comme les Haradrim, qu’ils adorèrent comme roi et dieu. De ce peuple sera issu le roi Kamûl, l’Ombre de l’Est, qui deviendra un Nazgûl, spectre quasi-immortel aux ordres de Sauron.
C’est au Troisième Âge que les Orientais s’illustrent le plus, en tant que pires ennemis du Gondor. On vit les Gens-des-Chariots, confédération de peuples orientais, s’abattre sur un royaume de Gondor déjà réduit par la Grande Peste : ils furent défaits à grand prix. On vit plus tard les Balchoth, alliés à des Orcs, combattre à nouveau le Gondor et être défaits à la bataille de Celebrant. Durant la guerre de l’Anneau, à la fin du Troisième Âge, ils furent convoqués par Sauron et vinrent par légions, armés de haches, d’arcs et de lances : ils furent envoyés contre les Elfes du Rhovanion, les Hommes de Dale, et les Hommes d’Erebor. On notera la faction des Variags du pays de Khand, au Sud-Est de la Terre du Milieu, dont le nom est ouvertement issu de celui d’un peuple Viking (Varègues) et dont l’allure peut s’en approcher également ― barbus et maniant la hache.
Pour changer, leurs langues sont quasiment inconnues. On connaît quelques noms, comme « Brodda », « Lorgan », « Khand » ou justement « Kamûl », mais leur signification n’est pas donnée. Certains autres noms figurent dans les brouillons de Tolkien (« Blodren », « Ban », « Shorob »), mais le Professeur ne semble pas leur avoir donné suite. Enfin, les noms qui nous restent (« Bór », « Boromir », « Ulfang ») sont d’origine elfique…
À noter, ceci dit, que les Orientais sont indiqués avoir de l’affinité avec les Nains, notamment durant le Premier Âge : il serait donc tout naturel que leur langue ait été influencée par le khuzdul.
Comme pour les Haradrim, Iron Crown Enterprise a essayé de compléter notre méconnaissance de ces peuples en inventant à la fois des tribus et des langues : par exemple, les Talathrim, inspirés des peuples nomades de l’Asie Centrale. Mais ils ont aussi décrit d’autres peuples, disposant chacun de leurs langues. Ainsi, les influences du monde réel sont diverses : tantôt améridiennes, tantôt indo-européennes, tantôt slaves…
C’est tout ce que j’ai pu trouver sur ces peuples méconnus !
Notez que, même s’ils jouent souvent le rôle de méchants, Tolkien ne les présente pas de manière manichéenne : il précise, par la bouche d’Aragorn, que les peuples orientais sont, pour certains bons, pour d’autres mauvais ; la fidélité de Bór, qui sert les Elfes contre Morgoth jusqu’à payer de sa vie, va bien dans ce sens aussi .