Militer sert-il vraiment à quelque chose aujourd'hui ?

Où il est question de débat public et d'enjeux de société...

a marqué ce sujet comme résolu.

Bien, vu que le sujet a commencé à glisser plus ou moins vers la direction que j’avais prévu, il est maintenant temps de dresser un (premier ?) bilan (intermédiaire ?) de ce que je tire de cette discussion.

D’abord, je remercie tout le monde d’avoir participé jusque là. Au vu de la nature politique du sujet, je suis assez impressionné par le fait que ces quatre premières pages soient 100% constructives. :)

Une petite précision d’abord sur la façon dont je l’ai approché. Il me semble que c’est évident, mais je préfère l’expliciter : j’ai volontairement lancé ce sujet en partant de très loin, c’est-à-dire en posant la question de l’utilité de militer, avec une question presque rhétorique en titre. J’ai adopté un point de vue naïf, partial et très partiel (même encore plus partiel que ce que je l’imaginais, en fait), « je pense ça, faites moi changer d’avis », « expliquez-moi comme si j’avais 5 ans ». Mine de rien, je pense que c’était la bonne façon de faire. Ni trop provocateur, ni trop neutre. Mais bref, passons au résumé. :)

Militer sert-il à quelque chose ? Oui, bien sûr que oui.

Très tôt, il m’est apparu qu’en écrivant le post initial, je n’avais pas en tête la grande variété de raisons pour lesquelles on peut être amené à militer. Dans une société dans laquelle tout le monde peut faire entendre sa voix, militer pour une cause ou une autre est plus ou moins le seul moyen d’attirer l’attention sur :

  • Une situation urgente dans laquelle on juge impératif d’agir vite (par ex. l’accueil et l’hébergement de réfugiés),
  • Une situation d’inégalité de droit à régler (par ex. le mariage pour tous),
  • Une situation d’inégalité de fait (par ex. les causes féministes, les antiracistes),
  • Une cause morale (par ex. le bien-être animal et le véganisme, ou encore le mariage pour tous, mais du point de vue de l’opposition),
  • Et j’en oublie encore certainement…

En somme, militer ne sert pas, comme je l’avais posé de façon un peu trop simpliste au départ, qu’à faire changer les mentalités ou lancer un débat. Un point qui a été soulevé à plusieurs reprises est qu’un combat ne s’arrête pas quand le débat arrive à consensus, ni quand le résultat est obtenu (une loi promulguée ou un projet abandonné…), mais qu’il dure parfois indéfiniment pour protéger les acquis de la lutte.

Ensuite, sur la question comment on en est arrivé là ?, à propos de la systématisation des causes militantes, du fait que plus rien ne soit une cause non-militante aujourd’hui, on vient précisément de mettre les deux pieds dans la réponse, celle-ci est multiple, mais pas surprenante, et pas belle non plus.

Une raison qui a été tout juste impliquée est que tout le monde, de nos jours, a une voix audible en public. Par conséquent, pour faire entendre parler de quelque chose, il faut soit crier plus fort que les autres, soit faire sensation (choquer, buzzer) : en quelque sorte, c’est déjà un combat en soi que d’arriver à être entendu…

Une autre raison, autrement plus inquiétante, est la dégradation du climat politique et social, le durcissement des tensions et de la défiance entre le peuple et son gouvernement. J’aurais envie de résumer ça par un dysfonctionnement majeur de nos démocraties : plus ça va, plus la moindre revendication politique devient prétexte d’une lutte, plus celle-ci repose sur l’emploi de moyens violents (je ne dirai pas "extrêmes", enfin si, je l’ai dit, tant pis je le garde).

Je pense avoir à peu près fait le tour des questions initiales qui ont trouvé une réponse. Mais corrigez-moi s’il y a quelque chose à ajouter.


Cela dit, je le dis depuis un moment, il persiste chez moi plusieurs malaises, ou plutôt, plusieurs craintes, et je pense que c’est important de les verbaliser ici aussi.

La première est liée à cette remarque de @Spacefox : le langage des militants fait très volontiers appel au registre émotionnel, parce que ça fait mieux passer les messages. Je crains (et mes observations suggèrent, quoi qu’on ait pu me dire, que cette crainte est fondée) que cela soit une porte d’entrée au registre émotionnel dans les débats, où celui-ci ne devrait pas avoir sa place (du moins, pas dans les argumentaires). Si l’on replace ce risque dans le contexte d’une lutte, et plus particulièrement une lutte sur un sujet qui nous tient à cœur, cela nous donne un cocktail explosif, et les premières victimes de l’explosion sont l’objectivité, la rationalité (et l'ouverture d’esprit sera tôt ou tard emportée par le souffle). Sans elles, il est impossible de s’entendre, ou plutôt, il n’est plus possible de s’entendre qu’avec les gens qui pensent exactement comme nous, et je maintiens que c’est ce qui polarise (dans le sens où l’on n’a plus un continuum d’opinions, mais une collection de pôles mutuellement exclusifs), binarise (soit t’es d’accord avec tout ce que je dis, soit t’es un ennemi) et de ce fait paralyse les débats. Quand je lis ici que certaines personnes ne voient même plus la nécessité d’un débat, précisément en réponse à cette crainte de polarisation et de paralysie, cela me fait ouvertement flipper, parce que c’est très exactement le symptôme du durcissement à l’extrême des positions qui en résulte : « fais tout ce que je dis, comme je te le dis, sinon je continuerai de lutter, et NON, je ne discuterai de rien, je continuerai juste à me battre ». Sauf que des choses à discuter, il y en a toujours. Il ne suffit pas de dire « On en a gros, vous nous utilisez bon gré mal gré pour arriver sur la fin » pour que la personne en face y pige quelque chose. Sans discussion possible, il ne se passe rien.

Ma seconde crainte est celle de l’agressivité inhérente à toute lutte. On me dira qu’il y a des militants pédagogues, qui savent débattre et s’expliquer calmement et de façon rationnelle. Oui, y’en a (j’connaissais une polonaise qui en buvait au p’tit dej). Par contre, toujours par expérience, la plupart des occasions où j’ai pris part à ce genre de discussions, je me suis retrouvé face à un degré plus ou moins prononcé d’agressivité et d’hostilité avant même d’avoir exprimé le moindre point de vue, en ayant simplement posé des questions, et ce quel que soit le sujet. Et bien que je parle d’expérience personnelle, le nombre de fois où (et de personnes différentes avec qui) c’est arrivé est significatif. Je l’ai déjà dit : je ne supporte pas que l’on m’agresse. Si on milite, on a plutôt intérêt à rallier des gens à sa cause, mais si au lieu de ça on les agresse dès qu’ils posent des questions, faut pas s’étonner si on se fait envoyer chier, ou pire, si la personne en face finit par se placer sur la défensive (et à raison), ou encore, à l’extrême, qu’elle devient hostile à la cause. C’est particulièrement valable quand on est soi-même en pleine lutte, et que la personne en face est a priori neutre, hors de la lutte : c’est peut-être pas volontaire, peut-être que c’est le niveau d’échauffement naturel qui diffère entre le milieu de militants et celui des gens qui vivent en paix, si j’ose dire, mais c’est clairement pas quelque chose à négliger.

Troisième crainte : lorsque l’on mélange la perte de rationalité et d’objectivité avec l’agressivité et le besoin d’en découdre, on obtient ce que j’ai lu ici, une agression sans discernement des mauvaises personnes. Non, quand on milite contre les violences sexistes, s’en prendre à tous les hommes sans discernement est un non sens. Je suis un homme, je suis juste coupable d’être né avec un chromosome Y, et je refuse que l’on me mette dans le même panier que les violeurs. Si vous me ciblez pour me gueuler dessus, allez mourir, je n’ai rien à me reprocher, et prenez bien conscience que vous ne valez guère mieux qu’un flic qui fait du contrôle au faciès. Stop ! Pas la peine de répondre, je ne vous écoute déjà plus : gardez votre sexisme pour vous.

Quatrième crainte : on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs. Comme je l’ai dit plus haut : plus ça va, plus les luttes se systématisent, et comme je l’ai évoqué plus haut en prenant pour exemple le dernier mouvement de grève qui a bloqué les transports pendant plus d’un mois, toute lutte est susceptible de faire des dommages colatéraux. Au final, ma crainte réelle est celle de vivre dans un monde où chacun et chacune, en plus d’avoir ses propres combats à mener, doit en plus se préparer à être pris entre les feux de combats qui ne le ou la concernent pas. Je revendique mon droit fondamental à ne pas vivre sur le champ de bataille de guerres qui ne sont pas les miennes, parce que je suis un individu et que j’ai parfois des choses autrement plus graves et plus prioritaires, à mon échelle individuelle, à faire. S’il faut que je lutte pour une cause qui m’est importante, je le ferai, mais je revendique le droit de ne pas être en guerre infinie et permanente, et de ne pas faire les frais de celle des autres. C’est un acquis, je compte bien le défendre et faire en sorte qu’il soit généralisé à tous dans la mesure de mes moyens, mais je ne compte, évidemment, pas militer pour ça.

Parce que ça aussi, je le relève dans ce thread : dans pratiquement tous les messages que je lis ici, toutes les luttes, toute la violence, toutes les actions dont il est question sont présentées comme inévitables. Et je continue de le refuser.

Je refuse de croire qu’ils soit absolument nécessaire de lutter, et qu’il n’existe pas une autre façon de vivre que d’enchaîner les combats. Je refuse de croire que notre société est incurable, et qu’il n’existe pas de modèle social où on peut prendre des décisions, changer les choses et protéger ses acquis sans avoir à se battre. Et je pense même qu’il est vital que l’on commence à l’imaginer.

+5 -1

@Arius : Merci pour ces informations juridiques que je ne connaissais pas. Cela dit, rien d’étonnant à ce que la loi interdise l’insurrection, même si ça semble manifestement anticonstitutionnel. Cependant je n’ai pas la même foi que tu sembles avoir en la loi, ni même en la constitution, qui sont très loin d’être parfaites et dont on peut remettre en cause la légitimité. En dernière instance, le peuple est souverain. Si c’était pénalement répréhensible ne serait-ce que de débattre du sujet (ce qui d’après ton lien n’est pas le cas), on aurait des inquiétudes à avoir sur notre démocratie. ;)

Rappel, en droit on applique pas le texte en but en blanc. Sinon ce serait des robots qui feraient la justice.

Un texte de droit a un contexte historique et juridique et il faut en avoir conscience pour mesurer la porté de certains termes.

Par exemple il est évident que les Droits de l’Homme peuvent parler d’insurrection si l’État contrevient à ses dispositions et qu’il n’y a pas d’issue de changer cela autrement. En gros, cela fonctionne bien en dictature, ou si la justice comme la politique (ensemble) violaient la loi constamment sans que justice soit faite.

Nos États démocratiques sont imparfaits (et ils ne seront jamais parfaits, c’est impossible). Mais on n’en est pas là, on peut changer la politique politiquement, la justice joue globalement son rôle aussi. On a donc des outils d’un État de droit pour régler les sujets que vous évoquiez sans recourir à la violence sous quelque forme que ce soit. D’autant plus que la violence d’une insurrection ne serait probablement que l’œuvre d’une minorité, en quoi ce serait finalement plus démocratique ou représentatif de la volonté du peuple que notre système actuel ? Pour le coup ce serait une action très unilatérale, sans garde fous et sans possibilité de recours.

L’insurrection aurait pu avoir un sens dans le cas où la population n’avait pas le droit d’expression ou de participation politique comme les noirs, femmes ou pauvres par le passé. Ces gens là n’avaient aucune possibilité d’agir autrement pour changer les choses, ce qui aurait pu faire sens et cela a eu lieu dans certains pays par ailleurs. Aujourd’hui ce n’est pas le cas chez nous, à quelques exception près, tout le monde peut participer à la vie politique et peut recourir à la justice.

Nous vivons dans des pays ayant des dizaines de millions de citoyens, on ne peut pas faire un compromis parfait qui plaît à tout le monde hélas. On ne peut pas avoir en même temps l’anarchisme de Taurre et nos système actuels. Le meilleur moyen est de laisser la population choisir quel politique mettre en œuvre par l’État de droit, essayer de le reverser autrement ne satisfera pas tout le monde (bien au contraire) et ne sera finalement pas une démarche plus populaire ou démocratique.

Donc si Taurre (par exemple) veut réaliser son rêve d’un État anarchique, il le peut, mais il devra convaincre une bonne majorité de citoyens d’adhérer à cette idée. Ce qui mène au sujet initial du topic : il faut débattre et communiquer.

+3 -0

Qui ici suit les débats de l’Assemblée générale/Sénat, hmm ? Savez-vous comment la démocratie fonctionne ? Savez-vous ce qu’est par exemple la navette parlementaire ? Savez-vous comment se déroule le travail en commission ? Avez-vous déjà pris contact avec vos députés pour discuter d’un problème ressenti ?

Que faites-vous pour faire entendre à vos élus des problèmes qui vous sont chers ?

Arius

Je suis loin de suivre l’ensemble des débats parlementaires, tous ne m’intéressent pas et ça demanderait beaucoup de temps. C’est même pour ces deux raisons que je suis favorable à la démocratie représentative.

Mais j’ai trouvé lamentables les derniers travaux de commission et débats que j’ai suivis, et c’est que j’expliquais plus haut sur la majorité absolue détenue par un seul parti.
On voit parfois quelques personnes sortir du lot, mai la plupart n’agissent que dans la volonté du groupe : le groupe majoritaire vote ce qui vient de lui et refuse tout le reste (ce qui vient des groupes minoritaires) et inversement.

On a de plus l’Assemblée Nationale qui est plus ou moins soumise à la volonté du gouvernement alors que les institutions françaises voudraient l’inverse.
Il ne reste en effet que la navette parlementaire entre AN et Sénat, pour les sujets qui s’y prêtent, quand les majorités entre les deux diffèrent. On ne peut pas dire que ce soit réellement le cas aujourd’hui.

Contacter les députés s’inscrit dans cette même blague d’alignement avec le groupe parlementaire. J’avais contacté la mienne il y a 5 ans lors des débats sur la loi Urvoas, qui amenait les « algorithmes de surveillance » et leurs « boites noires » pour protéger des actes terroristes.
Elle m’a répondu après le vote, en me communiquant un papier écrit par Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission et lois et rapporteur du projet de loi (qui deviendra garde des sceaux 6 mois plus tard), adressé à ses collègues député·e·s.

C’était sous la législature précédente, mais la situation me semble encore pire aujourd"hui.

Mes yeux de Suisse ont toujours été choqués par le fait que l’Assemblée nationale peut statuer définitivement sur demande du Gouvernement en cas de désaccord persistant entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Ca m’a toujours paru donné peu de poids à la navette parlementaire, en tout cas pour les projets très controversés. Ok, je suis d’accord que le Sénat est formé par une élection indirecte qui relativise sa légitimité. Mais il m’a toujours paru incohérent de prévoir un système bicaméral avec une possibilité de court-circuitage. Si on prévoit un système bicamérale, c’est justement pour donner la possibilité à l’une des chambres de couler une réforme qu’elle ne souhaite pas. Sinon, il est plus logique de prévoir un système monocamérale pour économiser du temps.

+4 -0

Je partage ton opinion dans l’ensemble, disons que je pense qu’avec quelques changements on pourrait améliorer la situation je pense.

Mais j’ajouterais quelques nuances.

Mais j’ai trouvé lamentables les derniers travaux de commission et débats que j’ai suivis, et c’est que j’expliquais plus haut sur la majorité absolue détenue par un seul parti.

et

On a de plus l’Assemblée Nationale qui est plus ou moins soumise à la volonté du gouvernement alors que les institutions françaises voudraient l’inverse.

Le fait que la France ait globalement un parti seul au pouvoir est voulu par conception de la Ve République. Car la IV République a été désastreuse, le gouvernement tombait tous les quatre matins car les partis se tiraient dessus tout le temps même au sein de la majorité. Car les coalitions étaient nécessaires pour former un gouvernement et adopter les lois.

Et nos amis européens où ce système n’existe pas toujours montre ces limites aussi aujourd’hui. La Suède, l’Irlande, la Belgique et l’Espagne (et sans doute d’autres) ont aux dernières nouvelles pas un gouvernement majoritaire. Car il faut faire des coalitions larges, trop larges pour avoir la majorité et c’est la foire d’empoigne pour réunir tout ce beau monde sous la même bannière.

Du coup soit il n’y a pas de gouvernement tout court, soit il est basé sur une minorité des élus. Et les gouvernements sont fragiles, des retournements de situation peuvent survenir. En Wallonie en 2017, la majorité a changé en pleine législature car un parti s’est retourné pour s’allier avec un autre. Le gouvernement fédéral belge est tombé en décembre 2018 car un parti a claqué la porte du gouvernement pour un texte international que le gouvernement belge voulait signer (et l’a fait).

Au Royaume-Uni, le parti unioniste d’Irlande du Nord a bloqué le Brexit pendant des mois avec ses ~6 petits députés car ils avaient une ligne rouge différente du parti conservateur, et ce dernier avait besoin de ces 6 sièges pour signer les accords et permettre une adoption au Parlement.

Et dans ces pays là, il semble qu’on a globalement les mêmes postures politiques qu’on retrouve en France. À savoir le vote solidaire au sein du parti, l’opposition non constructive car systématique, le manque d’argumentation sur certains sujets, etc.

Et en France on l’a vu en 2017, le premier tour de la présidentielle avait 4 candidats aux alentours de 20% des suffrages. Ce fut assez serré. 4 projets politiques assez différents. Faire un gouvernement avec une telle répartition ne s’annonce pas simple, pour le coup la Ve République a peut être fonctionné en empêchant un blocage du Parlement. Après on peut discuter de a légitimité de la mesure, j’en conviens et je n’y suis pas favorable moi même, mais ça a aussi ses avantages, ailleurs ce n’est pas parfait.

Contacter les députés s’inscrit dans cette même blague d’alignement avec le groupe parlementaire. J’avais contacté la mienne il y a 5 ans lors des débats sur la loi Urvoas, qui amenait les « algorithmes de surveillance » et leurs « boites noires » pour protéger des actes terroristes.

Pour info, il est normal que lors d’un vote sur la plupart des sujets importants pour ce parti, le vote soit commun. Sinon tu te demanderais pourquoi est-ce qu’ils ont rejoint un parti en question.

En général les négociations ont lieu soit avant les élections (lors de l’élaboration du programme du parti, chaque courant du parti va essayer de mettre de son influence) ou lors de la préparation de la loi au sein des commissions et discussions annexes au Parlement. Au moment du vote des amendements c’est déjà presque trop tard.

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L’instabilité des démocraties parlementaire naît dès que les élections donnent aucun avantage net à un parti (je ne parle pas de majorité absolue, mais d’une avance nette par rapport au parti arrivé deuxième).

En revanche, quand un parti obtient une avance nette, c’est un système plus fédérateur, car la coalition permet que plusieurs courants d’idées soient représentés au sein d’un même gouvernement. Je pense que la population peut plus s’identifier à ces gouvernements moins homogènes. Après tout, le débat n’est pas mauvais au sein d’un exécutif.

Pour revenir à la France, ce que je plains, c’est la faiblesse globale du législatif. Il me paraît être une simple chambre d’enregistrement des projets du gouvernement. On y fait le débat pour la forme. L’opposition n’est pas stimulée à faire des propositions constructives, car elle sait qu’elles ne passeront jamais. Le parti majoritaire peut faire la politique qu’il veut et il n’a pas de vrai contrepouvoir institutionnel. Alors je comprends plus facilement la chimère qui consiste à saccager les centres-villes et bloquer les ronds-points pour se faire entendre, même si je le déplore absolument.

+2 -0

L’opposition n’est pas stimulée à faire des propositions constructives, car elle sait qu’elles ne passeront jamais. Le parti majoritaire peut faire la politique qu’il veut et il n’a pas de vrai contrepouvoir institutionnel.

Cette majorité n’est pas là complètement par hasard. Après tout, ce sont des députés qui ont été élus directement par les citoyens qu’ils représentent.

Mais, certes, cela ne met pas en échec ton propos pour autant et il pourrait être intéressant d’étudier certains mécanismes de contre-pouvoir pour une éventuelle VIe Constitution. Même dans le cas où presque tous les Français voteraient à 95 % pour un même parti aux présidentielles et aux législatives, il n’en demeure pas moins que le débat avec des camps opposés (les 5 %) me paraît nécessaire et sain.

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Trop cool @nohar de faire une synthèse comme celle-là. Beaucoup de points sur lesquels j’aurais envie de réagir, dans la deuxième partie de ton post (les malaises), parce qu’exprimés tels quels ils me semblent problématiques du point de vue même que tu sembles défendre, notamment l’importance d’un débat rationnel et de ne pas laisser les affects parasiter le travail argumentatif.

Juste sur un point en particulier :

Parce que ça aussi, je le relève dans ce thread : dans pratiquement tous les messages que je lis ici, toutes les luttes, toute la violence, toutes les actions dont il est question sont présentées comme inévitables. Et je continue de le refuser.

Je refuse de croire qu’ils soit absolument nécessaire de lutter, et qu’il n’existe pas une autre façon de vivre que d’enchaîner les combats. Je refuse de croire que notre société est incurable, et qu’il n’existe pas de modèle social où on peut prendre des décisions, changer les choses et protéger ses acquis sans avoir à se battre. Et je pense même qu’il est vital que l’on commence à l’imaginer.

nohar

Penses-tu qu’un tel état puisse être atteint/ait pu l’être sans lutte ? Et si oui, par quels processus/miracle ? En particulier : si l’on parvient à imaginer un tel état, comme tu le proposes en conclusion, comment le fera-t-on advenir, en prenant en considération l’état actuel des pouvoirs (économiques et politiques, notamment) dans notre société ?

PS: Parce que justement ça fait partie de l’activité militante d’imaginer cela, d’en penser les conditions de possibilités et de travailler à ce que cela arrive. Et comme pointé par d’autres ici, militer c’est dur, pesant, c’est parfois comme un boulot en plus de notre boulot, et si y avait un moyen simple de protéger les acquis sociaux, les droits et les gens sans lutter, ben peut-être qu’on préférerait rester chez nous ou en tout cas mieux disposer de notre temps (c’est mon cas, clairement).

+1 -0

Je répondrais aux posts de @entwanne et @Renault plus tard si j’en ai le temps mais je souhaite ici partager cet extrait d’une interview d’une personne qui est militant jusqu’aux os et qui parle justement de cette vision du "nous" contre "eux" du gouvernement, de la crise de démocratie. Une interview très intéressante réalisée par Le Grand Continent : https://legrandcontinent.eu/fr/2019/04/10/nous-avons-rencontre-lech-walesa/

Le Grand Continent a eu l’honneur de rencontrer Lech Wałęsa, président de la Pologne de 1990–1995, lauréat du prix Nobel de la paix 1983, cofondateur et premier président de Solidarność. Cet entretien a eu lieu dans le contexte tragique de l’assassinat du maire de Gdansk, Paweł Adamowicz, que Lech Walesa décrivait comme un candidat idéal à la présidence de la Pologne. Il analyse ce retour de la haine et la violence en politique, qu’il replace dans un contexte international de polarisation des sociétés et de remise en cause de la démocratie.

Les 13 janvier dernier, le maire de Gdańsk, Paweł Adamowicz, a subi une attaque au couteau sur la scène de concert du Grand orchestre de la charité de Noël. Il est décédé le lendemain des suites de ses blessures. Quelles réflexions ce crime vous inspire-t-il ?

Il faut expliquer cela avec précision. Il nous faut comprendre le contexte pour commencer à y remédier. Le contexte polonais dans ce genre d’affaires est quelque peu particulier. Ici, en Europe centrale, nous ne nous sommes pas toujours identifiés avec la Pologne, avec les gouvernements qui nous ont été imposés, avec la Diète, avec le président. C’est pourquoi, à travers ce prisme des générations précédentes, nous devons expliquer les différences entre hier et la situation d’aujourd’hui.

Jusqu’au mouvement de Solidarność, il y avait « nous » d’un côté et « eux » de l’autre. Et c’est pourquoi notre comportement était souvent un comportement d’hostilité. Puisque nous pouvons dire maintenant que c’est notre pays, notre patrie, notre démocratie, il nous faut changer profondément cette attitude. Nous devons comprendre que si nous choisissons un gouvernement et que ce gouvernement gagne les élections, c’est notre gouvernement. On ne peut plus dire « eux ». Mais cela oblige également les dirigeants à respecter les lois d’un pays démocratique. Il n’est pas admissible que, alors que nous possédons à présent notre Constitution, celle-ci soit violée, que les jugements rendus par les tribunaux ne soient pas respectés. Cela crée de la confusion principalement dans l’esprit des citoyens qui s’intéressent moins voire plus du tout à la vie politique. Nous avons beaucoup de travail à faire pour résorber ce malentendu et la haine qui en résulte.

Pensez-vous que cela changera quelque chose dans la façon de penser de la société polonaise et des politiciens polonais ?

Il ne s’agit pas seulement de la Pologne. Aujourd’hui, le monde entier traverse une crise démocratique. C’est pourquoi il nous faut à nouveau aujourd’hui remettre de l’ordre dans la démocratie, dans le monde entier.

Qu’entendons-nous par le concept de démocratie ? Ce n’est pas seulement des élections dont il est ici question. Il s’agit aussi du comportement démocratique, du respect de la loi. Par « État démocratique », nous entendons les tribunaux, la police, les gouvernements, les parlements. Il faut qu’existe une façon démocratique de se rapporter à ces institutions. Jusqu’à présent, cette approche n’existait pas parce qu’elles avaient été imposées à la Pologne de manière non démocratique. Pendant de nombreuses années, les Polonais se sont inscrits dans cette manière de penser qui, aujourd’hui, ne correspond pas à la réalité existante. Nous avons un énorme travail à fournir ici en Pologne. Cependant, ayons à l’esprit que la déstabilisation de la démocratie s’observe à l’échelle du monde entier.

Je vous invite à lire l’ensemble de l’entretien car je trouve que cette analyse pose très bien la situation et aborde avec un certain recul le rapport de force entre le peuple et l’Etat.

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Juste un petit HS sur les Gilets Jaunes. Je les ai vu passer en bas de chez moi pendant des mois, ça m’a permis d’observer pas mal de détails intéressants. Entre autres :

  1. Quand on veut qu’une manifestation soit comprise (par le gouvernement / la cible, par les non-manifestants), il faut un message clair. Ici ça n’a jamais été le cas, j’ai toujours vu une grosse soupe de revendications plus ou moins contradictoires. Pire, les dernières manif c’était vraiment n’importe quoi, il y avait même des publicités pour les vide-greniers dans les pancartes !
  2. Les casseurs sens en grande majorité des gens différents des manifestants. Dans le sens où dans le cortège on a deux populations assez distinctes, les manifestants avec leurs slogans et revendications, et les gens venus pour casser qui n’ont aucun slogan et aucune revendication claire. Souvent ils n’avaient même pas de gilets jaunes.

@kakiharaa :

Beaucoup de points sur lesquels j’aurais envie de réagir, dans la deuxième partie de ton post (les malaises), parce qu’exprimés tels quels ils me semblent problématiques du point de vue même que tu sembles défendre, notamment l’importance d’un débat rationnel et de ne pas laisser les affects parasiter le travail argumentatif.

Je pense que je vois très bien de quoi tu parles : la "Troisième crainte" et la façon dont j’ai tourné ce paragraphe, qui est tout sauf objective (et même ferme et agressive :)). C’est un parti pris, je l’ai tourné de cette façon pour illustrer le fait que ces comportements problématiques ne peuvent engendrer qu’une réponse émotionnelle et agressive, et une fermeture complète, même de la part de gens qui se veulent neutres et pacifistes.

Ce que je veux dire par là, c’est que quand on en arrive à ce stade d’attaques sans discernement où fusent les balles perdues, il est déjà trop tard pour apaiser les choses, et on atteint un point de non-retour. Nous sommes des humains qui vivons ensemble (j’ai envie de dire, du mieux que nous pouvons), et il y aura toujours une limite à notre capacité à rester posé et objectif : je sais que la mienne est atteinte lorsque j’identifie une injustice de ce calibre, et sans avoir pour autant le droit de généraliser à partir de mon cas, je suis convaincu que c’est le cas d’une grande part de la population.

Penses-tu qu’un tel état puisse être atteint/ait pu l’être sans lutte ?

C’est une excellente question, et elle me traîne en tête également depuis le début de ce thread.

Je vais répondre le plus honnêtement du monde : je ne sais pas. Et je vais même me mouiller un peu plus en disant qu’a priori, je ne le crois pas : si la société actuelle est "impossible à transformer sans tout le temps lutter", il me semble logiquement impossible la faire muter en une société "possible à transformer sans tout le temps lutter" sans lutter.

Cela dit, cette question est celle des moyens, alors que je n’ai pas moi-même une vision claire de l’objectif, c’est-à-dire d’où l’on veut aller. Intuitivement, j’imagine que ce processus se ferait en plusieurs étapes :

  • Déterminer un ensemble de règles fondamentales de la "société de demain". Je veux dire par là les axiomes de la société (par exemple, pour caricaturer, la DDHC augmentée de toute personne a le droit de vivre sans qu’on lui chie dans les bottes).
  • Aboutir à un consensus sur les bases de fonctionnement du système politique de ce "nouveau modèle social".
  • Renverser l’ordre établi, faire une constituante, refaire le monde…

Je suis volontairement léger dans ma façon d’en parler parce que je ne voudrais surtout pas que ce propos soit pris comme le résultat 100% sérieux d’un travail rigoureux de réflexion et de conception. Typiquement, ce plan que je viens tout juste d’énoncer est le scénario d’une insurrection/révolution. Est-ce le seul possible ? Là encore, impossible de le savoir, mais au point où en est notre société, c’est celui qui me semble le plus plausible : si la dégradation du climat politique et social finit par aboutir à un effondrement de la société actuelle, alors cet état est celui que j’appelle de mes vœux pour remplacer celui dans lequel nous vivons.

Les seules choses qui sont réellement solides et immuables dans ma position, sont :

  • ma conviction qu’il y aura toujours matière à (et besoin de) lutter pour quelque chose : une société sans inégalités ni rapports de force ne peut certainement pas exister, et d’ailleurs, il serait parfaitement naïf d’aller jusqu’à croire que tout rapport de force est obligatoirement malsain. Je ne suis pas un bisounours.
  • ma conviction qu’il est possible (et vital) d’atteindre un état dans lequel on peut porter une cause, sans pour autant engendrer ou participer à une "guerre de toutes les guerres", comme celle dans laquelle nous sommes déjà.
+1 -0

Juste un petit HS sur les Gilets Jaunes. Je les ai vu passer en bas de chez moi pendant des mois, ça m’a permis d’observer pas mal de détails intéressants. Entre autres :

  1. Quand on veut qu’une manifestation soit comprise (par le gouvernement / la cible, par les non-manifestants), il faut un message clair. Ici ça n’a jamais été le cas, j’ai toujours vu une grosse soupe de revendications plus ou moins contradictoires. Pire, les dernières manif c’était vraiment n’importe quoi, il y avait même des publicités pour les vide-greniers dans les pancartes !
  2. Les casseurs sens en grande majorité des gens différents des manifestants. Dans le sens où dans le cortège on a deux populations assez distinctes, les manifestants avec leurs slogans et revendications, et les gens venus pour casser qui n’ont aucun slogan et aucune revendication claire. Souvent ils n’avaient même pas de gilets jaunes.
SpaceFox

Une question : est-ce que les choses dont tu parles peuvent vraiment s’observer depuis une fenêtre ?

Mon opinion c’est que ces deux propositions sont fausses, et je le dis à la fois en tant que participant aux manifestations des GJ et en tant que personne qui s’est toujours sentie extérieure au mouvement, voire réticente et méfiante. Cela pour dire : je ne réagis pas en étant sur la défensive, parce que j’aurais un investissement affectif dans le mouvement. Simplement, je trouve que c’est faux ou très partiel et inexact, et je suggère que ça a peut-être à voir avec la position de surplomb et de distance (littérale) que tu décris. Blague à part : pas besoin d’être dans un mouvement pour le critiquer, mais encore faut-il se donner les moyens d’en avoir une connaissance un peu construite et consciente de ses limites.

(Tu aurais dit : "c’est mon humble avis non informé", je n’aurais pas réagi. Là tu dis avoir "observé" ces choses. Or, il me semble qu’elles ne sont pas susceptibles d’être aussi simplement et directement observées)

Heu… si ? Je peux lire les pancartes d’une manifestation, je peux entendre les slogans qui sont énoncés et les harangues des gens qui ont mobilisé les foules. Je peux voir les gens qui pètent les bien publics littéralement en bas de chez moi et comment ils se déplacent par rapport au reste de la manifestation, ceux qui viennent se changer dans la ruelle, qui ont dans leur sac les masques à gaz et les outils pour casser. Ceux qui en fin de journée jouent au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, s’échangent les positions d’icelles pour mieux les esquiver et n’ont plus d’outils de manifestation (ni même souvent de gilets jaunes) mais souvent des armes par destination.

Ce dont je te parle, c’est bien de l’aspect extérieur de la manifestation, telle qu’elle peut être perçue par des gens qui n’en font pas partie et qui ne s’inscrivent pas dans le mouvement. Ça n’est pas une critique en soi : c’est une observation, ce que j’ai vu avec mes yeux, entendu avec mes oreilles.

Attention au fait que je parle bien des manifestations (donc une dynamique très différente du bloquage de rond-points par exemple), et de celles qu’il y a dans ma ville.

Je veux bien donc que tu m’explique en quoi ce que j’ai observé peut être faux. En quoi des revendications incohérentes étaient en fait logiques. En quoi ce panneau publicitaire pour un vide-grenier était en fait une revendication. En quoi les personnes sans gilets jaunes qui circulaient en bordure de manifestation, sans slogan écrit ou oral et qui cassaient des bien faisaient partie de la manifestation. En quoi ce que j’ai observé peut être faux, en somme.

D’autre part, tu dis avoir pris part aux manifestations. C’est précisément quand on est investi dans quelque chose (quel que soit le domaine, ça marche très bien au boulot par exemple) qu’on manque de recul sur cette chose ; et je ne doute pas une seule seconde que les participants à ces manifestations, dans leur grande majorité, ne se rendaient pas compte de l’incohérence globale du tout et du comportement de certains à leurs abords. À commencer parce qu’ils étaient concentrés sur leurs revendications, pas sur celles des copains ou sur les exactions de types en bordure de cortège.

Je généraliserais même cette dernière remarque en disant que c’est l’un des problèmes du militantisme : souvent, quand tu es militant, tu es par nature à fond dans ta cause. Ça rends très difficile toute prise de recul sur celle-ci, avec tous les problèmes de communication et de compréhension que ça peut poser, et touts les problèmes d’acceptation que ça peut engendrer si tout ou partie de la cause s’avère « mauvaise » (typiquement, les moyens prônés ne vont en fait pas dans le sens du but).

@SpaceFox

Alors, un peu pêle-mêle, désolé :

  • Une personne incohérente ou stupide (et même plusieurs) ne dit rien sur l’ensemble du mouvement (pancarte vide-grenier ; à moins que ça ait été une blague, qu’en sais-je). Il faut d’autres critères qu’une simple observation pour statuer.
  • Il n’y a pas que les manifestations qui donnent accès à ce qu’est un mouvement. Il y a les textes les travaux d’assemblées, les convergences, locales ou non, etc.
  • Beaucoup de ce que tu décris est lié au moins autant aux traitements médiatiques (divers, c’est sûr, je ne veux pas simplifier ou diaboliser "les médias") qu’au mouvement lui-même. Et il y en a eu, des problèmes dans le mouvement. Je veux juste dire qu’il faut prendre en considération plusieurs paramètres. Aussi, aux difficultés qu’il y a lorsqu’un mouvement est à ce point non centralisé. On peut discuter de si c’est bien ou pas, mais en tout cas on ne peut pas juste dire : non centralisé et revendications peu audibles -> pas de revendications claires.
  • Certaines revendications ont été très claires et relayés de façon assez stable et consistante. Par exemple à propos de formes plus directes de démocraties, la place du référendum, et sur la précarité et le pouvoir d’achat. Et plus tard sur les violences policières et les atteintes aux libertés de manifester. Je ne dis pas que je les endosse telles quelles (en fait, ce n’est pas le cas sauf pour les deux dernières), mais elles étaient là.

Aussi, j’ai essayé de dire que je ne me sentais pas à fond dans cette cause. Très loin de là. Il y a des causes dans lesquels j’ai un investissement très fort, mais pas celle-là. Ça n’empêche pas de participer de façon critique, et c’est ce que j’essaye de faire. Deux remarques : 1) Même pour ces causes dont je parle, je m’estime capable d’en avoir une conception rationnelle, de prendre du recul et de critiquer les actions, y compris les miennes. Cela m’est arrivé notamment lors d’une lutte très difficile concernant l’hébergement, et je trouve ça fondamental. 2) On pourrait t’opposer qu’une position de surplomb fait courir un risque aussi : celui de l’abstraction et d’avoir un avis désincarné. En gros la personne dans sa tour d’ivoire, qui se fait des opinions à la va-vite sans se donner les moyens et le temps d’approcher les phénomènes en question.

Pour être clair : je ne dis pas qu’il faut participer à une chose pour la connaitre, bien au contraire. Je suis plutôt d’accord avec toi sur ce point. Par contre il faut quand même se donner un certain accès, et j’ai estimé, à tort ou à raison, à la lumière de ce que tu disais, que le tien était insuffisant.

PS : la casse en manif, c’est un sujet à part entière, et je préfère le laisser de côté.

+0 -0

@Arius:

Aucun État, aucune constitution européenne autorise la violence armée contre les institutions démocratiques.

La révolte armée n’est pas un droit constitutionnel dans une société qui permet le changement politique par des voies pacifiques : élections, plaintes auprès du pouvoir judiciaire,…

Ça me semble en effet logique et souhaitable de disposer d’une arme juridique contre une insurrection qui ne serait pas assez majoritaire pour arriver à ses fins, afin de protéger l’ensemble de la société contre une portion minoritaire d’elle-même ; autrement dit, qu’une insurrection, qui est un pur rapport de force entre une portion de la population et l’Etat, soit illégale, jusqu’à ce qu’elle devienne légale de fait. Le droit à l’insurrection inscrit dans la DDHC ne peut être effectif que si l’insurrection renverse le pouvoir (avec des soutiens extérieurs éventuels), mais à mon sens ce droit reste fondamental. Là où cette loi me paraît contraire à la DDHC, c’est essentiellement dans sa limitation au droit d’expression. Organiser ou participer à une insurrection devrait être répréhensible, pas le simple fait d’appeler à l’insurrection.

Par ailleurs l’Etat est censé rester également, dans sa réponse répressive, indépendamment de ce que fait la population, dans le cadre de la loi et des droits de l’homme. En l’occurrence avec les gilets jaunes, il y a eu des dysfonctionnements manifestes et des atteintes aux droits individuels et collectifs.

Mais la révolte armée, comme les coups d’état, entraîne historiquement un régime pire que le précédent.

Peux-tu donner des exemples ?

En discuter est légal, mais attention à ne pas franchir la ligne rouge de l’appel public à l’insurrection. Déjà que tu ignorais l’existence de ce prérequis pénal, ça commence mal… Il y a déjà eu suffisamment de membres de ZdS ayant eu des problèmes judiciaires comme cela…

Arius

Je te remercie pour l’avertissement, mais en l’occurrence je ne franchis pas cette ligne rouge. J’ai simplement réagi au message de Taurre et dit qu’il y avait un problème structurel avec nos institutions, que la population subit une impuissance politique dans les faits et une violence systémique, et que le mouvement des gilets jaunes était le mouvement le plus authentique et prometteur que j’avais vu. Je serais heureux de me tromper mais je suis arrivé à penser, effectivement, que l’insurrection est le seul moyen réaliste de résoudre les problèmes de fond de notre société. Je ne suis pas prêt, pour diverses raisons et en l’état actuel des choses, à l’affirmer catégoriquement ni à prendre personnellement la responsabilité de participer à un tel mouvement, mais je suis prêt à argumenter en ce sens et à contredire les informations qui me paraissent erronées sur le sujet.

Utilisez-les. C’est facile de ne pas voter, de ne pas se présenter si aucun candidat est intéressant, de ne pas s’impliquer dans le débat politique… Et puis venir et, comme certains, faire des appels à l’insurrection sans remettre une seule fois en question son immobilisme.

Et après l’on vient se plaindre que le politique est déconnecté des problème des citoyens. Mais peu de gens daignent se demander si les citoyens n’ont pas leur part de responsabilité en ne s’intéressant pas au débat politique.

Qui ici suit les débats de l’Assemblée générale/Sénat, hmm ? Savez-vous comment la démocratie fonctionne ? Savez-vous ce qu’est par exemple la navette parlementaire ? Savez-vous comment se déroule le travail en commission ? Avez-vous déjà pris contact avec vos députés pour discuter d’un problème ressenti ?

Que faites-vous pour faire entendre à vos élus des problèmes qui vous sont chers ?

C’est aussi facile de venir dire aux gens qui cumulent plusieurs boulots, qui n’ont pas fait d’études, qui n’ont aucun moyen financier, ou qui risquent leur intégrité physique dans des manifestations ; qu’ils n’y connaissent rien ou qu’ils n’ont qu’à envoyer un email à leur député, ou à se présenter aux élections. J’entends tes arguments mais cette réponse me paraît très idéaliste et en décalage avec les dysfonctionnements de notre démocratie et avec la réalité des rapports de force qui existent dans notre société.

Je ne vais pas contre-argumenter davantage ici pour ne pas prolonger le hors-sujet, et car je n’ai malheureusement pas le temps maintenant, mais ça me semble un bon sujet pour un deuxième thread. :)

@SpaceFox : Effectivement le mouvement s’est effrité et dégradé après les premiers actes. Mais il est normal d’avoir du mal à y voir clair dans un mouvement de cette spontanéité. Enfin, sa relation avec les BB est complexe et a évolué au fil du temps, de ce que j’en ai entendu ils sont maintenant considérés essentiellement comme des alliés de circonstances.

@nohar : Très bon résumé, et je partage certaines de tes inquiétudes et ta conclusion sur la nécessité de repenser certains fonctionnements de notre société, avec les mêmes réserves que kakiharaa cependant.

+1 -0

Pour info, le droit à l’insurrection n’est pas dans la DDHC de 1789, mais dans la version de l’ONU qui date du siècle dernier. Ce qui est important parce que la DDHC est inscrite en préambule de la Constitution Française ^^

EDIT : je précise que quand j’apporte des petits points comme ça, c’est vraiment juste pour apporter l’info et pas pour pinailler, le reste m’intéresse aussi beaucoup et je lis totu très attentivement.

+0 -0

J’avais suivi un peu le début des débats, la tournure que ça a pris ne m’intéressait pas, donc je me suis abstenu. Et je pensais attendre que le débat s’apaise pour faire cette petite intervention, peut-être hors-sujet.

Le mot 'militant' étymologiquement, il vient d’où et quelle est sa définition :

Définition du Littré :

  1. Terme de théologie : Qui appartient à la milice de Jésus-Christ.

  2. Aujourd’hui, militant se dit dans un sens tout laïque, pour luttant, combattant, agressif.

Etymologie : Lat. militare, être soldat.

Militant, milice, militaire, même étymologie.

C’est amusant de voir qu’en anglais, allemand ou espagnol, les traductions 'principales’ du mot 'militant' sont des déclinaisons du mot activiste. On perd ce côté militaire, mais on a en échange un côté action clairement exprimé (et toujours pas ce côté dialogue/persuasion).

C’était la minute étymologique. Je pense que c’est toujours un éclairage intéressant de revenir à l’étymologie des mots.

Question de Phigger : Est-ce que la politique, ce n’est pas militer ?

En politique, il y a le militant, et le sympathisant.

Le sympathisant a gardé son libre-arbitre. Il peut être critique vis-a-vis de son 'leader’, il a du recul.

Le militant est un soldat. C’est l’étymologie du mot. Un soldat volontaire qui plus est, pas un appelé qui est venu là contraint et forcé.

Un soldat s’engage à obéir à la hiérarchie, un soldat ne trahit pas ses camarades au milieu du combat, un soldat utilise les armes à sa disposition pour défendre son camp. Et la mauvaise foi est une arme très utile dans certaines circonstances.

@elegance : Eclairage intéressant, cependant ta vision étymologique du militant politique est exagérée. L’étymologie peut expliquer un terme consacré au départ (mais parfois même pas, tout dépend des circonstances de cette consécration), sans forcément décrire la réalité actuelle. On peut très bien militer au sein d’un parti et rester critique voire changer d’opinion par la suite. De plus, les mouvements sont en général composés de plusieurs courants qui s’affrontent en interne, là où une armée de soldats est homogène. Il en va de même pour les causes de société moins politiques.

Sinon je viens de voir cette vidéo intéressante qui se rapproche du débat initial et montre certains problèmes de comportement et de vision du monde : https://www.youtube.com/watch?v=px9Hcgc6BPY. A nuancer cependant, les gens qui traînent toute la journée sur Twitter ne sont absolument pas représentatifs des gens "de la vraie vie".

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