‒ Vous pouvez affirmer cela d’un simple coup d’œil ? demanda La Fargue en gratifiant le jeune homme d’un regard admiratif.
Mais l’autre n’écoutait pas.
‒ Peut-être certains signes valent-ils pour des mots d’un emploi fréquent. Ou pour certaines personnes. Mais rien de plus savant que cela… Tenez, remarquez que ce signe revient souvent. Sans doute la lettre "a" ou "e", si le texte est en français. Et celui-là. Il est redoublé plusieurs fois, ce qui indique une consonne : "r", "s" ou "t", par exemple…
Les yeux brillants, Laincourt manifestait une excitation qui n’était pas coutumière chez ce jeune homme d’ordinaire si réfléchi et réservé.
‒ Un instant, dit-il.
Et sans attendre, il se leva, attrapa sur le manteau de la cheminée le petit cahier que Naïs utilisait pour faire ses courses, en déchira une page, revint s’asseoir et, avec une mine de plomb, entreprit de retranscrire la lettre codée. Son regard allait d’un feuillet à l’autre, tandis que sa main écrivait prestement, comme animée d’une vie propre. Lèvres pincées et mâchoires serrées, les traits de son visage étaient tendus par la concentration.
‒ Cela sera plus facile que je n’osais l’espérer, dit-il.
‒ Pourquoi ?
‒ Parce que je connais ce chiffre.
La Fargue découvrait chez Laincourt des talents qu’il lui ignorait, et dont il mesurait l’importance. Quelques minutes s’écoulèrent dans un silence fébrile, troublé seulement par le frottement de la mine sur le papier.
‒ Et voilà ! déclara soudain le jeune homme en poussant la lettre et son déchiffrement vers La Fargue. Peut-être peinerez-vous à me lire, mais vous ne serez pas en retard au Palais-Cardinal.
Il était presque essoufflé mais ne manifestait ni fierté, ni même satisfaction.
Souriant, le capitaine des Lames se carra sur sa chaise et considéra Laincourt de l’œil admiratif et amusé de qui vient de se faire berner par un étonnant numéro de prestidigitation.
[…]