Afin de ne perdre personne dans ce tuto, il m’est nécessaire de faire un point rapide sur la Terre du Milieu : vous pouvez donc sauter ce passage si vous voulez, mais je vous conseille (à moins que vous n’ayez passé des semaines − j’insiste, des semaines − à étudier les écrits de Tolkien) de lire ce qui suit. Ce ne sera pas long, et ça vous donnera les pré-requis nécessaires pour comprendre toute la suite.
Histoire interne : chronologie de la Terre du milieu
Bien que j’en ai parlé dans un article, il y a quelques temps, nous allons faire une brève chronologie de la Terre du Milieu (toujours résumée, quoique plus détaillée que dans ledit article) :
Avant le Premier Âge
Le grand Créateur du monde de Tolkien est appelé « Eru Ilúvatar » ("érou ilouvatar", /eru iluːvatar/), ce qui signifie, en quenya (langue elfique), « le seul Père de tout »1. On sait assez peu sur Lui, mais on est plutôt certain sur le fait que Tolkien a grandement repris la figure du Dieu Tout-Puissant de sa propre religion (catholicisme romain). Cet Esprit a crée d’autres esprits, appelés « Ainur »2 : parmi eux, des esprits très puissants, les Valar2, et d’autres moins puissantes, les Maiar2.
Les Ainur et Eru créent ensemble le monde, « Arda » (quenya), en chantant : durant ce chant, cependant, Melkor, l’un des Valar, émet des dissonances et, à cause de cela, introduit en Arda et dans l’esprit d’autres Ainur les germes du mal, qu’il portait dans son cœur. Ilúvatar riposte par des mélodies nouvelles et indicibles, qui contrecarrent Melkor.
Au terme de ce chant, le monde apparaît et les Ainur y sont envoyés par Eru, qui les prévient qu’il y enverra ses Enfants vivre là-bas.
Descendus sur Arda, les Valar et leurs suivants, les Maiar, s’activent pour rendre le monde beau et bon : tous, sauf Melkor et ses ouailles, cherchant le pouvoir et le chaos. Ils sont cependant matés par les autres Valar, et notamment par l’un d’eux, Tulkas (Vala guerrier) : les ténèbres se retirent donc à la périphérie du monde. Les forces bénéfiques se prêtent alors toutes entières à l’amélioration du monde, chaque Vala choisissant spontanément une « spécialité » (l’un les métaux, l’autre les plantes, l’autre encore les mers, etc.), sous la lumière de 2 grandes Lampes, puis de 2 grands Arbres3, qui ont remplacé ces dernières, détruites par une incursion de Melkor.
À cette époque, Arda ressemble à ça (par Karen Wynn Fonstad, cliquer pour plus de détails) :
Vous voyez que la Terre du Milieu (Endor, au nord sur la carte) n’est qu’une infime partie de tout Arda (partie qui diminuera encore plus avec le temps). Les bons Valar, depuis l’incursion de Melkor, habitent tous sur Aman (à l’Ouest de la carte), tandis que notre grand méchant habite en Terre du Milieu, dans sa forteresse d’Angband (sur le Thangorodrim), au Nord-Ouest.
Les premiers Enfants d’Ilúvatar, les Elfes4, apparaissent en Terre du Milieu : les bons Valar l’apprennent et s’inquiètent de voir les Elfes et Melkor habiter sur le même continent. Ils mènent donc une guerre impitoyable contre le noir Vala, le font prisonnier, et incitent les Elfes à venir en Aman, pour vivre avec eux. Certains acceptent directement, d’autres arrivent plus tard, d’autres pas du tout.
Pendant un temps, tous les Elfes se développent sans trop de problèmes, et les Nains, ainsi que les Ents, sont éveillés : à noter qu'aucun de ces deux derniers peuples ne sont des enfants d’Ilúvatar ― leur création et leur nature sera exposée dans les chapitres correspondants.
Quelques temps plus tard, Melkor, apparemment repentant, est relâché : il ne faut que quelques années pour que les problèmes reprennent. Les Arbres de Valinor sont détruits, plusieurs Elfes sont tués et beaucoup d’autres funestes évènements arrivent au même moment, du fait de Melkor (depuis lors appelé « Morgoth Bauglir », "morgoþ baouglir", /morgoθ bauglir/ qui signifie « Le Noir Ennemi du Monde » en sindarin − autre langue elfique). Un des peuples elfes part alors en croisade contre Morgoth, pour se venger : ils font donc le trajet inverse, d’Aman en Terre du Milieu, non sans incidents fâcheux et inutiles (massacres, malédictions, etc.).
Pour aller plus loin ou reprendre calmement ces informations : les vidéos de Glaz sur l'âge Valarin et l'âge des Arbres.
Vous pouvez aussi trouver une carte dessinée par Tolkien lui-même : ça diffère un peu, mais l’idée reste la même.
Premier Âge
Les Valar pansent les plaies d’Aman dévasté et, pour perpétuer la lumière des Arbres morts, tirent de ces deux plantes une fleur et un fruit : la Lune et le Soleil. Au même moment, les Humains, Enfants d’Ilúvatar, s’éveillent en Terre du Milieu.
Après cela, de très nombreuses années passent, voyant la fondation et la chute de royaumes, d’innombrables batailles, trahisons, agressions de Morgoth et ripostes de la part des Elfes (et des Humains). Il suffit de savoir que, environ 600 ans après le lever du Soleil, la guerre du Courroux est déclarée par les Elfes, les Humains et les Valar contre Morgoth : ce dernier est vaincu et banni du monde, alors que toute une partie de la Terre du Milieu sombre dans la mer, à cause de la violence des combats.
La Terre du Milieu, pour la façade Ouest, ressemble désormais à ça (les lieux en bleu sont immergés) :
À nouveau, je vous conseille la vidéo du même Glaz sur le Premier Âge.
Deuxième Âge
Le Deuxième Âge voit la fondation du royaume de Númenor ("nouménor", /nuːmɛnɔːr/5), île offerte par les Valar aux Hommes, pour les récompenser de la guerre menée contre Morgoth. Cette île se situe entre Aman et la Terre du Milieu, plus proche du premier continent que du second : mais il est interdit aux Númenoréens de chercher à venir en Aman. Pour un temps, ce royaume fleurit et s’enrichit, tant économiquement que culturellement ― mais seulement pour un temps.
En effet, si Morgoth est vaincu, le très connu Sauron, Maia servant le Noir Ennemi du Monde, reste bien vivant : il s’emploie à continuer l’œuvre de son maître, corrompant les Elfes et les Hommes.
Il se charge d’abord des Elfes établis en Terre du Milieu, forgeant au passage son fameux Anneau de pouvoir, objet magique qui devient lié à son sort.
Après cela, il part à Númenor pour causer le déclin de ce royaume prospère : il pousse les Númenoréens à avoir peur de la mort et à haïr les Valar, qui leur auraient volé l’immortalité. Le situation se dégrade rapidement, jusqu’à ce que le dernier roi de l’île, Ar-Pharazôn ("ar-farazone", /ar farazɔːn/, signifiant à peu près « le Roi Pourpre » en Númenoréen), construise une puissante flotte pour défaire les Valar : Eru Ilúvatar intervient alors en submergeant la flotte et l’île elle-même. Seuls quelques individus réchappent de cette catastrophe : Elendil qui se réfugie en Terre du Milieu, fondant les Royaumes d’Arnor et de Gondor ; Sauron (immortel car c’est un esprit), reprenant la guerre depuis son territoire, le Mordor.
Le Deuxième Âge prend fin lorsque l’alliance des Hommes et des Elfes combat Sauron jusque dans le Mordor : le fils d’Elendil, Isildur, coupe la main de Sauron et y prend l’Anneau Unique, détruisant du même coup l’enveloppe charnelle du Maia. C’est ce qu’explique, en reprenant l’histoire de l’Unique, le prologue du premier film de P. Jackson sur le Seigneur des Anneaux :
Video : Le Prologue de La Communauté de l’Anneau, premier film du Seigneur des Anneaux.
Par ailleurs, n’hésitez pas à regarder la vidéo sur le Deuxième Âge.
Troisième Âge
Le Troisième Âge est sans doute la période la mieux connue de l’histoire de la Terre du Milieu : elle contient donc beaucoup d’évènements divers (fin de l’Arnor, etc.). Il faut simplement retenir qu’il termine avec la guerre de l’Anneau, menée par l’esprit de Sauron et ses sbires, pour dominer la Terre du Milieu et recouvrer l’Unique, perdu : mais l’Anneau est détruit à la fin de cet Âge, supprimant la plus grande menace alors existante.
La vidéo sur le Troisième Âge, bien plus détaillée que mon petit paragraphe.
Vous pouvez aussi voir une carte (partielle mais interactive) de la Terre du Milieu au Troisième Âge. C’est du beau travail.
Quatrième Âge et autres
On connaît assez peu sur le Quatrième Âge et ceux qui suivent, puisque les plus grands méchants ont été éliminés (Morgoth banni ; Sauron déprivé de toute puissance) : quoique tout ne soit pas idyllique ― Tolkien avait pensé, un temps, écrire une sombre histoire en cet Âge ― il n’y a plus de problèmes aussi majeurs.
Notons d’ailleurs que Tolkien a émis l’idée de faire des Âges successifs de plus en plus courts. On peut faire ce lien avec cette sorte de fin et la volonté que Tolkien avait de faire de la Terre du Milieu l’ancêtre de notre Terre actuelle.
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Tolkien, catholique romain fervent, n’a jamais caché que son Eru était inspiré du Barbu Tout-puissant de la Bible .
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Le "r" est une marque du pluriel. Pour mettre au singulier, retirez-le simplement.
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Oui, les Deux Arbres font de la lumière. Soyez pas perturbés.
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Pour ceux qui ne le sauraient pas, les elfes sont des êtres très ressemblants aux humains, mais plus gracieux, plus créatifs, plus doués, éternellement jeunes (à moins d’être tué durant une bataille ou de mourir de mélancolie). On leur donne généralement une apparence très féminine (cheveux longs, imberbes) et une proximité par rapport à la nature, que l’on oppose généralement aux nains, hyper-virilisés (barbes, poils, voix grave et épaisse) et très "artificiels" (ils sont généralement très techniques, doués pour la constitution de mécanismes, la manipulation et l’extraction de métaux). L’elfe et le nain représentent donc deux polarités, deux tendances opposées présentes chez l’homme. Ces caractéristiques, quoique déjà présentes dans l’œuvre de Tolkien, ont été extrêmement grossies et caricaturées dans d’autres ouvrages de fantasy, ainsi que dans les films de Peter Jackson (comme, par exemple, l’inimitié entre nain et elfe ― je crois).
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Les plus pointilleux d’entre vous auront remarqué que le son ɔ est long, alors que le o du « Númenor » ne porte pas d’accent. En fait, le nom de ce royaume vient du quenya « Númenórë » ("nouménoré", /nuːmɛnɔːrɛ/), qui signifie « Terre de l’Ouest ». L’accent du o a simplement été supprimé par commodité.
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Histoire externe : création par Tolkien
Je ne prétends pas faire ici une biographie, même brève, de Tolkien : l’idée n’est que de vous une première connaissance du cadre de conception des légendes de la Terre du Milieu.
Sous de nombreux rapports, il aurait été plus logique de vous présenter la démarche de Tolkien avant l’histoire de la Terre du Milieu, mais vous saurez maintenant à quoi je fais référence en parlant de tel ou tel Âge, ce qui aidera beaucoup.
Tolkien est Anglais, né en 1892 et mort en 1973.
Le travail de Tolkien autour de la Terre du Milieu est, à ses propres dires, « fondamentalement linguistique », c’est-à-dire basé sur les langues qu’il a créées, dont émergent alors les histoires et les personnages1. Depuis l’enfance, il s’est en effet amusé à créer des langues : au début, de simples codages de l’anglais, puis gagnant en complexité avec le temps. On estime que les premiers langages elfiques ont commencé à émerger de son esprit vers les années 1900–1910, puis ont été perfectionnés.
Parallèlement à cela, il écrit vers la fin de la Première Guerre Mondiale (à laquelle il a participé) le début des Contes perdus, afin de « donner à l’Angleterre une mythologie », comme aime à le dire l’un de ses biographes, H. Carter. Ce projet ne sera pas abouti, mais il sera un premier germe : ces brouillons seront publiés par son fils, Christopher Tolkien, véritable archiviste de la Terre du Milieu.
En 1937, il publie Le Hobbit, récit d’une créature humanoïde ne dépassant pas les 1m50, appelé « hobbit »2. Ce texte n’avait pas pour but de s’inscrire dans la mythologie de la Terre du Milieu, toujours en construction (source). Rencontrant un bon succès à la sortie de son livre, Tolkien propose à son éditeur un brouillon de plusieurs légendes de la Terre du Milieu, depuis le Chant des Valar jusqu’à plusieurs Âges après la création : mais l’éditeur refuse tout cela en trouvant les noms « celtiques [et] tape-à-l’œil », demandant à la place une suite pour Le Hobbit. Réalisant le souhait de son éditeur tout en développant une partie des brouillons soumis, Tolkien écrit Le Seigneur des Anneaux, narrant l’histoire de l’Anneau de Sauron au Troisième Âge. C’est à cette occasion que Tolkien travaille beaucoup le contexte linguistique de son histoire, écrivant plusieurs poèmes que l’on peut lire dans l’ouvrage en question.
Le Seigneur des Anneaux met un peu de temps à être adopté par son public, mais il commence à être populaire vers les années 60–70 (au point que les Beatles eux-mêmes cherchent en vain à faire un film − avec John Lennon en Gollum \o/). C’est vers cette époque que sont publiés certains autres écrits de la Terre du Milieu, comme les Aventures de Tom Bombadil (et d’autres récits hobbits) en 1962 ; d’autres productions, comme La dernière chanson de Bilbon ou The new shadow, une tentative de suite au Seigneur des Anneaux, témoignent également de cette activité. Mais Tolkien meurt en 1973, laissant derrière lui beaucoup de brouillons et d’idées.
Est-ce la fin ?
Non, car son fils Christopher, dont j’ai déjà parlé, reprend le flambeau : loin d’écrire à son tour, il se contente de compulser, d’expliquer et de publier le plus fidèlement les écrits de son père. Ainsi donc :
- Le Silmarillion sort en 1977, racontant le commencement du monde, détaillant les péripéties du Premier Âge et passant, un peu plus rapidement sur le Deuxième et Troisième Âge.
- Les Contes perdus, dont nous avons déjà parlé, sont publiés en 1980.
- Insatisfait du Silmarillion, qui donne une vision trop statique de la conception de la Terre du Milieu, Christopher Tolkien écrit, de 1983 à 1996, les 12 volumes de Histoire de la Terre du Milieu (dont seulement 5 traduits en français )
- Il publie ensuite tour à tour les trois contes majeurs du Premier Âge : Les Enfants de Húrin (en 2007), Le Conte de Beren et Lúthien (2017) et enfin La Chute de Gondolin (2018).
Pour en savoir plus sur Tolkien, vous pouvez consulter la frise chronologique de sa vie sur le site du Tolkien Estate.
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Cet aveu est tiré d’une des lettres de Tolkien : c’est donc, à mon sens, à prendre avec des pincettes, attendu qu’il peut se montrer quelquefois de mauvaise foi dans ses rapports épistolaires . La preuve : « [L’Anneau Unique et celui des Nibelungen] sont ronds, et c’est là leur seule ressemblance ».
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On ne connaît pas l’étymologie réelle de ce mot, mais Tolkien, dans son monde, assurait qu’il venait de « Hol-bytla » (« Constructeur de trou » en Anglo-Saxon). Mais nous en reparlerons .
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En plus de mieux vous faire connaître l’univers que nous allons explorer ensemble, les éléments présentés ont pour but de vous montrer combien rien n’est statique. Au cours des travaux de Tolkien, les langues étudiées ont beaucoup changé, et ont été encore et encore remaniées ; de même, selon l’époque et le lieu de la Terre du Milieu, une même langue peut avoir différentes formes, parlées différemment, etc.
N’ayez donc pas une vue trop figée de la linguistique en Terre du Milieu