Si les langues de la Terre du Milieu sont construites, elles n’en restent pas moins des langues, soumises à certaines règles et conventions, quelquefois pénibles, mais toujours nécessaires, que je vais exposer brièvement ici.
La lecture de ce chapitre nous permettra de partager les mêmes notations par la suite.
Questions phonologiques et conventions d'écriture
Vous vous doutez bien que les langues de la Terre du Milieu ne partagent pas les mêmes sons et les mêmes lettres que la langue française : l’usage est donc d’écrire le son de chaque mot à l’aide de l’Alphabet Phonétique International (abrégé API). C’est ce que je ferai. Pour ceux qui ne le maîtrisent pas parfaitement (comme… euh… moi ), je mettrai pour chaque signe de l’API un lien vers Wikipédia (où des enregistrements permettent d’entendre le son de ladite lettre). Par exemple, le mot « Terre du Milieu » sera indiqué comme suit : /tɛʁ dy miljø/.
Par ailleurs, pour avoir un aperçu plus rapide et intuitive, je noterai aussi la prononciation du mot avec l’alphabet latin (approximative, mais la meilleure possible), entre guillemets droits (à la différence des guillemets en chevrons, pour les mots originaux). Par exemple, le mot « endorenna » (« en Terre du Milieu » en quenya) sera indiqué "èndorèna". Pour les sons qui n’existent pas en français, voici la table de correspondance :
Ensuite, par défaut, le r sera roulé (son /r/).
Enfin, notez bien que, pour les mots inventés par Tolkien, les voyelles accentuées (´ ou ^) correspondront, sauf indication contraire, à des voyelles prolongées.
Un petit exemple, pour la route ? Le mot « Thangorodrim » (sindarin) sera suivi de "þangorodrime" et de /θaŋgɔrɔdrim/
Brève typologie des langues
Une partie non-négligeable de cette section est inspirée de la très pédagogique Introduction à la linguistique de Mocja Pecman.
On divise généralement, notamment à la suite des travaux du linguiste Greenberg, les langues en plusieurs catégories :
- Certaines forment une phrase en alignant plusieurs mots sans les modifier de nulle manière que ce soit, comme le chinois et le vietnamien. Par exemple, le mot « rén » (homme) est toujours le même, qu’il soit au singulier ou au pluriel (auquel cas un marqueur du pluriel est ajouté dans la phrase), sujet ou complément d’objet de la phrase, etc. Ce sont les langues analytiques.
- D’autres rassemblent en un seul mot plusieurs unités de sens, comme le turc : « ev » (maison), donne tour à tour « evler » (les maisons), « evlerim » (mes maisons), « evlerimde » (dans mes maisons), etc. Ce sont les langues agglutinantes. Parmi ces dernières, on trouve les langues polysynthétiques, dont un seul (long) mot signifie tout une phrase : au hasard, l’inuit « Angyaghillangyugtug » qui signifie « Il veut acheter un grand bateau » (merci Wikipédia ).
- Enfin, on trouve les langues qui modifient la forme des mots selon le contexte, comme… le français ! Par exemple, le verbe « conjuguer » ne s’écrit pas de la même manière dans les phrases « Je conjuguerai ce verbe demain » et « Ils conjuguèrent leurs efforts pour mener à bien cette tâche ». Ce sont les langues flexionnelles. Cependant, il y a beaucoup plus flexionnel que le français : c’est le cas pour les langues à déclinaisons, comme l’allemand, le russe ou le latin.
Mais Jamy, c’est quoi une déclinaison ?
Eh bien, Fred, c’est très simple : c’est une sorte de conjugaison pour les noms. Comme on l’a vu, selon les contextes, un verbe ne se conjugue pas de la même manière : il en va de même pour les noms, mais on parle de déclinaison, et non pas de conjugaison. Selon la fonction qu’occupe le nom (sujet, COD, attribut du sujet, complément du nom et autres joyeusetés), il ne prendra pas la même forme.
Pour illustrer ça, je prendrai quelques mots en latin (<31). « Luctus » (le deuil, chagrin) prendra des différentes formes dans les phrases suivantes :
« Luctum magnum mihi dabit Domini Carnuficis abitus » (Le départ de Dominus Carnufex m’a donné un grand chagrin) : « luctus » a ici la fonction de COD.
« Sed magnitudo lucti vim et constantiam dat » (Mais la grandeur du chagrin donne force et persévérance) : ici, « luctus » a une fonction de complément du nom.
Les déclinaisons sont, mine de rien, assez répandues, car elles permettent d’avoir une grande clarté : vous pouvez quasiment bouger partout les mots de votre phrase, tant que vous avez décliné, c’est bon (à la différence du français : « Le chat mangea la souris » ≠ « Souris le mangea la chat »2).
Remarque supplémentaire mais absolument nécessaire : vous remarquerez qu’aucune langue ne rentre parfaitement dans ces catégories. Par exemple, le turc est une langue agglutinante, on vient de le voir, mais elle a aussi des déclinaisons (composante flexionnelle) ; le français est flexionnel, mais il n’a pas de déclinaison ; on n’a pour ainsi dire aucune langue naturelle parfaitement analytique (le vietnamien est très fort à ce jeu, mais je suis sûr qu’on pourrait le prendre en défaut), etc. Les indications que je pourrais donner (type « Le noir-parler est une langue agglutinante ») sont donc à prendre avec des pincettes : elles ne seront utiles que pour vous donner quelques indications sur le fonctionnement de la langue.
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Le latin est une de mes langues de prédilection. Voilà .
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Cela me fait penser à une certaine scène du Bourgeois Gentilhomme : avec une langue comportant des déclinaisons, il y a de fortes chances que ce gag passe à l’eau.
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C’est tout ce qu’il fallait savoir sur la linguistique afin d’être convenablement armés pour ce tuto. Partie suivante : quelques pré-requis sur la Terre du Milieu …